Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome IV 1572-1574
(1837)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij† Lettre CDLVIII.
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Ga naar margenoot+‘il ne travaillat tant à chose qu'i fait à la pacification des Pays-Bas;’ A. n.o 60, 63. Il y alloit de ses intérêts, vu sa parenté avec le Roi d'Espagne. En outre l'Empire souffroit beaucoup par l'interruption du commerce: A. n.o 39. Puis on devoit éviter que ‘ce feu ne passe en Allemagne:’ p. 35*. Enfin la guerre facilitoit les intrigues du Roi de France. Mais il y avoit de nombreuses difficultés, parmi lesquelles il falloit compter surtout le manque de garanties, A. n.o 36 et l'article de la religion. On désiroit se soumettre au Roi d'Espagne, mais on ne vouloit, ni la persécution papiste, ni le régime Espagnol: ‘l'Empereur continue de dire que, tant que le gouvernement des Espaignolz sera aux Pays-Bas, il y aura tous les ans quelque semblable trouble;’ A. n.o 27. De même le Landgrave Guillaume de Hesse écrivoit au Comte de Nuenar (Cassel, 29 janv. 1574): ‘Wie ein bestendiger fridt zwischen Spanien und dem Prmtzen zue treffen sein möchte, damitt die guthen leuthe im Niderlande nicht auch wie in Franckreich beschehen, durch schetliche practicken und listige anschlege und guthem glauben betrogenn und uff die fleischbanck gelieffertt werdenn möchten, die mittell können wir, aldieweill das Spanische Regiment in Niederländen pleibt, bey uns nicht finden....’ (†MS. C.). Monseigneur, mardy dernier, qui estoit le premier du mois présent, je fus par ordonnance de Monsieur de Noircarmes transporté du lieu de la Haye à Harlem, et puis d'illecq à Amsterdam, dont hier au matin j'arrivay en ceste ville d'Utrecht. Là où aiant esté mandé devers Monsieur de Noircarmes, il m'a mis en mains la lettre qu'il avoit pleu à vostre Excellence m'escripre en date du xxviij novembre, responsives sur les deux miennes, pour le resgard de laquelle je ne sçauroye assez humblement remerchier vostre Excellence, ensemble et Messieurs des Estats, de la faveur qu'il vous plait me faire à continuer | |
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Ga naar margenoot+tousjours en la bonne opinion qu'avez jusques ores eu de moy, sans m'imputer à lacheté la faulte qui, à mon très grand regret, et sans que j'y peusse remédier, est advenue; joinct aussi qu'il vous plait avoir le faict de ma délivrance en recommandation. En quoy je supplie vostre Excellence de vouloir continuer, l'asseurant que toute ma vie je tascheray de desservir une telle grâce et faveur par tous très humbles services. Et, au regard de l'autre point principal, ores que vostre Excellence rejecte la conclusion de mes dittes lettres, comme préjudiciable et attirante plustost une ruine entière qu'une conservation du pays, si ne puis je sinon remerchier vostre Excellence et mesdits Sieurs des Estatz de ce qu'il leur a pleu prendre égard aux raisons que j'y avoye alléguées pour les balancer ainsi avec meure considération. Ce que me donne mesme quelque bon espoir que vostre Excellence, aiant encor de plus près examiné le tout, ne me trouvera si eslongné de la raison, comme du commenchement il luy a semblé. Et en cela je me fonde d'aultant plus que je voy que toutes ces difficultez que vostre Excellence allégue en sa ditte lettre, pour lesquelles l'on ne doive accepter mon advis, tombent principalement sur ce seul poinct que, n'y aiant nulle ferme ou bonne asseurance, nous serions pour tomber par là en beaucoup plus grands inconvéniens que oncques auparavant, à quoy aussy se rapportent les exemples alléguez en la ditte lettre. Or, parlant avec toute révérence, je ne puis entendre que cela puisse présentement estre aucunement [démiseGa naar voetnoot1], puisqu'il est seulement question de trouver moyen d'entrer en communication, et que j'avoy | |
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Ga naar margenoot+mis cela en avant comme une chose que nous eussions peu supplier, tombant sur le poinct que j'estime devoir estre le plus difficile, assavoir touchant ceux qui font profession d'une autre religion que n'est celle que tient le Roy, avec la plus grand part du pays; et quant aux asseurances, l'on viendroit par après à en traitter, comme du sceau ou confirmation des poinctz de costé et d'aultre; et en cas qu'alors l'on ne trouvast les asseurances suffisantes ou au contentement des parties, un chacun seroit aussi en son entier, comme dès le commenchement, hormis que la justice et équité d'un chacun en seroit d'aultant plus manifestée. De ma part, je ne puis dissimuler que, selon mon petit jugement, s'il plaisoit à Sa Majesté user de ceste gràce en nostre endroict, comme j'ay proposé en mes dittes lettres à vostre Excellence, et que nous en eussions bonne asseurance, j'estime que de tout le reste n'y auroit nulle ou bien petite difficulté; veu que, qui considérera toutes choses de près, trouvera à la vérité que la grande et continuelle rigeur que l'on a usée à l'extirpation de ceste religion pour laquelle si long-temps nous avons esté persécutez, a esté, aussi bien pardeçà comme par toute la Chrestienté, la seule et unique source et le motif principal de l'altération du peuple, au moien de laquelle consécutivement ont esté causez tous les désordres, dont la lettre de vostre Excellence faict mention. Ce que mesmes l'on a par cy-devant veu et trouvé par expérience du temps de noz ancestres, toutes et quantes fois que l'on a voulu par moyens si violents remédier à une chose qui de sa nature ne se peult extirper par violence, ains seulement par persuasions et enseignements. Et au contraire a l'on veu par plusieurs | |
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Ga naar margenoot+exemples, que là où le poinct que j'ay tousché en mes dittes lettres a esté accordé, tout aussitost ont esté les guerres et dissensions assoupies et tous désordres remédiez. Car quant à ce qu'il semble que vostre Excellence accuse la conclusion de mes dittes lettres comme notoirement préjudiciable à la gloire de Dieu premièrement, et puis aussi au salut et bien de la patrie, je la supplie de bien considérer le cours de tous les siècles passez, et le confronter soigneusement avec l'ordinaire des jugemens de Dieu et le naturel corrompu des hommes. Elle trouvera indubitablement qu'il n'y a croix ny persécution, quelque grefve et horrible qu'elle soit, qui tant obscurcisse, voire et foulle aux pieds la gloire de Dieu et efface toute cognoissance et vraye craincte d'icelluy, comme faict une semblable guerre, pleine de tous desbordementz, dissolutions, énormitez et licences, et par conséquent mère, procréatrice, et nourrice de toutes impiétez et horribles blasphêmes. Et de faict quant est-ce que nous nous plaignons que toute religion a esté prophanée, toute piété mise soubz les piedz, et toute vraye cognoissance de Dieu esteincte, sinon lors que la barbarie des Gothes, Vandales, et autres nations a ravagé par toute la Chrestienté comme un torrent impétueux, et, par le moyen de longues guerres, a comme ensevely toutes sciences et toute humanité; nous ramenant un chaos et confusion au monde, dont encores aujourd'huy nous ne pouvons nous en despétrerGa naar voetnoot1. Ce que je prévoy de rechef, par un juste jugement de Dieu, pancher sur la teste de noz enfans, si de bonne heure nous ne taschons d'arracher les semences de ces guerres intestines, qui desjà sont esparses par toute la | |
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Ga naar margenoot+Chrestienté, avec un dommage irréparable de la piété et cognoissance de Dieu que nous prétendonsGa naar voetnoot1 de planter. Et touchant l'autre poinct du salut et conservation de la patrie, si par supplication et intercession nous pouvions obtenir de la clémence du Roy quelque party aucunement tollérable, ores qu'il ne fut pas grandement à nostre advantage, certes, en parlant soubz correction de vostre Excellence, je suis d'advis que le pays en polroit estre conservé et apparentement relevé de ceste désolation, en laquelle il est prest pour tomber. Et, quant à nous, nous monstrerions par effect que nous désirons obéir au Roy et servir à nostre prochain, voire quand ce seroit avecq nostre incommodité. Et par aventure qu'avecq le temps Dieu fleschiroit le coeur de nostre Roy à quelque plus grande grâce, ou bien qu'il nous présenteroit quelque occasion de luy faire quelque très-humble service, qui luy polroit oster partie de la sinistre impression qu'il a conceue contre nous. Et, ores que rien de tout cecy n'adveint, si voy-je presques par toutes les histoires tant anciennes que modernes, qu'à l'issué de semblables guerres civiles se monstre évidemment qu'il eut mieux valu du commenchement embrasser quelque party aucunement tollérable, qu'après s'estre précipité aux extrêmes désolations de la guerre, tant dommageable à deux costez, estre finallement, ou du tout ruiné, ou bien contraint de recevoir party sans comparaison plus désavantageux que n'estoit celuy que du commenchement l'on pouvoit obtenir. Je ne raffreschiray icy les playes de noz voisinz, voire de nostre nation mesme; aussi n'allégueray-je l'ancienne guerre de Péloponnèse descrite de | |
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Ga naar margenoot+Thucydides et cogneue à vostre Excellence, qui nous peut servir d'un très clair miroir de ce que je vien de dire. Seulement touscheray-je les Romains, lesquelz, quelques amateurs qu'ilz fussent de leur liberté et républicque, eussent beaucoup plus faict pour eux-mesmes d'avoir quitté à César auscuns pointz qu'il demandoit, ores qu'ilz ne fussent conformes au pied de la lettre de leurs loix, que non pas, après avoir mené une grande et pernicieuse guerre civille, venir à la parfin entièrement dessoubz son joug, sans nulle réserve. Et mesmes encor alors valoit-il mieux supporter sa domination, qui retenoit encores quelque image et forme de républicque, que non pas, après l'avoir massacré au Sénat, s'envelopper de nouveau en cruelles guerres civilles et proscriptions horribles, et venir finalement à perdre, et le nom, et toute la trace ou apparence qui leur restoit de liberté et de républicque. Ce que je n'allégue pas pour faire aucune comparaison de tamps à tamps, ou personnes à personnes, mais seulement pour confirmer l'oppinion et advis, auquel j'ay tousjours esté, qu'il vault mieux en tamps et heure venir à quelque accord tollérable, que non pas attirer par la continuation de ceste guerre une ruine totalle sur ce pays. Mais par avanture que vostre Excellence dira cy-dessus qu'elle est du mesme advis, mais que l'on ne nous présente rien qui soit tollérable; là dessus je supplie vostre Excellence me vouloir ouir et croire, que j'ay veu en Monsieur de Noircarmes une telle et si bonne affection au bien et conservation de ce pays, que j'espère, voire et n'en fay nul doubte, que, si vostre Excellence et Messieurs des Estatz l'en requièrent, il s'employera très volontiers et fidellement pour intercéder vers Sa Majesté, et trou- | |
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Ga naar margenoot+ver voie à quelque bon appoinctement, qui soit au contentement de Sa Majesté et de ses pouvres subjectz. Et quant aux asseurances, on en parlera par après lorsqu'on aura projecté quelque pied; mais il fault premièrement que nous supplions celluy lequel, comme très bien dict la lettre de vostre Excellence, inspiré du Seigneur nous le peut promptement donner. Et pour cest effect je supplie très-humblement vostre Excellence que, pour le bien général de la patrie, elle dilligente ceste affaire, et vueille au plustost envoyer vers mon dit Seigneur de Noircarmes pour avoir asseuranceGa naar voetnoot1, afin de venir proposer noz doléances et entrer par ceste voye en communication. En quoy vostre Excellence se peut asseurer qu'il baillera la ditte asseurance si ample que ceulx que vostre Excellence y commectra, auront matière de contentement pour aller et venir seurement, de quelque qualité ou condition qu'ilz puissent estre. Et au reste j'ay grande espérance au Seigneur Dieu que la chose estant une fois encheminée par Sa divine clémence, Il ouvrira des moyens, meilleurs que nous sçaurions adviser, pour soulager ce povre peuple. Et pour tant je supplie de rechef vostre Excellence et la supplie autant humblement et affectueusement que faire je puis, que, ensemble avecq les dits Seigneurs des Estats, elle vueille prendre ceste affaire à coeur et la diligenter, affin que bientost on en puisse veoir quelque bon et heureux commenchement, lequel, à tout événement, servira tousjours pour tant plus manifester la justice de la cause d'un chacun et acquerra réputation envers tous hommes du monde à vostre Excellence, qu'icelle désire à bon escient le bien et tran- | |
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Ga naar margenoot+quillite de ce pouvre pays, lequel semble piéca tendre les mains vers vostre Excellence pour la prier que, tant qu'en icelle est, elle tasche de remédier à tant de misères et calamitez. Je prieray le Seigneur Dieu qu'il veuille donner à vostre Excellence l'esprit de conseil et sapience pour se gouverner en ce faict icy et en tous autres selon Sa saincte et divine volonté, au plus grand advanchement de Sa gloire et soulagement de Son pouvre peuple. Suppliant vostre Excellence prendre ce mien escrit de bonne part, comme procédant non pas d'aucune passion inconstante, causée de pusillanimité ou crainte de plus grande adversité, mais d'un vray et entier selleGa naar voetnoot1 et affection constante, premièrement à la gloire de Dieu, au service de vostre Excellence, et puis au bien et soulagement de nostre povre patrie. Comme je me confie que vostre Excellence croira et continuera à me tenir au rang de ses très-humbles serviteurs, dont je la prie d'aussi bon coeur, comme je prie mon Dieu qu'Il vous maintienne, Monseigneur, en sa très saincte protection et sauvegarde. Escript à Utrecht, en la prison, ce iiije de décembre 1573.
De vostre Excellence très-humble et affectionné serviteur,
Ph. de Marnix.
A Monseigneur,
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