Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome IV 1572-1574
(1837)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij
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[Préface]Depuis la publication du Tome précédent, j'ai passé près de six mois en France et en Allemagne, d'après les intentions du Roi et dans l'intérêt de ce Recueil. Il me seroit agréable d'entrer sur ce voyage en quelques détails. Je crois cependant devoir m'en abstenir. Il ne s'agit ni de moi, ni de mes sentiments d'affection et de gratitude, ni d'aucun souvenir personnel. Il s'agit des Archives de la Maison d'Orange-Nassau. Je n'ai pas prétendu recueillir soigneusement en tout pays ce qui s'y rapporte. Projet absurde, ten- | |
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tative chimérique, sûr moyen de consumer vainement ses forces! Vouloir tout faire, c'est en définitive arriver à ne faire rien. A mesure que j'avance dans la vie, si incertaine et, même quand elle se prolonge, si courte, j'aspire plutôt à restreindre qu'à étendre la sphère de mon activité. Aussi le Roi n'a-t'-il point désiré qu'interrompant longtemps mes travaux par de vagues recherches, j'allasse courir l'Europe pour rassembler de toutes parts des Manuscrits. Mais S.M. a jugé qu'un examen même rapide et superficiel de quelques dépôts historiques, me feroit découvrir plusieurs documents dont je regretterois plus tard de n'avoir pas eu connoissance; des Lettres, des actes qui, mis en rapport avec les papiers nombreux et importants dont sa confiance me permet de faire usage, leur donneroient et acquérroient eux-mêmes une double valeur. J'ai été heureux de m'associer par mes efforts à cette idée, nouvelle preuve de l'intérêt du Chef de la Famille d'Orange-Nassau aux nobles souvenirs de son auguste Maison. Mon choix fut bientôt fixé. J'ai cru devoir visiter Paris, à cause des nombreuses relations des Princes d'Orange avec la France; Besançon, pour les Manuscrits de Granvelle; Cassel, résidence | |
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habituelle des Landgraves de Hesse qui, surtout au seizième siècle, étoient unis, par des liens divers, à la Famille des Nassau. A Paris la Bibliothèque Royale, où M. Champollion-Figeac a daigné me servir de guide, m'a fourni d'utiles matériaux. J'ai puisé dans diverses Collections. Cependant je dois observer que j'ai peu consulté le riche fonds de Béthune, qui contient beaucoup sur les négociations avec François d'Anjou. Un de mes compatriotes,Ga naar voetnoot1 après un examen spécial, a fait transcrire, il y a plusieurs années, ce qu'il y a de plus intéressant sous ce rapport: espérant qu'on nous fera jouir du fruit de ses peines, je me suis dispensé de faire le même travail. J'ai été introduit aux Archives des Affaires Etrangères par M. le Conseiller d'Etat Mignet. La Correspondance de Hollande est du plus haut intérêt, mais ne remonte pas jusqu'à Guillaume Premier, et, si j'en fais mention, c'est pour remercier le Gouvernement François de m'avoir ouvert un si magnifique dépôt. Apparemment on a voulu reconnoître | |
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la magnanimité d'un Souverain qui le premier, faisant publier la correspondance intime de ses ayeux, a montré, par cet exemple, qu'il ne doit plus y avoir de secrets là où il peut y avoir d'utiles enseignements pour la postérité. D'après les informations que je dois à la complaisance de M. le Professeur Michelet, les Archives du Royaume ne renferment pas de documents relatifs à mes recherches. Dans les Archives de Simancas qui se trouvent au même local, il y a beaucoup de pièces concernant les Pays-Bas; mais M. Mignet en ayant fait prendre des copies pour son travail sur la Réforme, j'aurois, en luttant avec lui de vitesse, perdu de vue les intérêts de la science et mal reconnu les bontés de M. Mignet à mon égard. A Besançon j'ai vu la Révolution des Pays-Bas jugée par ses plus ardents antagonistes. Le Gouvernement François a décrété la publication prochaine d'une partie des papiers de Granvelle; c'est un nouveau bienfait que les études historiques devront à M. GuizotGa naar voetnoot1. La direction des travaux est confiée à | |
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M. le Bibliothécaire Weiss et à M. Duvernoy. Ayant leurs analyses et extraits à ma disposition, j'ai pu en quelques jours parcourir utilement beaucoup de volumes. C'est à eux que je le dois, et je me souviendrai toujours de leur bienveillance et de leur cordialité. | |
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Enfin j'ai trouvé à Cassel une correspondance volumineuse et peu connue, appartenant au seizième siècle et relative aux affaires militaires et religieuses des Pays-Bas. C'est un champ encore en friche et qui promet à ceux qui voudront le cultiver, de très larges moissons. Je remercie M. le Conseiller Schröder de me l'avoir indiqué. Quant à M. von Rommel, que j'appréciois déjà par ses écrits, je me rappelle bien volontiers ses entretiens instructifs et son aménité.
Sur le nombre et l'importance des documents recueillis il seroit superflu d'entrer dans des particularités. Le lecteur peut en juger. Auprès de chaque pièce on a marqué son origineGa naar voetnoot1. Il semble que cela suffit; et c'est donc indistinctement le contenu du Tome entier que nous allons récapituler.
Il y a ici deux cents Lettres ou Fragments. | |
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Vingt mois (octobre 1572-mai 1574) s'écoulent; remarquables par de frappantes alternatives de revers et de succès; remarquables surtout par la concentration de la lutte dans les deux provinces destinées à être le noyau autour duquel la République des Provinces-Unies devoit se former.
Le crime de la St. Barthélemy enlève au Prince un succès presque certain: il se jette en Hollande et Zélande, comme en un dernier retranchement. Les ennemis qui s'imaginent pouvoir aisément l'y forcer, apprennent bientôt le contraire à leurs dépens. On se dispute chaque pied de terrain. Haerlem ne succombe qu'après avoir, pendant sept mois, affronté les assauts, la peste, et la famine; grâces à ‘tant de gens de bien, qui’, comme écrit le Prince, ‘ont, par leur prouesse, surmonté la vertu ordinaire des hommes’ (p. 73). A Alckmaer, l'ennemi est, ‘reçu de si bonne sorte qu'il a esté constrainct de s'en retirer, laissant pour gaige bien mill hommes’ (p. 214). - Les Hollandois ne se bornent pas à repousser des attaques. Ils s'emparent du château de Rammekens, ‘dont avons matière de louer Dieu, car vous en sçavez l'importance, et espère que cela fera rabaisser | |
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l'orgueil de noz ennemis qui, aprez la rendition de Harlem, nous ont pensé avaller tout [vif], mais je m'asseure qu'ilz trouveront autre besoingne’ (p. 181). Le Prince se rend maître de Geertruidenberg: ‘l'ennemy s'en est trouvé fort estonné’ (p. 196). Les Espagnols capitulent à Middelbourg, après une défense longue et vigoureuse. ‘Un grand et furieux combat’ naval sur le Zuiderzee se termine par ‘la disroute de la mellieure partie de l'armée ennemye’ et la prise du Stadhouder de Philippe II, le Comte de Bossu (p. 121*).- Mais ces vives lueurs ont peu de durée. L'horizon s'obscurcit. Les ennemis se renforcent, et quand la Hollande, aux abois, attend avec anxiété le secours que lui amènent les Comtes Louis et Henri de Nassau, on apprend qu'ils sont défaits, et que ces Princes, nobles soutiens d'une cause en apparence désespérée, tous deux ont péri. Ce Tome commence et finit par un désastre. Chaque fois que les espérances renaissent, un coup de massue, c'est ainsi que le Prince appelle la St. Barthélemy, vient les anéantir; comme si, à travers les souffrances et les périls, la Hollande devoit apprendre, non seulement à doubler ses forces par la persévérance et l'énergie, mais surtout à ne pas se fier au bras de | |
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la chair, à regarder constamment en haut, à tout attendre du secours de l'Eternel.
Ce spectacle, admirable et digne de notre attention, ne doit pas exclusivement la fixer. Ici plus encore qu'auparavant, la Correspondance transporte à chaque instant en d'autres contrées. Le danger des Pays-Bas donne lieu à des complications diverses et devient l'objet de nombreuses négociations. Plus la résistance est longue et opiniâtre, et plus on commence à se ranger, à se presser autour des combattants. La Chrétienté est agitée par une double question; un double problême est posé, à la fois religieux et politique; la suprématie ou non du Papisme, la suprématie ou non de la Maison de Habsbourg: et c'est dans les Pays-Bas que ce problême va se résoudre, que cette question paroît devoir se décider. Là résidoit le dernier espoir de la cause Evangélique. En effet que voyoit-on ailleurs? En France les Huguenots abattus; en Allemagne la charité refroidie, la désunion entre les Calvinistes et les Luthériens, et Rome intriguant avec succès; en Angleterre la politique peut-être trop égoiste d'Elizabeth. Le Prince écrit ‘je prévoys clerement que, | |
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si ce pays est une foys abandonné et remis au joug et soubz la tyrannye des Espagnols, qu'en tous autres pays la religion s'en ressentira merveilleusement, voire, en parlant humainement, sera en termes d'estre à jamais desraciné, sans qu'il en aparoistra quasi une estincelle’ (p. 388). D'autres espérances se fondoient également sur les troubles des Pays-Bas. Tous ceux qui désiroient l'abaissement de la Monarchie, partagée, il est vrai, mais toujours prépondérante de Charles-Quint, voyoient avec une satisfaction secrète se prolonger une guerre qui occupoit les forces de l'Espagne et consumoit ses ressources. Protestants, leur sympathie pour des coreligionnaires se joignoit au calcul de leurs intérêts politiques; Catholiques, l'animosité contre la Réforme cédoit à des considérations diverses; tantôt, comme chez quelques Princes d'Allemagne, au désir de recouvrir ou de conserver une indépendance perdue ou menacée, tantôt, comme chez Charles IX, à la jalousie, compagne ordinaire de la rivalité.
C'est donc, dans ses rapports avec les Pays-Bas, l'Europe presqu'entière que nous devons considérer. Nous allons parcourir d'abord les divers pays | |
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étrangers, pour revenir ensuite à la Hollande, et aux efforts de la Maison de Nassau. - Est-il besoin de répéter que nous sommes loin de prétendre à rien de complet? Dans une galerie historique aussi vaste nous donnons une espèce de Catalogue raisonné: c'est assez pour ceux qui désirent y jeter un coup d'oeil; c'est peu pour quiconque poursuivant nos recherches, voudra approfondir ce que nous ne pouvions encore qu'effleurer.
Commençons par la France. On avoit voulu y anéantir la profession Evangélique, y terminer les discordes civiles par la perfidie et l'assassinat. Exécrable tentative et en même temps inutile et funeste. - Les Huguenots se débattent contre leurs atroces persécuteurs. Les Politiques, mécontents, en tout point, de la marche des affaires, repoussant la violence des Papistes, cherchent une issue dans un systême mitoyen, et fraternisent presque avec les Réformés. Le Roi, trompé dans son attente, est embarrassé de son déplorable succès.
Les relations du Prince d'Orange avec les Calvinistes de France ne cessèrent point par le massacre de leurs chefs. Quand on est lié par la même foi, | |
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les mêmes intérêts, la même cause, la sympathie redouble par un redoublement d'infortunes et de périls. Le Prince déplore le sort de cette ‘infinité de povres Chrestiens si cruellement à grand tort oppressez’ (p. 41); de ces ‘Seigneurs et gentilzhomes Franchois qu'il a pleu à Dieu garantir des mains de ces horribles massacreurs’ (p. 40). Il recommande vivement un Député qu'ils envoyent vers les Protestants d'Allemagne (p. 41). Il a avec les assiégés de la Rochelle de fréquentes communications (p. 43, 56). Les Réformés François viennent combattre à ses côtés (p. 160). Il désire que la Noue vienne servir les Etats. Après la mort du Comte Louis, il fait sonder le Prince de Condé, arrivé a Heydelbergh, s'il ne vouldroit accepter la charge de mener les gens de guerre vers ce pays,’ ce dont, écrit le Prince d'Orange, ‘viendroient à luy et à ceulx de la Religion en France plusieurs commodités’ (p. 393).
Le Prince inclinoit également vers les Politiques. Il étoit intéressé à la réussite de leurs desseins. Ils avoient de l'éloignement pour le Duc d'Anjou, idole des Papistes. Celui-ci, entraîné par divers motifs vers l'Espagne, dissimuloit assez mal ses | |
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inclinations. Il se défend de toute intelligence avec Philippe II (p. 26* et sq.); cependant Schonberg, négociant pour lui en Allemagne, écrit: ‘Je vous supplye encores un coup, mon bon maistre, prennez bien garde de ne donner occasion aux Electeurs protestants de supconner à s'imprimer davantaige en la teste que vous favorisiez les affaires du roi d'Espaigne en rien que ce soit. Ne luy faictes pas acte d'ennemy, si vous ne voullez; mais puys hola! si vous ne voulez vous faire désarçonner du tout’ (p. 15* et sq.). - Plus tard traversant l'Allemagne il ne déplut pas au Landgrave de Hesse, (p. 320), ni même à l'Electeur Palatin (p. 316). Quoiqu'il en soit, les Protestants et les Politiques désiroient l'écarter. C'est pourquoi eux aussi favorisoient son élection en Pologne; on ne s'étonnera donc point que le Prince d'Orange et le Comte Louis de Nassau y aient contribué: (p. 105). Le Landgrave, apprenant la déterminatíon de la Diète, ‘ce sera’, dit-il, ‘une bonne nouvelle (kein böser anplick) pour le Prince, et le Traité de Bayonne sera dissout’ (p. 108). Il y avoit pour les Protestants deux motifs de se réjouir; d'abord ce nouveau triomphe d'une Maison rivale devoit exaspérer Philippe II; puis on se promettoit d'enlever | |
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au Duc d'Anjou le Trône de France en lui assurant la Couronne de Pologne. Il s'agissoit de faire succèder le Duc d'Alençon. Ce personnage, d'une humeur ambitieuse et inquiète, se ménageoit des appuis dans le parti Evangélique, et donnoit de belles espérances aux Réformés des Pays-Bas. Le Comte Louis écrit au Prince d'Orange: ‘J'ai veu Mr le Duc d'Alençon, lequel, me pressant la main, m'a dict en l'oreille que, ayant à ceste heure-cy le gouvernement commeavoit son frère, il s'employera en tout pour vous seconder’ (p. 281). On se confioit au Comte Louis. Il savoit qu'on étoit ‘prest de remuer mesnage’ en France (p. 280). On se concertoit avec lui (p. 277). Après les événements de St. Germain, en mars 1574, lorsque l'activité de Cathérine eut déjoué les projets de ses antagonistes, Schonberg écrivant au Comte Jean de Nassau, ajoute: ‘pour l'amour de moi, brûlez cette Lettre; si elle venoit à être connue, ma tête seroit en danger’ (p. 385).
Le Prince négocie aussi avec Charles IX. Voilà ce qui doit surprendre au premier abord. Il discute, au printemps de 1573, les préliminaires d'une étroite alliance avec un Roi qui, peu de mois aupa- | |
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ravant, a livré les Protestants au fer des assassins et au délire de la populace. Comment concilier cette conduite avec ses devoirs envers le Roi d'Espagne, avec sa prudence accoutumée, et avec son zèle pour les intérêts des Huguenots? Nous croyons devoir nous en rapporter aux explications et aux renseignements donnés p. 108-113 et p. 263-277. Il suffira d'ajouter ici quelques mots. Sur l'obéissance due au Roi le Prince étoit plus scrupuleux que même le Comte Louis de Nassau (p. 270, in f.). D'ailleurs ce n'eût pas été un crime d'accepter, près de périr, un Protecteur contre une guerre d'extermination, faite au nom et par ordre du Souverain; surtout lorsqu'on désiroit se soumettre, à condition toutefois de n'être plus destiné à périr par le fer et par le feu. La prévoyance et la circonspection du Prince ne l'avoient point abandonné. Il se défioit de Charles IX. ‘Estant si fort blamée la perfidie en celuy qui pour son tiltre ordinaire vouloît usurper le nom Charle véritable, estant la tyrannie et cruaultés d'aultant plus reprochable que le tiltre estoit plus digne de louange, certes donc toujours viendront les Estats là dessus que, puisqu'il est question de estre soubs tyrans, encor vault-il mieux estre tyranisé | |
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de son Prince naturel que d'un estranger, comme desjà bien souvent ilz disent; laquelle opinion est desjà enracynée au ceur d'un chacun, ainsi que elle est conforme à la raison’ (p. 115). Où est donc, avec des sentiments pareils, l'explication de cette énigme? La voici. Le Prince aussi semble avoir acquis peu à peu la conviction d'un fait qui, longtemps contesté, ne semble plus, surtout après les documents publiés ici, être douteux; c'est que l'acte horrible qui pèse justement sur la mémoire de Charles IX, ne fut toutefois de sa part nullement prémédité. Dès qu'on admet la probabilité de cette supposition, le Prince pouvoit se flatter que le malheureux Roi, après des terreurs passagères suivies d'un emportement soudain, étoit revenu à sa pensée dominante, la jalousie contre l'Espagne dont il ne pouvoit souffrir la supériorité. Quant aux Huguenots, loin de les abandonner, le Prince croyoit hâter pour eux une paix avantageuse: même dans cette affaire le désir de leur être utile étoit un de ses principaux motifs. Ecrivant à ses frères; ‘j'espère,’ dit-il, ‘que ce ne sera sans fruict, voire quant il ne feroit aultre effect, au moins il pourra servir pour adoucir le coeur du Roy, et | |
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l'encliner à la paix, et désassiègement de la Roschelle’ (p. 133). Et en tête des articles qu'il envoye, on lit: ‘Premièrement que le Roy de France face paix avec ses subjects, déclarant expressément que il a esté abusé’ (p. 116). On trouvera quelques détails sur la Cour de Charles IX. Le Prince y avoit un agent, le Seigneur de Lumbres; dévoué, actif, fort habile à s'insinuer dans les bonnes grâces du Roi et de la Reine, qui même lui offrirent de le prendre à leur service (p. 165). Son séjour n'étoit pas superflu. ‘J'ai veu,’ écrit-il, ‘par expérience que tous tant qu'ilz sont auprès du Roy et de la Roine, aiant plustôt esgart à leur complaire et par ce moyen se maintenir, qu'à l'advancement d'un bon affaire, n'en osent parler qu'en tastant et par acquit; n'est qu'ilz soient pousséz de quelqu'un’ (p. 200). Dans le Mémoire no. 429a, on donne un conseil assez curieux sur la manière de se concilier la bienveillance de Cathérine de Médicis. ‘Un des milleurs moiens par lequel l'on puisse pratiquer pour retenir en vostre dévotion la Royne-mère, c'est d'escrire lettres au Roy, par lesquelles tout ce que l'on porra discourir d'honesteté, utilité, et nécessité en recommandation de suffisance et pour luy faire | |
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escheoir la souveraine administration de sa Couronne, que cela soit fect subtillement et à propos. - Pareilles lettres à la Royne, l'exortant.... de vouloir veiller de près sur le conseil du Roy...; l'admonestant aussy que ce tiltre et authorité de droict de nature luy appartient, que, comme mère du Roy, ces passions, qui ès aultres sont vicieuses, sont en elles louables et nécessaires’ (p. 166). Il n'étoit pas besoin de l'admonester vivement à ce sujet. La Famille Royale étoit, en général, bien disposée. La Reine-mère, aussi bien que le Roi, inclinoit à soutenir en Hollande les Réformés; sous main, et même, en cas de nécessité, ouvertement. On verra, par de nouveaux indices, que la Cour de France fournit des sommes considérables au Comte Louis. Quelquefois on sembloit pouvoir compter même sur le Roi de Pologne. ‘Si Dieu veult que la France et la Poulongne ensemble facent ce qu'ilz promectent. il y aura moyen, à mon advis, de merveilleusement bien accommoder noz affaires’ (p. 281). On peut admettre la sincérité de ces promesses, puisqu'une politique favorable au Prince étoit, sous plus d'un rapport, conforme aux intérêts de la France. Alors, comme plus tard, les partis contraires s'accor- | |
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doient à convoiter les Pays-Bas. On espéroit déjà y supplanter bientôt le Roi d'Espagne. En outre les démonstrations envers la Maison de Nassau se rattachoient à de plus vastes projets. La France, qui se paroit d'un beau zèle pour le maintien des libertés Germaniques, tâchoit d'acquérir une influence décisive en Allemagne. Même on avoit conçu un plan, dont l'exécution eut changé, au profit de la France, la force respective des Etats et leurs rapports politiques; il étoit sérieusement question de transporter à la Dynastie des Capet l'Empire, devenu presque héréditaire dans la Maison de Habsbourg (p. 268, 273). - Ce Tome est riche en détails sur cette importante négociation; surtout dans les nombreuses Lettres de Schonberg, où se cache, sous un style plein de vivacité, d'enjouement, et même d'une espèce d'abandon, une profonde habileté. - Ayant en vue un pareil but et sûre de rencontrer le plus souvent dans les Electeurs Catholiques des antagonistes décidés, la Cour de France, s'efforçant de faire oublier sa perfidie, mettoit tout en oeuvre pour rallier autour de soi les intérêts Protestants. Sous ses auspices se formoit en Allemagne une ligue désignée ici par le nom de ligue des Comtes, Graveneinigung; à laquelle des Electeurs, des villes, des nobles, et le Roi de Pologne | |
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aussi devoient participer (p. 224, 236). Que vouloit-on? S'opposer à l'Espagne et à l'Autriche. Par quels moyens? Avant tout, en portant secours au Prince d'Orange. Celui-ci le savoit: ‘La ligue est bien le principal poinct, et lequel, si avant que bientost il se pourroit mectre en train, nous apporteroit fort grand soulagement’ (p. 391).
Donc en France les projets d'agrandissement, d'alliance, et de suprématie étoient presque tous plus ou moins étroitement liés à la situation critique des Pays-Bas.
Passons en Allemagne. Il y auroit surtout ici trop à dire si, prenant la Correspondance en main, nous voulions avec quelque exactitude, passer en revue les personnages marquants. Bornons nous à les considérer dans leurs négociations, en premier lieu avec la France, en second lieu avec le Prince d'Orange; en rapportant tout à ces deux principaux objets, il sera plus facile de resserrer nos observations en de justes limites.
Le zèle persécuteur des Rois de France ne leur avoit point fait oublier leurs intérêts politiques. | |
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Depuis longtemps ils profitoient de toute occasion pour offrir aux Princes Protestants d'Allemagne leur appui. On comprend que ceux-ci, après la paix de St. Germain, lorsque les Huguenots vantoient les qualités excellentes de leur jeune Monarque, aient accueilli les propositions des agents de Charles IX avec une faveur très marquée. ‘L'Electeur de Brandebourg,’ écrit Schonberg, ‘est plein de bonne volonté’ (p. 2*). ‘Le Duc Jules de Brunswick est à vous à vendre et à dépendre. Je luy ay tellement lavé et nettoyé le cueur de tout le sang Espagnol et mauvais François dont feu son père en avoit le corps remply jusques à la gorge, qu'il n'en reste plus une goutte’ (p. 2* et sq.). L'Electeur de Saxe et le Landgrave de Hesse montrent un vif attachement pour la France. Toutefois ils songent aux devoirs que leur impose le lien et l'intérêt national. Ils frémissent à l'idée ‘d'encourir une telle reproche, blasme, et vitupère de vouloir appeler et mener en Allemagne des forces estrangiers.... Pour plusieurs grandes raisons les Princes ne debvoient entrer en aulcune promesse de vouloir envoyer ou demander des hommes de guerre.... Le secours debvra [se] faire en argent.... Le mot de ligue leur est aussy extrêmement odieux, et ne veulent | |
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ouyr parler que de correspondence’ (p. 6*, 7* et sq.). Bientôt on apprend que Coligny et des milliers de Protestants sont égorgés: partout en Allemagne s'élève un même cri d'indignation et d'horreur. Il n'y a que l'Electeur de Saxe qui, d'après Schonberg, semble devoir bientôt se calmer. Je crois fer-‘mement,’ écrit-il déjà en octobre, ‘que l'Electeur ne se fust pas monstré si rétif, mais les dangereuses attaques que les aultres Princes luy donnent, le mectent en ceste perplexité’ (p. 15*). Ultra-Luthérien il étoit disposé à admettre les calomnies contre les Chefs Calvinistes: aussi Schonberg écrit-il: ‘La dépesche de V.M. du 13 sept. nous a infinement servi pour adoucir la volunté de l'Electeur de Saxe et les cueurs de ses conseillers’ (p. 19*). Néanmoins partout les négociations sont interrompues: le Landgrave ‘ne peult comprendre comment en ceste récente mémoire des choses advenues, on pourroit les remectre sus’ (p. 26*). L'Electeur Palatin surtout repousse avec force toutes les offres de Charles IX. Il ne veut entendre parler de rien sinon d'entretenir toujours bon voisinage avec lui. ‘Schonberg a voulu persuader à son Excellence d'entendre à la dicte traictée en tant qu'elle concerne l'asseurance de l'estat | |
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de chascun; surquoy il a esté payé que, si Dieu ne conserve l'estat de son Excell., ung Roi de France sera trop foible pour le conserver, et que Dieu déteste telles confédérations qui ostent la confiance an Dieu et les fonde sur les bras des hommes, et que le peuple d'Israël aye esté tousjours chastié rigoureusement quant il s'a appuyé sur l'appoinctement d'Egipte’ (p. 32). La rupture ne fut pas de très longue durée. Quand dans la conduite horrible de Charles IX on crut voir le mouvement irréfléchi d'un Roi à peine sorti de l'adolescence, nourri dans les alarmes, et auquel on avoit fait accroire qu'il étoit entouré de factieux et de conspirateurs; quand la paix avec les Huguenots fut devenue un indice et un gage de meilleures dispositions, les Princes Evangéliques prêtèrent de nouveau l'oreille à ce que la Cour de France leur faisoit insinuer. Cependant ils étoient combattus par des sentiments divers. De là une divergence très prononcée, qui se manifeste surtout par rapport à la succession éventuelle au Trône Impérial. Le pieux Electeur Palatin, décidément Calviniste, et qui cherchoit à ‘calvinizer le monde’ (p. 71), embrassoit avec ardeur un projet qui, favorable aux Huguenots, devoit augmenter leur influence | |
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en Allemagne. ‘Vous ne sçauriez croire,’ écrit Schonberg, ‘la dévotion que monstre le Conte Palatm, depuis la paix faicte, à vouloir complaire à leur Majestez’ (p. 114*). L'Electeur de Saxe et le Landgrave étoient moins complaisants. Le premier, ami de l'Empereur Maximilien, s'indigne des prétentions de Charles IX, et Guillaume de Hesse, malgré son attachement héréditaire pour la Couronne de France, répond: ‘Je me garderai bien aussi de vous conseiller de nous élire un chef étranger, dont nous n'aurions rien de mieux à attendre que les grenouilles en recevant la grue pour Souverain’ (p. 123*).
Voilà envers la France les dispositions des Princes Allemands. Mais que faisoient-ils pour le Prince d'Orange et les Pays-Bas? Que faisoient surtout l'Electeur de Saxe, le Landgrave et l'Electeur Palatin; c'est-à-dire ceux dont l'exemple avoit le plus de crédit?
Selon sa coutume, l'Electeur de Saxe est plein de réserve et de froideur. Aux sollicitations du Comte Louis il fait répondre qu'il ne sauroit conseiller aucune démarche violente, aucune voie de | |
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fait (p. 125*). On diroit presque qu'il regrette la résistance héroique de Haerlem; ‘le rétablissement de la paix,’ écrit-il, ‘en deviendra plus difficile’ (p. 32*). Sans doute; mais, si les opprimés ne font que courber la tête, quel genre de paix est-ce qu'on leur accorde?
Le caractère et la conduite du Landgrave étoit bien différents. Sa piété, sans être moins vive, étoit plus éclairée. Libre de toute animosité de secte, il s'intéressoit partout aux progrès du Protestantisme Chrétien. Ayant appris la mort de Coligny, ‘le bras de l'Eternel,’ écrit-il, ‘n'est pas raccourci, et la conservation de Sa sainte Parole ne repose pas sur tel ou tel personnage, mais sur le rocher de la foi’ (p. 14*). Informé par l'Evêque de Munster que les Espagnols font des préparatifs, auxquels la Hollande ne sauroit résister, ‘vous pouvez voir,’ répond-il, ‘dans les livres de Moïse, des Rois, et des Machabées que le Seigneur Dieu a fait souvent détruire par un petit nombre de gens de grandes armées; principalement celles qui vouloient extirper Sa Divine Parole’ (p. 295). Il considère les Réformés des Pays-Bas avec faveur et pitié. ‘Ils tenteront tout, avant de se laisser | |
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dévorer vifs’ (ehe sie sich gar lassen fressen, p. 294). Il tâche de leur procurer la paix (p. 97), d'autant plus que la guerre, par la diminution des péages et du commerce, avoit fait perdre à la Hesse dans une année plus de cent-mille florins. Ceci, pour le Landgrave, pesoit beaucoup dans la balance. Désirant assurer à ses Etats un repos durable au milieu du trouble général, circonspect et pas toujours peut-être exempt de quelque manque de sincérité (p. 56*), il devenoit à force d'être prudent, presque craintif, et poussoit le soin de ses propres intérêts jusqu'à l'égoisme. Jamais il ne veut se mêler de ce qui ne le concerne pas d'une façon directe (p. 55*). Quand des Princes Allemands exposent leur vie pour la Réforme, il condamne ce mouvement généreux. Il est disposé à servir la bonne cause, mais sans faire trop de sacrifices, et surtout sans courir des risques. C'est Guillaume le Sage, prêt à aider les malheureux de son influence et de ses conseils; ce n'est plus Philippe le Magnanime, prêt à se dévouer pour eux.
Celui-ci sembloit plutôt revivre dans l'Electeur Palatin. A Heidelberg la cause des Pays-Bas avoit des partisans zélés. | |
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Les conseillers Ehem et Zuléger étoient pleins d'ardeur pour les intérêts Evangéliques. Le premier avoit un grand crédit en Allemagne. Voici un jugement comparatif de Schonberg: ‘Nous trouvons le Docteur Ehem plus traictable et plus rond et entier que Zuléger qui a tousjours le faict de ceulx de la religion de France en la teste et en la bouche;’ p. 297. Effectivement Zuléger (on s'en apperçoit dans la Lettre 467) voyoit de mauvais oeil les émissaires rusés d'un Monarque assassin. Se défiant des hommes, il se confioit en Dieu ‘Quant aux affaires du Païs-Bas,’ écrit-il au moment où tout sembloit désespéré, ‘il faut les laisser entre les mains de ce bon Père Céleste, auquel l'yssue est cogneue, et combien que, selon le monde, il y aye peu d'apparence, toutesfois j'espère encores bien; car, quant il n'y a plus de conseil auprès des hommes, lors la délivrance Céleste se montre, affin que tout honneur luy demeure seul’ (p. 31.) Les fils de l'Electeur partageoient les sentiments de leur père et imitoient son exemple. Le Duc Jean-Casimir ‘fit un grand bien’ au Prince d'Orange en brûlant deux cents milliers de poudre envoyés au Duc d'Albe (p. 229 et 233). Il étoit trop confiant en- | |
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vers la France (p. 318, in f.). Le Comte Louis le considéroit beaucoup: ‘L'on nous baille bonne espérance du Duc Casimir de vouloir faire quelque chose de bon, et de faict il a désiré de pouvoir communicquer avecques mon frère et moy pour prendre une résolution, à quoy tiendrons la main, comme pourrés penser’ (p. 315). Le Duc fit des démarches auprès de l'Electeur de Saxe (p. 127*); là se bornèrent, pour le moment, non ses voeux, mais ses efforts. Quant à son jeune frère, il prit deux fois part à la guerre des Pays-Bas; d'abord en 1572 (‘Le Duc Christoffle a défaict deux compagnies de reitres d'un nommé Brempt’; p. 8*); ensuite en 1574, lorsqu'il mourut en combattant. Son père supporta Chrétiennement la perte d'un fils qui méritoit tant de regrets (p. 367). La pensée dominante de l'Electeur c'étoit d'obéir à Dieu, par sa résignation, aussi bien que par son activité; jamais il ne perdoit de vue les interêts de la foi. Si lui aussi se rapprochoit un peu trop de la France, remarquons toujours quels points le père et les fils mettent en avant, ‘le maintinement de leur religion, et l'asseurance et seureté qu'ils doivent avoir de leur vouloir infalliblement garder ce dernier poinct, qu'est celuy dont ils sont seulement en peine:’ | |
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(p. 111*). D'un caractère francet décidé, ne reculant devant aucun sacrifice, parcequ'il suivoit, à travers les obstacles, le chemin du devoir, l'Electeur étoit las des demi-mesures, las d'une politique timide et sans vigueur; et nous publions un Mémoire où les motifs qui devroient porter à des résolutions décisives, sont développés de sa part avec force et clarté (A, no. 82).
On étoit sourd à sa voix. Il y avoit beaucoup d'apathie, pour le moins beaucoup de tiédeur. - Le Duc de Clèves ne montre pas plus de courage qu'auparavant; méprisé des Espagnols, il en éprouve du dépit (p. 26). - Le Comte de Nuenar laisse percer, à travers des paroles de sympathie et de commisération, le désir de ne pas se compromettre. ‘Il me fault partir ce matin avecq ma petite ménage, pour aller à Mörs et y tenir casa, par commandement de Monsieur mon maistre (le Duc de Clèves), et ce contre ma voulunté et contre l'opinion de plusieurs’ (p. 29). Dans une seule occasion il semble devenir plus actif; c'est lorsqu'il appréhende quelque dommage personnel. Les soldats du Prince d'Orange veulent se rassembler en sa terre de Créfelt; ils ont ‘mis pied à l'endroit de sa Comté | |
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de Meurs’ (p. 187), c'est là ce qui crie vengeance et excite son indignation, plus que toutes les calamités dont il est le témoin. - Beaucoup d'autres étoient comme lui plongés dans une coupable indifférence et dans un lâche repos. Le Princé d'Orange exhortoit sans se rebuter. ‘Vous voyez,’ combien il est nécessaire que, ‘si les Princes d'Allemagne estiment que ceste affaire les touche, comme certes elle faict bien grandement, que promptement et sans dilay ilz mettent la main à l'oeuvre, en m'envoyant secours d'argent et de gens, ou bien acheminant les affaires à quelque bonne paix’ (p. 4). Il disoit avec raison: ‘à la vérité, les longueurs d'Allemagne nous tuent’ (p. 371), et Marnix pouvoit s'écrier: ‘Je désirerois apprendre si en Allemagne les Princes et les Seigneurs ne se réveilleront jamais de leur sommeil’ (p. 23).
Disons un mot d'un personnage dont il est souvent question, l'Archevêque de Cologne. Il étoit tombé, comme tant d'autres, de la superstition dans l'incrédulité; ennemi du Papisme et protestant contre le joug de Rome, sans vouloir se soumettre à celui de Jésus-Christ (p. 337). On l'excitoit à se détacher de l'Espagne et à braver le Pape en manifes- | |
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tant ses opinions ouvertement. Il y a ici plusieurs pièces relatives à cette négociation (Lettre 475 et no. 475a et 475b); entr'autres un Mémoire, où le Landgrave a écrit en marge quelques observations laconiques par leur énergie et leur briéveté. En voici un exemple. ‘Je ne veux pas rester Ecclésiastique,’ avoit dit l'Archevêque; ‘je veux résigner mon bénéfice; ensuite je ne m'oppose pas à ce que le feu du Ciel vienne embraser toute la boutique’ (Sein Churf. Gn. möchten leiden dasz der plitz und hagel in disz leben schlueg; (p. 343). A côté de ce voeu on lit, de la main de Guillaume de Hesse, Amen!
Voyant avec inquiétude la puissance de l'Espagne, ses intrigues et ses ambitieux projets, plusieurs grands personnages Catholiques, par exemple l'Evêque de Munster, (p. 85) et l'Archevêque de Mayence (ibid, et p. 131*), étoient accessibles aux démarches des Princes Protestants en faveur des sujets de Philippe II.
Il seroit injuste de passer sous silence Maximilien II: plusieurs passages de la correspondance lui font honneur. Il défend Coligny quand l'Ambassadeur | |
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de Charles IX, pour excuser le meurtre, veut changer la victime en criminel. ‘Je ne doy vous celer, Sire, que l'Empereur m'a monstré d'avoir quelque opinion du fait diverse de ce que je lui ay fait entendre’ (p. 13*). ‘Comme je luy répétois les occasions certaines qu'en avoient donné ceux qui en avoient porté la peine, il me dict que, quand on veut faire une chose, on ne demeure jamaìs à faute de trouver couleur et prétexte’ (p. 21*). Son confident Schwendy, ‘le plus idoine de tous ceux que le Prince voudroit pouvoir prendre à son service’ (p. 391), d'après Schonberg, ‘un aussy fin galland qu'il y en a au monde’ (p. 115*), et certes opposé à tout systême persécuteur, employoit sans doute son influence en faveur des Pays-Bas. L'Empereur, bien qu'il crut devoir assister plus ou moins le Duc d'Albe (p. 79* et p. 233), multiplioit ses efforts pour déterminer le Roi d'Espagne à user de clémence et à pacifier ses Etats (p. 285, in f). Il avoit aussi en vue les intérêts de l'Autriche; mais, d'après son caractère et ses actes, on doit admettre que ce ne fut point là son unique motif.
Voyons maintenant L'Espagne. Nous sommes à | |
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même de donner plusieurs détails intéressants. D'abord il y a (p. 146, sqq.) des observations fort justes sur la position de ce Royaume en général; sur les difficultés et les périls qui surgissent de tous côtés, et semblent, malgré une force apparente, présager un affoiblissement prochain. - Puis des particularités relatives aux intrigues de Cour: au parti de la guerre et à celui de la paix (p. 31*), le premier guidé par le Duc d'Albe, le second ayant le Prince Ruy Gomez et sous lui le Duc de Médina-Celi pour chef. ‘Le Duc de Médina travaille aussy tant qu'il peult pour mectre de l'eau sur ce feu, avant qu'il soit plus embrasé’ (p. 33*). - En parlant de ces divers personnages nous avons tâché (p. 257-260), de recueillir et de communiquer avec exactitude et simplicité ce que la correspondance dépose à leur égard. De même pour le Cardinal de Granvelle (p. 257). Ennemi de la Réforme et Ministre de Philippe II, il n'étoit nullement porté pour les Espagnols; il vouloit ‘du mol avec le dur’ (p. 35*). On ne lui conteste pas, il est vrai, des qualités éminentes, mais peut-être, sous le rapport du caractère, l'a-t-on trop sévèrement jugé. Il est probable que, lorsque ses papiers seront livrés au public, il y aura, tout en faisant la part des torts | |
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et des vices, matière à la révision du procès. Ces réhabilitations historiques ont un côté dangereux; car, si l'on aime, évitant un examen sérieux et difficile, à s'abandonner au courant de préventions presqu'universelles, on peut aussi trouver une satisfaction secrète à renverser une opinion long-temps admise, et même le désir d'être impartial peut conduire à la partialité. Nous le sentons doublement lorsqu'il faut parler du Roi d'Espagne: ici le terrain devient très glissant. Il faudra donc s'en tenir le plus soigneusement possible aux documents: c'est là, ce nous semble, le meilleur préservatif contre des chûtes et des écarts. On a trop vanté Philippe II; on s'est fait une trop haute idée de ses talents. Il avoit quelques unes des qualités dont un Roi ne sauroit se passer. - Sa physionomie ne trahissoit pas ses desseins. L'Ambassadeur de France écrit à Charles IX: ‘Je ne puis juger de l'intention du Roy Catholicque, lequel est extrêmement saige dissimulateur et ne se laisse entendre où il a ses pensées’ (p. 93*). ‘Il est peu communicatif de ses pensements et délibérations, aimant mieux travailler à escrire de sa main les choses qu'il veult taire, qu'en faire son commandement à personne du monde’ (p. 95*). Il | |
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aimoit le travail; même il poussoit cet amour à l'excès. ‘Il se réserve toutes choses, qui le rend extrêmement chargé et travaillé, et tient ung procéder qu'il respond et veoit toutes les affaires et les départ toutes où elles se doibvent respondre, où elles demeurent le plus souvent immortelles, ou qu'elles soient ou de grande ou de peu de conséquance, de manière qu'il n'en vient rien mieulx’ (p. 330, in f.). Mais cette habitude dont la défiance étoit probablement la source, avoit des inconvénients d'autant plus graves que la liberté d'esprit, indispensable pour avoir des vues larges en politique, succomboit chez lui sous cette activité de détail. Si on s'est exagéré les talents, d'autre part on a trop décrié le caractère de Philippe. Il n'étoit pas le sanguinaire ennemi de ses propres sujets. Il désiroit sincèrement terminer les troubles, et eût volontiers fait d'importantes concessions pour y parvenir. ‘L'on cognoist bien que, non obstant tous les préparatifs de guerre, le Roy Catholicque a toutes ses cordes tendues pour composer les troubles des Pays-Bas’ (p. 32*). Et l'Ambassadeur de France écrit à Charles IX; ‘Je diray à V.M. en ferme conscience que ma moindre meffidance seroit sur le | |
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Roy Catholicque pour le cognoistre Prince qui se contanteroit de la paix’ (p. 330). Sous ce rapport il est plus sage que tous ses ministres ensemble; je cuide que tous ses dessaings seroit de bien garder le sien, tenant ses estats bien pacifficqués; (p. 331). Malheureusement le seul point sur lequel les Protestants ne pouvoient se relâcher, la libre profession de leur foi, étoit précisément le seul quele Roi ne pouvoit jamais accorder. Zélateur du Papisme il se croyoit tenu envers Dieu à cette inflexibilité. Il est curieux de le voir se défendre (p. 354) contre l'injuste soupçon qu'il assistoit sous main les Huguenots: l'Ambassadeur ajoute: ‘Il me dict tout cela avec tant de véhémence et affection qu'il passa assez son ordinaire de procedder, qui me feit voir asseurément que c'estoit chose de quoy il se sentoit picqué et dont il ne vouldroit estre imputé’ (l.l.). De même dans son conseil, concluant tous à la paix, venant à résouldre, il a respondu à toutes les propositions, ces propres mots: Plustost me voir mort que de consentir en ce concert chose qui soit contre mon honneur et réputation’ (p. 336, m f.). Le sens de ces mots, dans sa bouche, ne sauroit être douteux. Plaignons, condamnons Philippe, et réservons le | |
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mépris pour la Maison de Valois. La conduite du Roi d'Espagne envers la France, au temps de la Ligue, a été l'objet de reproches en partie mérités. Mais on a trop peu tenu compte des menées et des perfidies par lesquelles il étoit poussé à bout. La Cour de France dissimule, après la St. Barthélemy, les encouragements donnés au Comte Louis; cachant ce qu'il y a eu dans ce massacre d'involontaire et de subit, tâche de s'en faire un mérite envers l'Espagne; et prodiguant les assurances de bonne volonté, que fait-elle aux Pays-Bas? Elle yattise le feu. A Madrid ses agents adjurent le Roi, ‘pour l'honneur de Dieu et Son Eglize,.. de n'entendre jamais à la paix aveques le Prince d'Orenge’ (p. 18*): en Allemagne ils combattent l'inclination du Prince d'Orange et des siens prêts à se réconcilier avec le Souverain. On flatte et cajole Philippe, tandis qu'on devient l'allié secret de ses ennemis. ‘De costé de France il n'y a que mensonges et tromperies’ (p. 31); voilà le résumé de cette détestable politique. On doit déplorer l'opiniâtreté de Philippe; toutefois il sacrifioit des intérêts à ce qu'il croyoit être la vérité. Quand il aimoit mieux perdre ses Etats que de règner sur des hérétiques, il y avoit de la noblesse et du dévouement dans ce choix, et l'on ne | |
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sauroit douter qu'il ne s'imaginât servir la Religion, même lorsqu'il s'opposoit avec le plus d'acharnement à l'oeuvre de Dieu. A la Cour des Valois, au contraire, nul principe, nulle croyance; pas d'autre mobile que les intérêts et les nécessités du moment; le plus parfait égoïsme joint à la plus profonde immoralité.
L'Angleterre nous reste. Ce que nous pouvons en dire est peu de chose. Les encouragements que donnoit la Reine, étoient rares et tardifs. ‘Touchant la Royne d'Angleterre,’ écrit le Prince d'Orange en oct. 1572, ‘j'y ay envoyé Boisot, mais n'ay encor nulle responce’ (p. 5). Et plus tard, en février 1573: ‘Les Ambassadeurs des Estats m'ont escrit que elle ne s'en vouloit mesler, et qu'il n'y avoit nulle espérance de ce costé là’ (p. 51). Cependant par fois elle donnoit des espérances (p. 313 et 370): car il falloit préserver du désespoir. Il est assez difficile de pénétrer les motifs de sa politique (p. 7-9). Peutêtre faut-il se rappeler que son attachement à la cause Evangélique étoit balancé par la répugnance à encourager une résistance armée, dont elle n'apprécioit pas toujours assez le caractère et les motifs. | |
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Elle s'en repentit plus tard. Au moins Mornay écrit en 1583 au Sécretaire d'Etat Walsingham: ‘Pour le Pais-Bas, si dès le commencement la Reine eust tenu la ligue qui s'estoit traittée, les choses ne fussent au poinct où elles sont, et n'eussent esté en celui où elle a esté très marrie de les voir.’Ga naar voetnoot1 Ainsi se vérifia ce que le Prince annonçoit en 1574. ‘Les Anglois se pourroyent avecq le temps bien appercevoir du dommaige, qui, s'attendant aux événemens et yssues de nos affaires, ont, comme ils estimoient, par grande prudence tousjours voulu temporiser’ (p. 388).
Beaucoup promettre et peu tenir, sembloit la devise non seulement des alliés douteux, mais aussi de presque tous les soutiens naturels de la cause Evangélique. ‘Je vous prie,’ écrit le Prince au Comte Jean, ‘de vouloir tenir la bonne main soit vers le Roy de France, le Roy de Pologne, Duc d'Alençon, Palatin, Ducq de Saxe, Brandenbourg, et aultres diverses, afin qu'ilz voullussent une fois prendre une résolution, sans nous tenir tousjours en suspens; car par si long délays les affaires se pourroyent avec le temps changer de la sorte que | |
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eulx et nous pourrions tomber en inconvéniens inespérez’ (p. 379). Voyons maintenant quels sont, pendant que l'Europe délibère, les actes et les sacrifices de la Maison de Nassau.
Ici nous avons à parler des quatre frères pour la dernière fois.
Le Comte Henri suivoit l'exemple de ses aînés et partageoit leurs travaux. Vaillant et devoué il vécut peu; assez cependant pour prouver qu'il méritoit d'appartenir à sa glorieuse Famille (p. 398).
Le Comte Jean montre toujours une infatigable activité. Il négocie avec l'Electeur Palatin (p. 43*, 96*); avec le Landgrave, Schonberg, le Comte de Retz (p. 352), et d'autres personnages de la France et de l'Allemagne. C'est surtout lui qu'on charge de conduire l'affaire délicate de Cologne (p. 210). ‘Singulier spectacle,’ écrit Ehem, de voir le Comte Jean et moi avec un Nonce du Pape et ses compagnons Jésuites à la table de l'Electeur, mangeant et buvant ensemble; tandis | |
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que l'un désiroit le mener à Dieu et l'autre à Satan’ (p. 340). Il y a de quoi s'étonner en voyant dans une foule d'endroits de la Correspondance la multitude d'expédients et de combinaisons que mettent en avant les Comtes de Nassau, tantôt pour secourir Haerlem (voyez dans la Lettre 424 une longue Consultation à cet effet); tantôt pour surprendre Anvers, ou Bergen op Zoom, ou Maestricht; tantôt pour rassembler des troupes et se frayer un passage à travers les Espagnols. Que si tant de peines, tant de travaux étoient rarement couronnés de succès, le Prince, comme l'écrit Marnix, ‘savoit très bien toutefois qu'il ne tient à la bone diligance et affection de vos Seigneuries, et pour autant faut prendre la volonté de Dieu en gré, espérant que par Sa miséricorde Il aura pitié de son pauvre peuple affligé, puisqu'Il cognoit les tamps et saisons oportunes’ (p. 153). - Mais le Comte Jean ne faisoit-il que négocier? Sans doute il s'exposoit moins souvent que ses frères aux périls. En voici le motif. ‘Quant à vous,’ lui écrit le Prince, ‘oires qu'en vérité il n'y auroit personne plus propre et idoine, si est-ce que jammais je ne vous oserois importuner, sachant fort bien qu'il n'y auroit aucune raison de mettre toute nostre Maison en hazard de | |
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le perdre; aussi est-il necessaire qu'il y ait tousjours quelque ung par delà qui tienne correspondence, tant avecq les Princes d'Allemaigne, qu'aultres Potentatz et villes, ce que personne ne peult mieulx faire que vous, tant pour l'entière affection que je sçay que vous avez à ceste nostre juste cause, qu'aussy pour ce qu'estes fort bien imbu de la pluspart de nos affaires, ayant mesme cognoissance de ce qui s'est traicté avecques les Roys de France et de Poulongne, la Reyne d'Angleterre, les aultres Princes et villes’ (p. 391). Malgré ces exhortations, quand il s'agissoit de combattre, il refusoit quelquefois de se tenir à l'écart. Nous en donnons une nouvelle preuve, jusqu'à présent, assez géneralement du moins, ignorée (p. 369). Accompagnant ses frères jusque près du Mookerhei, une circonstance imprévue le préserva d'être enveloppé dans un même désastre, et le Prince d'Orange, au milieu de l'épreuve, put encore admirer les voies et reconnoître les miséricordes de l'Eternel.
Le Comte Louis, après tant d'agitations, de fatigues, et de revers, étoit, surtout depuis le siège de Mons, fort maladif. Se trouvant en octobre 1572, | |
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près de Cologne, en route vers-Dillenbourg, il ‘n'a pu encore se mectre en chemyn sans danger de sa personne’ (p. 18); il devra ‘donner ordre tant au vieulx mal que à celuy de la fiebvre qui luy est survenu de nouveau’ (ibid). En mai 1573 dans un très petit billet, qui même n'est pas autographe, il écrit au Comte Jean n'avoir ‘peu faire plus ample responce au Prince à cause de la maladie en laquelle vous m'avez laissé’ (p. 96). Malgré l'affoiblissement du corps la vigueur de l'âme étoit la même. Le Prince savoit apprécier ce caractère ardent et généreux: ‘Je cognoy,’ lui écrit-il, ‘vostre diligence telle et si bonne affection qu'il n'est besoing de vous aiguillonner par parolles’ (p. 88). Le Comte aimoit à aller droit et vite en affaire: ‘il m'a dict,’ écrit Schonberg à la Reine-Mère, ‘plus de vingt fois, s'il n'avoit bientost une résolution de Voz Majestez, qu'il prendroit party et qu'il ne pensoit estre obligé à rien, si on traînoit ces choses à la longue’ (p. 45*). Quand il s'agit de secourir, de sauver ceux qui résistent courageusement à l'oppression, il ne souffre ni détours, ni délais. ‘Le Conte a dict et redict rondement, si dans peu de jours il n'a une responce résolue, qu'il ne peult, ny veult faire perdre | |
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l'honneur à tout jamais à son frère, et à ces pauvres gens qui favorisent leur cause, les biens, le sang, et la vie’ (p. 38*). Il préfère la mort à ce qui ressemble au déshonneur. Le bruit s'étant répandu qu'à la capitulation de Mons, il avoit promis de ne plus combattre contre le Roi d'Espagne, ‘Jamais,’ dit-il ‘on ne m'a proposé chose pareille, et jamais je n'y eus consenti’ (p. 17*). Ajoutons que son courage n'étoit nullement irréfléchi. Si par fois il se laissoit emporter par sa valeur, nous croyons avoir montré, et spécialement par rapport à sa dernière expédition, qu'en lui adressant des reproches, on a confondu le dévouement avec la témérité (p. 358, 364, 398). Brave soldat, capitaine habile, il semble avoir eu des talents supérieurs en politique. Mêlé aux négociations diverses que nous avons rapportées, il étoit par ses relations, peut-être aussi par son caractère, en même temps sérieux et jovial, l'intermédiaire pour les rapports qui se formoient entre la France et l'Allemagne. Il croyoit, en transférant la Couronne Impériale à une autre Famille, obtenir pour les Protestants, une liberté plus grande et mieux assurée. En 1572, avant la St. Barthélemy, | |
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il dit à Charles IX ‘le premier jour qu'il arriva au soir, et plusieurs fois encoires pendant le traicté du mariage du Roy de Navarre, que... les Seigneurs Princes Protestants... luy portoient si bonne affection que, dévisans quelquefois entre eulx, ilz soubhaitoient l'avoir pour Seigneur, le cas advenant qu'on en deust faire élection’ (p. 83* et sq.). Dans la suite ce fut encore lui qui en Allemagne recommanda ce plan (p. 97*-107*). Si, comme il est assez probable, il en eût le premier l'idée, on voit qu'il mettoit dans ses combinaisons politiques la même audace qui l'animoit sur le champ de bataille. Rarement quelqu'un inspira une confiance si générale et si illimitée. Quel est le secret de cet ascendant? Moins encore son incontestable habileté que sa franchise, sa droiture, sa loyauté, ce qu'il avoit d'ouvert et de généreux. Ses ennemis mêmes ne pouvoient lui refuser leur estime. Ainsi après la capitulation de Mons, à laquelle il fut contraint par la mutinerie des soldats (p. 16*), ‘Don Fréderic et le Duc de Médina-Celi sont venus l'aborder avec les plus grandes marques de respect; et Don Fréderic lui a fait beaucoup de compliments, protestant que là où il pourroit lui rendre quelque | |
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service, il le feroit aussi volontiers qu'à son plus proche parent. Voilà ce qu'en présence du Prince d'Orange et du Duc Christophe le Comte Louis a lui-même rapporté’ (p. 17*). Mais, plus on faisoit cas du Comte Louis, plus on redoutoit son esprit entreprenant, sa vigueur, son audace. Morvilliers, donnant à entendre que le Prince d'Orange et les siens pourroient, réconciliés avec l'Espagne, troubler la France, observe que ce ‘danger est véritablement à craindre, pour le regard mesme du Conte Ludovic, homme prompt à tenter toute fortune, et qui a grande réputation entre ceulx de ce Royaume de la nouvelle opinion’ (p. 61*). Schonberg écrit: ‘s'il y avoit quelque anguille sous roche, je m'asseure que le Conte Ludovicq en seroit de la partie’ (p. 74*). Il désire l'écarter de la France, ‘le mettre en besoigne, l'enbarquer ailleurs,’ (p. 81*), et garantir ainsi Charles IX ‘des menées et entreprinses de ce personnaige-là, qui est ung des plus dangereux et que vous avez occasion de craindre le plus, pour beaucoup grandes considérations, et principalement à cause du singulier crédit et autorité qu'il a auprès de tous les Princes Protestants’ (p. 75*). Craint par ses antagonistes, il étoit adoré de ses | |
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amis. ‘Le Conte Ludovicq,’ écrit Schonberg, ‘est pour le Landgrave un demy-Dieu’ (p. 96*). En effet, froid et réservé envers le Prince d'Orange, il traite le Comte du ton le plus amical (p. 85 in f.). Schonberg sollicite ses bons offices en Pologne; et ce ‘en considération que son tesmoignage est très authentique auprès des Protestants, de quelque nation qu'ils soient’ (p. 54*). On peut en conclure combien ceux de Hollande dans leurs angoisses devoient languir de le voir arriver. ‘Vostre présence m'est nécessaire;’ lui écrit le Prince, ‘aussy tout le monde la désire’ (p. 182). ‘Tout le pays vous attend comme un ange Gabriel’ (p. 74). ‘Les Etats et tous les Hollandois ne font que crier après le Comte Louis’ (p. 138).
Deux documents sont particulièrement caractéristiques. D'abord un billet autographe relatif à la défaite des Espagnols dans un combat naval. ‘Louange et reconnoissance à l'Eternel pour cette grâce signalée; car, aussi longtemps que Dieu permet que la mer soit libre, les affaires du Prince ne sauroient guère aller mal. Maintenant un grand coup frappé dans ces récentes blessures (ein gutter | |
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streich inn disse frische wunden) auroit un bon résultat. Dieu aidant, on y songera sans délai’ (p. 119*). Le premier mouvement est une pensée de gratitude envers Dieu; le second un désir de profiter du succès pour en remporter un nouveau. L'autre pièce, sans contredit une des plus curieuses de notre Recueil, est une Remontrance à Charles IX. Toujours négociant, prodigue de promesses vagues, et de paroles inutiles, le Roi de France continuoit la guerre contre les Huguenots et prenoit les avertissements du Comte en mauvaise part. ‘S.M. veult le tout interpréter comme si on luy voulloit donner loy en son royaulme’ (p. 82*). Louis de Nassau soupçonnant de la mauvaise foi, nullement d'humeur à laisser un temps précieux s'écouler en délibérations inutiles, veut en finir. Dans ce Mémoire, sous des formes polies, il y a de la franchise, de la force, et beaucoup d'habileté. Il s'adresse à la conscience du Monarque, sans rien adoucir, sans rien pallier. Le Roi ‘a voulu forcer les consciences de ses subjectz’ (p. 85*). Il s'est baigné en leur sang (p. 89*). Et quel a été le fruit de ces atrocités? ‘Par le dernier massacre et troubles présens l'Espagnol a plus affoibli S.M. que s'il eust faict la guerre trente ans’ (p. 85*). Il est des- | |
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titué de la plus fort colomne de sa couronne, qui est l'amour et bienvueillance de ses subjectz, et son Etat resemble à ung viel bastiment qu'on appuye tous les jours de quelques pillotis, mais enfin on ne le peult empescher de tomber’ (l.l.) Maintenant que le Roi ne s'y trompe point: s'il veut des Alliés en Allemagne, il doit ‘cesser de tourmenter ses pouvres subjectz de la relligion’ (p. 89*): il doit ‘cesser de leur faire la guerre, qui est le vray et seul fondement sur lequel S.M. peult rebastir de nouveau sa réputation et tout ce qu'elle voudra avec les Princes Protestans; car aultrement il n'est possible de rien avoir’ (p. 83*). Sans perdre de vue ce qu'il doit à la Majesté Royale, ‘il ne peult oublier d'advertir S.M. qu'on comence par deçà à se fascher et ennuyer de façons dont on use en France pour négocier, descouvrant qu'on ne procède point rondement et ne se sert-on que de dissimulation, comme ung hameçon’ (p. 87*). Un souvenir vient donner encore du nerf à sa pensée; c'est celui de Coligny. ‘On apperçoit’ dit-il, ‘ès lettres et paroles de S.M. tant de faintes qu'on ne se peult fier que de bonne sorte; comme après les lettres que S.M. escrivit au dit Seigneur Prince despuis la blessure de Monsieur l'Ad- | |
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miral, luy faisant entendre l'extrême desplaisir qu'elle avoit receu d'ung tel accident et qu'elle en feroit une si exemplaire justice qu'il en seroit mé moire à jamais; à deux jours delà, elle la [fist] assez mal’ (p. 87*, in f.). Ce n'est pas tout. Souhaitant que le Roi obéisse à la voix de la justice et de l'équité, le Comte ne fait pas dépendre des Grands de la terre l'avancement du règne de Dieu. Celui qui tombera sur la pierre que le Seigneur a posée maîtresse du coin, en sera froissé, et celui sur qui elle tombera en sera brisé: Charles IX fera bien de se rappeler qu'on n'extermine pas la religion: ‘c'est une affection enracinée ès coeurs des hommes, qu'on ne peult arracher avec les armes’ (p. 89). Par la persécution il ne peut s'attirer que des malheurs: ‘Continuans en ses déportemens, tout ne luy peult réusir qu'à mal et à bander encores davantaige Dieu et les hommes contre luy’ (p. 90).
Il falloit citer ce document. On y retrouve et la noblesse et la piété de celui qu'on pourroit appeler le Bayard des Pays-Bas, chevalier sans peur et sans reproche, mais que Théodore de Bèze honoroit d'un plus beau titre: ‘ce grand Dieu vous a faict de longue main son champion’ (p. 373). | |
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Le mobile de sa vie fut un dévouement complet, ayant pour source une foi pure et simple à l'Evangile de Christ. Il nous sera permis, après tant de renseignements nouveaux, d'exprimer le voeu qu'il trouve, pour l'instruction de la postérité, un biographe qui, comprenant son caractère, soit digne de retracer ses actions!
A côté de trois frères si distingués par tout genre de mérite, le Prince d'Orange néanmoins se maintient au premier rang. Sans argent, sans secours, sans ressources, avec des soldats indisciplinés, des amis souvent foibles et incommodes, des partisans douteux, seul tenant le gouvernail, il semble, comme le pilote au fort de la tempête, grandir encore par les difficultés et les périls. En vain épuise-t-on en Allemagne toutes les ressources de la famille, en vendant perles, joyaux, argenterie, et chaque objet précieux (p. 210), le Prince est hors d'état de pourvoir aux nécessités les plus urgentes. ‘Nous venons trop court de beaucoup’ (p. 396). ‘La faulte d'argent et de crédit entre gens de guerre nous oste les moyens de secourir Haerlem’ (p. 130). ‘Par les grandes | |
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et trop extraordinaires charges qui nous surviennent de jour à aultre, les dépenses croissent aussi continuellement, qui nous a déporté une extrême courtresse d'argent, voire telle que je crains cela nous causera indubitablement une révolte du peuple’ (p. 284, in f.). Le genre des troupes qui viennent à son secours, est une nouvelle cause de soucis. Les Chefs donnent souvent l'exemple de la rudesse, de l'avarice, et de la cruauté. Les soldats, attirés fréquemment par le désir du gain, sont intraitables dès que les résultats ne satisfont pas leur cupidité. ‘Les Anglois deviennent plus difficiles et mal volontaires de jour en jour et s'en veullent retirer... Aucuns des Franchois suyvent le mesme pied, et tout ce mal ne nous vient que à faute d'argent’ (p. 196, in f.). Même les habitants des villes, exaspérés par les persécutions et les massacres, commettoient souvent les plus graves excès. ‘Ceux de Bomele ont mené la Dame de [Vendeburch] prisonnière avec ses filles, la menassant de pendre, lui ravi tous ses meublez... Mais le Prince d'Orenges l'at faict délivrer, disant qu'il ne faict guerre aux dames, mais aux Espaignolz’ (p. 382). Le Prince, quels que fussent les coupables, n' usoit pas de ménagements: ‘Il a faict pen- | |
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dre ung sien maistre d'hostel qu'avoit faict foulle... Il faict grande justice, aiant deffendu que l'on ne touche aux gens d'Eglise, ny au païsant de Brabant.’ Confident de Granvelle, le Prévôt Morillon, écrivant ces lignes au Cardinal, ajoute: ‘Si l'on faisoit justice de nostre costel, les affaires yroient mieulx’ (l.l.). Pour les Magistrats, le Prince ne pouvoit trop s'y fier. Plusieurs, entrainés à regret par le mouvement général, désirant se ménager une perspective de pardon, inclinoient à livrer les villes aux Espagnols. ‘L'ennemy,’ écrit le Sécretaire du Prince, ‘necesse, tant par lettres qu'aultrement, faire révolter le peuple de par deçà; en quoy il se trouve assez secondé d'une partie des Magistratz, et mesmes ceux de Haerlem, qui ont envoyé leurs députez à Amsterdam vers le Conte de Bossu requérir leur pardon, luy donnans à entendre tout l'estat de la ville’ (p. 34). La bonne volonté des Etats étoit d'un très grand prix; car ils tenoient la bourse et cette bourse n'étoit pas facile à délier. Quelquefois cependant cette difficulté cessoit; car, quand le péril est grand, l'égoisme même devient libéral. ‘Quant à l'argent,’ écrit le Prince, ‘les Estats m'ont accordé, à la vérité, | |
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une belle et grande somme, et m'esbahis qu'après tant defoulles et desgâts du païs, ils le peuvent encoires trouver’ (p. 395, in f.). Des éloges; pasencore de plainte. Cependant on voit percer déjà un manque d'énergie, un esprit de défiance et de domination. ‘Les Etatz,’ écrit le Sécretaire, ‘tirent toutes choses en longueur’ (p. 39). Un Capitaine, Ernst von Manslo, s'est retiré en Allemagne; parcequ'il voioit ‘les Estats si mal résolus et affectionnés à condescendre à leurs demandes que d'une mauvaise volonté en service du Prince’ (p. 314). Une grande partie de la population étoit Catholique, et foiblissoit a chaque offre de pardon. Beaucoup de gens, aussi beaucoup de Protestants, émigroient, et d'ordinaire peu sensibles à des maux vus de loin, enlevoient au pays une grande partie du peu de ressources qui lui restoit (p. 63, sqq.). Marnix trouve expédient que les reitres pour avoir leur payement, arrêtent en Allemagne et ailleurs ‘tous les fugittiffs de Hollande, pour les mestre à priz... Certes par là nous recouvrions un double bien, car eux seroyent payés, et nos fugytiffs contraints de retourner à la maison’ (p. 156). Mais on ne pouvoit atteindre tous par ce moyen; car sans partir eux-mêmes, ‘plusieurs habitans des villes | |
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ont, par divers moyens, sauvé leurs biens hors du Païs’ (p. 181). Souvent on répondoit fort mal à la confiance du Prince. Le Sécretaire écrit au Comte Jean: ‘Les désordres qui sont esté en Hollande devant la venue de Son Exc. sont esté si grans que je crains de là vient tout le mal, tant icy que celluy advenu au quartier d'Overyssel, et faisoit fort à espérer que ceulx ausquelz son Exc. et Vos Seign. se sont reposées, se fussent quelque peu plus esvertuez’ (p. 38). Souvent même, pour éviter quelque dommage personnel, on risquoit le salut de tous, en n'exécutant pas les ordres donnés. ‘Oires que par réitérées fois son Exc. avoit commandé de percer la dycque entre Sparendam et Amsterdam, pour empescher tout passaige à l'ennemy, par la practyque toutesfois d'aulcuns cela n'avoit esté faict, comme il estoit bien requiz, tellement que l'ennemy eust moien s'approcher de Sparendam (p. 36).’ Le Prince avoit à lutter aussi contre les exigences de ses amis. C'est ainsi que résistant aux Réformés, qui, malgré les promesses faites aux Catholiques, vouloient proscrire partout le Papisme, il trahissoit, disoit-on, la Religion et se préparoit à rétablir la Messe (p. 61). | |
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Le peuple, en général, avoit de fort bonnes dispositions. Mais pouvoit-on y compter? Le Prince répond: ‘Ce pays est de sa nature inconstant et légèrement esmeu’ (p. 132). ‘Je treuve le peuple partout fort volontaire, mais la première fortune qui nous survient, tout zèle se pert’ (p. 182). ‘Je vous prie que hastiez voz affaires, pour animer quelque peu le peuple de deçà, qui s'en va du tout découragé’ (p. 243). ‘Les courages ne se refroidissent... que trop’ (p. 244). ‘Il n'y a peuple au monde qui plustost se resjouit de quelque bonne nouvelle, aussi n'y a-il son pareille qui pour quelque sinistre accident plustost est abatu’ (p. 388). Il est à craindre ‘que par la longue continuation de ceste guerre le peuple ne se révolte par deçà, comme il en donne de grandz indices’ (p. 247). - Les bourgeoisies montrèrent souvent un dévouement sublime. L'énergie est communicative; et le Prince savoit allumer et nourrir ce feu dans les esprits. Partant du coeur, son éloquence étoit efficace. ‘Après son Excellence fist assembler tous les capteins et chiefs de son Armada, et de bouche leur ramentevoioit de leur charge, les advisant de quelle grande importance et conséquence les affaires de Zélande | |
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estoient, avecq démonstration de la souver de ceste guerre, et que à ce respect debvoient employer tout leur pouvoir pour la deffence de la religion, franchises et privilèges de la patrie; [ce] que tellement encouraga les soldats, que tous d'une mesme voix respondirent qu'ils estoient prests d'assister à son Excellence jusques à la dernière goutte de leur sang, et que, plustost que d'abandonner la cause, aymeront myeulx de servir ung an sans recevoir maille, voire à encharger tout ce qu'ils ont en ce monde’ (p. 307). Le Prince étoit seul. Ce n'est pas qu'il n'eût auprès de lui des serviteurs et des conseillers, dont il apprécioit le zèle, les talents, et la fidélité. Marnix, dont nous publions quelques Lettres dignes de lui; Brunynck, dont le style a quelque chose d'enjoué et de caustique (voyez surtout les Lettres 397 et 415); Dathénus, dont les écarts ont trop obscurci le mérite (p. 217). Tseraerts, ‘fort misérablement tué,’ écrit le Prince, ‘à mon très grand regret, pour y avoir perdu ung gentilhomme d'honneur et fidèl serviteur, quoy que plusieurs, ou par envie, ou par pure ignorance, taschent à le blasmer et luy oster toute bonne renommée’ (p. 213). Mais de tels hommes, aptes à s'acquitter avec talent | |
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des charges et emplois que le Prince leur confioit, n'étoient pas à la hauteur de conférer avec lui sur la position des affaires en rapport avec l'ensemble de la politique. Celui qui peut-être en étoit capable et auquel le Prince s'en fut ouvert, Marnix, fut longtemps prisonnier: ‘A mon très grand regret le Seigneur de St. Aldegonde, qui aultrement se monstroit vaillant, ayant esté délaissé de ses soldatz, a esté prins’ (p. 239). Soupirant après la venue de quelque personnage qui put assumer une partie de sa reponsabilité; n'ayant, séparé de ses frères, personne avec qui il put s'épancher, il ne cesse d'écrire combien cet isolement lui devient difficile à supporter. ‘Je n'ay personne pour en affaires si urgens me prester ayde ou couseil’ (p. 177). ‘Noz affaires sout en assez bons termes, moyenant que j'eusse quelque ayde, m'estant impossible de supporter seul tant de travaulx et le comble de si grans affaires qui nous surviennent d'heure à aultre, tant en faict des finances, de guerre, que des aultres affaires politycques, et n'ay personne pour m'y sublever, point ung seul homme, dont je vous laisse penser en quelle peine je suis’ (p. 191). Je n'ay ung seul homme pour m'assister, moins encore seconder aux affaires de si grand poix’ | |
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(p. 197). ‘Les affaires s'en iroyent sans doubte toujours méliorant, si je fusse quelque peu secouru et soubzlaigé de tant de peines et travaulx qu'il me convient porter tout seul’ (p. 212, in f. et sq.). ‘Je vous laisse penser que ayant à pourvoir à tant de lieux et me trouvant icy seul, de quelles peines et travaulx je me trouve environné’ (p. 122*).
Par sa position, (p. 1), ses talents, surtout aussi par son caractère, le Prince étoit celui autour duquel tous venoient se rallier. C'est là un fait manifeste. Un fait d'ailleurs qui se reproduit aussi souvent qu'un grand homme se trouve en face de grands périls. La jalousie, les défiances, l'envie se retirent, sauf à reparoître avec une double énergie, lorsque le danger sera passé. Tous, par intérêt et presque par instinct, suivent celui qu'ils sentent seul capable de les guider. Nous ne voulons rien exagérer, mais nous ne pouvons taire ce que les documents attestent. Et néanmoins dès que nous louons le Prince, ou plutôt dès que nous faisons remarquer des actes qui méritent d'être loués, on soupçonne que nous composons un panégyrique. Cette idée disparoîtra à mesure qu'on examinera la source où nous avons puisé. | |
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Toutefois dès à présent nous tâchons d'éviter jusqu'aux apparences qui pourroient justifier de semblables suppositions. Voici comment. D'abord nous publions, sans réserve, tout ce qui nous semble important ou utile à publierGa naar voetnoot1: Puis, dans nos re- | |
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marques, nous ne faisons que répeter et transcrire ce que chacun est libre de collationner. Qu'on s'en prenne donc aux documents si, dans l'âme du lecteur, l'éloge vient se placer à côté du récit.
C'est ainsi qu'on ne sauroit feuilleter ce Tome sans rencontrer à chaque instant des preuves de la persévérance du Prince, de son désinteressement, et de sa piété. Dans cette foule de passages nous ne pouvons citer que quelques uns des plus frappants; l'embarras du choix est ici la grande difficulté.
Sa persévérance. - Nous n'avons qu'à ouvrir le volume. | |
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Tout fléchit, il résiste. L'unique espoir, quant aux moyens humains, étoit du côté de la France, il est changé en épouvante et terreur. On se retire; Mons capitule; en peu de jours plus de ‘quarante enseignes de gens de pied se sont mis en une vilaine etignominieuse fuit’ (p. 4.). Le bouleversement subit des affaires ‘a tellement estonné les villes de tous costez qu'il-y-a grand changement de courages partout, tellement que les mieux affectionnez se trouvent fort esbranlez’ (p. 3). Et le Prince? ‘Je suis résolu de partir vers Hollande et Zélande pour maintenir les affaires par delà, tant que possible sera, ayant délibéré de faire illecq ma sépulture’ (p. 4). A quelques mois de là, nouvelle crise. Haerlem se rend. Le Prince avoit tout fait pour la secourir. Il n'avoit cessé de prier ses frères, qui certes ne se relâchoient point, ‘à vouloir employer tous leurs sens et moyens pour désassièger la ville de Haerlem’ (p. 88). ‘Ce seroit grand dommage et faict de conscience de laisser ainsy périr tant de gens de bien’ (p. 73). ‘Je vous laisse penser la honte et confusion que ce seroit de laisser perdre une ville qui s'est maintenuz si vertueusement et le desplaisir | |
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que nous en recevrions oultre la disréputation’ (p. 95). ‘Son Exc. est party vers Leyden, pour illec adviser des moyens que l'on polroyt tenyr pour aider ceste pauvre ville de Haerlem, estant résolu de metre le tout pour le tout, prenant Dieu pour son aide’ (p. 153 et 161). Il avoit voulu payer de sa personne. Le désir exprès des Etats l'empêcha de prendre part à un dernier effort (p. 169). Toutefois cette ‘entreprinse’ qui n'aboutit qu'à un terrible échec, étoit ‘très hasardeuse et entièrement contre son opinion’ (p. 175). ‘Toute nostre conservation et salut,’ disoit-il, ‘gist en célérité, affin que la ville de Haerlem puisse estre secourue. Que si cela ne se faict bientost, je voy cest affaire venir en ung piteux estat’ (p. 87). ‘Nous tomberions en ung estat misérable à cause du desconfort du peuple, voyant que n'avons en si longtemps peu secourrir une ville qui a si bien faict son debvoir; vous entendez assez quelle en seroit la conséquence; certes non aultre que celle que j'ay dict’ (p. 88, sq.). ‘Il est fort à craindre que, si ne la secourrons de bref, nous tomberons entreGa naar voetnoot1 grans inconvéniens, lequel | |
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polroyt attirer nostre totale ruyne’ (p. 129). Eh bien! Haerlem succombe. Le découragement est général: ‘vous povez penser la perplexité où ils [sont] voyant aller leurs affaires de ceste sorte....; les coeurs des habitans de par deçà s'affoiblissent de plus en plus, les couraiges se perdent, plusieurs se retirent, et les finances sont espuisées, tellement que ne nous reste quasi moien quelconque pour soustenir longuement’ (p. 176, et sq.). Mais regardant au Prince qui écrit ces lignes, que voyons nous? Résignation, et de plus confiance en Dieu et redoublement d'activité. ‘J'avois espéré vous envoyer melieures nouvelles de la ville de Haerlem; et toutesfois, puisqu'il a pleu autrement à ce bon Dieu, nous fault conformer à Sa Divine volonté: je prens ce mesme Dieu en tesmoing d'avoir faict selon mes moyens que me sont esté donnez tout ce que m'a esté possible pour [la] secourir. Et n'ay obmis chose quelconque que j'ay estimé pouvoir servir à ung si bon effet’ (p. 175). Le Dieu fort est son allié (p. 178), et il ne songe qu'à employer les ressources qui lui restent; ‘rendant toute la peine du monde pour trouver argent, à fin de pouvoir remectre noz gens en ordre et dresser nouveau camp’ (p. 181, in f.). | |
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Voyons encore. - Après les revers quelques succès; on respire: mais ce n'est qu'un instant. L'Espagnol envahit presque toute la Sud-Hollande; le Prince va se trouver cerné. Que fait-il? ‘Il semble que les ennemys sont délibéré d'assiéger ceste ville de Delft, et que par là me seroit osté le moyen de tenir plus aulcune correspondance avec vous, ny aussy avec les aultres villes.... Je sçay bien que plusieurs trouveront assez estrange si je me laisse enserrer icy dedans; mays, tant pour garder mon honneur que pour ne décourager le peuple icy que ailleurs, a esté trouvé bon que je ne bouge d'icy dedans’ (p. 241 et sq.).
Venons en aux nouvelles preuves de désintéressement. Souvent on a cru que le Prince nourrissoit la discorde pour en profiter. On pourra se convaincre qu'en faisant la guerre, il désiroit la paix. Qu'exigeoit-il? ‘Une paix bonne et asseurée, telle qu'elle soit à l'advanchement de la gloire de Dieu, contentement de S.M., bien et repoz de ses subjectz’ (p. 299). ‘Ne voy autres articles à proposer, sinon, que la religion Réformée, selon la parolle de Dieu, et l'exercice d'icelle soit permis, et | |
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puis la République et tout le pays remis en ses anciens privilèges et liberté, et que pour cest effect les estrangers et nommément les Espagnols qui sont en quelque Gouvernement ou soldats, ayent à se retirer ..... Que si l'on nous veut octroyer ces points et bailler bonne asseurance d'iceux, l'on verra par effect que je ne désire rien tant que la paix et le repos publicq et que ne suis opiniastre pour suyvre aucune mienne opinion contre ce qui seroit raisonnable’ (p. 50). Ce n'étoit pas trop exiger. Les Députés de l'Empereur à Francfort eux-mêmes ont déclaré au Comte Louis qu'avant tout il faut s'accorder sur deux points; que l'Inquisition soit abolie et le Gouvernement des Espagnols fini (p. 106*). Plus de régime étranger; telle étoit l'opinion aussi du Landgrave Guillaume et de l'Empereur Maximilien (p. 286). Mais ces points comment les obtenir? Comment surtout avoir des garanties suffisantes de leur exécution! L'Electeur de Saxe nullement porté à considérer la cause des Pays-Bas sous un jour favorable, avoue écrivant à Guillaume de Hesse que ce doit être là un bien grand obstacle, surtout après que le Duc d'Albe a violé envers plusieurs villes la foi | |
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jurée (p. 32*); le Landgrave lui répond: ‘Je ne saurois trouver de moyens ni d'assurance pour un pareil traité, surtout dans ces temps pleins de tromperie, et à cause du souvenir récent de la perfidie envers l'Amiral’ (p. 37*). Le Prince avoit raison de dire: ‘Toute la difficulté gist au poinct de l'asseurance pour les exemples passés et plusieurs fois réitérez, aussi pour tant de serments qu'ils ont fait de ne tenir nuls semblables contracts, et mesmes pour ce qu'ils se persuadent d'en pouvoir estre absouts par le pape, et pour cette cause n'estiment aucunement y estre tenus; je voudroye bien que les Princes mesmes advissassent entre eux de mettre quelques moyens en avant, sur lesquels nous peussions estre bien asseurez; veu que de ma part je confesse de n'en pouvoir trouver nuls, au moins qui pouroient aucunement estre acceptés du Roy: pourquoy je vous prie d'y adviser, et si l'on trouve que la chose soit faisable, je ne faudray à y condescendre pour ma part, et y induire les Estats du pays tant qu'il me sera possible’ (p. 50, 51). Connoissant le Roi, le sachant inébranlable en ce qui touche les intérêts du Papisme, il craint, non sans motif, que les ouvertures d'accommodement | |
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ne soient ‘sinon ruses.... Aussy ne puis-je me persuader qu'il voudra jamais contracter aucune paix avec ses soubjects, si ce n'est soubs forme de pardons’ (p. 114). ‘Les ennemis samblent de rechef mectre la paix en avant....; le tout ne le font que pour nous tromper et endormir...., et nous prendre peult-estre au dépourveu’ (p. 251). Celui qui veut éluder une conciliation, que fait-il? A mesure que l'ennemi devient traitable, il devient exigeant; augmente, modifie ou dénature les articles qu'ila proposés. Le Prince, après avoir fixé consciencieusement la limite, ne prétend pas la dépasser. En juin, se rapportant à une Lettre écrite en février, ‘Quant aux conditions... ne sçay aultre pied que l'on poroit prendre’ (p. 157). Et en novembre: ‘Quant aux conditions de paix que nous vouldrions mettre en avant, je vous en ay aultre foys escript et n'en sçauroys encore présentement proposer autres, sinon que, retirant les Espaignolz et aultres estrangers hors du pays, l'on nous accorde libre exercice de la parole de Dieu selon Son commendement, avec restitution des droictz, privilèges et anciennes libertez du païs, pour ainsy faire vivre les subjects de sa Maj. soubz l'entière obeissance d'icelle’ (p. 237). | |
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Il y a encore le témoignage non suspect de Schonberg. ‘Le Landgrave a faict tout ce qu'il a peu pour dégouster le Conte Ludovicq de la pacification des Pays-Bas; mais le Conte luy a dict rondement que ce n'est en sa puissance d'empêcher le Prince son frère, ni les Estas, qu'ils n'y entendent; si ce n'est que bientost... on entrast au party que sçavez avecques le Roy’ (p. 52*). Et ailleurs: ‘Je cognois à toutes les actions, négociations, et déportements du Conte Ludowig qu'ils sont résolus (pour le moins bien fort enclins) à embracer une pacification au Pays-Bas, moyennant qu'elle soit quelque peu honorable et qu'ils y voyent de la seureté’ (p. 46*). Que s'il pouvoit encore y avoir quelque doute, rappelons nous ce que la position du Prince avoit de décourageant et de critique. Pourvu que le Roi offrit des conditions tolérables, que pouvoit-il désirer de plus? ‘Quant à la poursuite... pour avoir la paix, je le trouverois fort bon, mais je y vois petite apparence’ (p. 229). ‘Je vous prie de mettre par delà au plustôt ordre, afin qu'il y soit remédié par une paix ou par une bonne levée pour nostre secours, n'estant aultrement possible de maintenir plus longtemps’ (p. 285). ‘Je vous prie de tenir la main à ce que..., si c'est à bonne escient | |
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que l'on propose, que nous en puissions bientost avoir quelque résolution, considéré que de jour à aultre nous nous trouvons plus bas des moyens et de crédit, et semble impossible de le soutenir à la longue’ (p. 114). L'acheminement vers la paix étoit pour lui une bonne nouvelle (p. 72). - A chaque instant il étoit près de périr: un traité honorable pouvoit le sauver. Comment n'eût il pas désiré voir couronner ainsi ses pénibles travaux?
‘Vous savez assez,’ écrit le Prince à ses frères, ‘que mon intention n'a jamais esté, et n'est encores de chercher tant peu que ce soit mon particulier; ains j'ay seulement aspiré et prétendu à la liberté du pays, tant au faict de la conscience comme de la police, que les estrangers ont tâché d'oprimer’ (p. 50). ‘Le Prince,’ écrit l'Electeur Palatin, ‘est intimement convaincu qu'abandonner une cause commune à tous, et qui concerne la gloire et la Parole de Dieu aussi bien que la liberté du pays, seroit perdre son honneur, sa réputation, et une bonne conscience, le plus grand trésor sur la terre, et jeter honteusement les pauvres sujets des Pays-Bas dans la gueule du tyran’ (p. 129*). | |
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Le Comte Louis, dans un Mémoire à l'Electeur de Saxe, où il justifie la conduite du Prince, s'appuye sur des faits: ‘Il n'est pas né sujet, mais appartient aux Etats de l'Empire;... il s'est retiré devant son Maître, quand celui-ci a usé de violence, sans admettre personne à se justifier. Il n'a pas voulu retenir Anvers, Malines, Amsterdam, Valenciennes, toute la Hollande, la Zélande, et l'Archevêché d'Utrecht, qu'il avoit entre les mains. Dans le sentiment de n'avoir rien fait de condamnable, il n'a pas songé à mettre son fils et ses biens en sûreté. Il a toujours agi au su et avec l'avis des Princes et Electeurs. Il n'auroit jamais songéà retourner dans les Pays-Bas, si on nel'y eût appellé’ (p. 124*). Et, si l'on se défie de cette espèce de note diplomatique, lisons ce que les frères du Prince, lors même que rien ne les porte à dissimuler, lui écrivent: ‘Nous qui entrevoyons les obstacles que vous avez à combattre (wir so von den sachen etwas wiszen), pouvons jusqu'à un certain point, apprécier vos soucis, vos peines, vos labeurs, vos périls; d'autres ne sauroient s'en faire une idée. Toute-fois, puisque cette cause et cet oeuvre ne sont pas des hommes, mais de Dieu; que vous ne vous y | |
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ètes pas ingéré de vous même, mais que le Tout-Puissant vous a appellé, vous traînant, pour ainsi dire, par les cheveux; que vous avez visiblement éprouvé, dans vos travaux et par des effets manifestes, le secours, la grâce, et le pouvoir merveilleux de l'Eternel, nous devons tous L'en remercier vivement, nous réjouir de Sa protection paternelle et nous y confier, malgré tout ce que nous croyons appercevoir de difficultés et de dangers’ (p. 220). On est forcé d'en convenir; les motifs du Prince et la cause de la guerre se résument en une seule cause et en un seul motif, la défense de la religion. C'étoit le but. Quelquefois sans doute il semble placer le maintien des Privilèges sur la même ligne; il ne met pas toujours le Protestantisme en avant; c'est qu'il vouloit tenir des voies de conciliation ouvertes, et ménager la susceptibilité du Roi et des Catholiques; c'est qu'il vouloit rallier ceux-ci autour des libertés communes. Il étoit du même avis que Marnix: ‘Qui considérera toutes choses de près, trouvera à la vérité quela grande et continuelle rigeur que l'on a usée à l'extirpation de ceste religion pour laquelle si longtemps nous avons esté persécutez, a esté, aussi bien pardeçà comme par toute la Chrestien- | |
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té, la seule et unique source et le motif principal de l'altération du peuple, au moien de laquelle consécutivement ont esté causez tous les désordres, dont la lettre de vostre Excellence faict mention. Ce que mesmes l'on a par cy-devant veu et trouvé par expérience du temps de noz ancestres, toutes et quantes fois que l'on a voulu par moyens si violents remédier à une chose qui de sa nature ne se peult extirper par violence, ains seulement par persuasions et enseignements’ (p. 288).
Après avoir vu le désintéressement, remontons à la source. Le Prince avoit une véritable piété. Nous avons remarqué dans les Tomes précédents que sa foi s'affermissoit à l'école du malheur. Ici encore des épreuves non moins rudes produisent les mêmes salutaires effets. Il se range parmi les Calvinistes (p. 226). Etoitce parceque leur opinion sur quelques articles de foi lui sembloit plus Biblique que celle des Luthériens? C'est difficile à dire, et peu important à savoir. Sans doute les préventions du Prince contre les Calvinistes avoient graduellement disparu. Du reste, quoiqu'il n'aura pas ignoré les différences entre les Protestants, qui malheureu- | |
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sement influoient beaucoup sur la politique, il nous semble peu probable qu'il les ait profondément étudiées. Il attachoit un grand prix, non à ce qui sépare, mais à ce qui unit les véritables Chrétiens. Il savoit que tous ont péché et qu'ils sont entièrement privés de la gloire de Dieu; étant justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ. Il se confioit uniquement en Jésus-Christ crucifié, de tout temps un scandale pour les Juifs et une folie pour les Grecs, mais de tout temps aussi Christ, la puissance de Dieu et la sagesse de DieuGa naar voetnoot1. En juillet 1573 l'Espagnol est presque maître du pays. Les capitaines du Prince ne voyent nul moyen de salut. Ils exigent qu'il déclare quels sont les Po- | |
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tentats dont l'alliance le fait persévérer, lorsqu'il n'y a plus aucune chance de succès. ‘Quand j'ai entrepris de protéger les Chrétiens opprimés, j'ai, dit-il, ‘préalablement traité alliance avec l'Eternel, le Dieu des armées, dont la main forte et puissante saura, quand il Lui plait, les délivrer’ (p. 178): réponse connue, mais qui devoit, ce nous semble, trouver place dans notre Recueil. Après des nouvelles favorables sur les dispositions des Princes d'Allemagne; ‘Je remercye Dieu de ce qu'il Luy plaist illuminer les coeurs de ceux que vous me dictes par delà... Le Seigneur Dieu face le tout réussir à Sa gloire et au soulagement de Son pauvre peuple’ (p. 245). ‘L'issue est entre les mains de Dieu; ne savons s'il Luy plaira y donner Sa grâce’ (p. 246). A l'approche d'un nouveau danger: ‘Comme il semble que les ennemis sont résoluz de tenter encoires une foys la voye de force pour ravictuailler Middelburch, je vous prie de faire faire partout des prières à Dieu, afin qu'il Luy plaise nous regarder en miséricorde, sans nous laisser tomber en telle extrémité, qui causeroit indubitablement par trop grande effusion de sang’ (p. 323). Après une victoire: ‘Je ne peulz obmettre de vous | |
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advertir en diligence le grand heur qu'il a pleu à ce bon Dieu nous envoyer’ (p. 120*). Ensuite quand il a terminé le récit: ‘Et puisque c'est le Seigneur Dieu, le Dieu dy-je des armées seul qui nous a donné ceste victoire, la raison veult aussi qu'à Luy seul nous en rendons grâces, avecq ferme espoir que ce ne sera la dernière victoire qu'll nous donnera, et qu'll deffendra et maintiendra ceste tant juste et équitable querelle, maugré qu'en ayent tous ses ennemis’ (p. 122*).
En terminant le Tome précédent, nous avons quitté le Prince à la St. Barthélemy; nous le quittons ici dans un moment pareil; après la bataille du Mookerheide. Cette défaite eut lieu en avril 1574. Nous publions six lettres écrites durant ce mois par le Prince au Comte Louis. Nulle réponse; nul renseignement; ensuite des bruits vagues, confus; rien de certain, rien de précis. Sept jours après la bataille, il écrit: ‘Je me trouve en la plus grand peyne du monde, pour n'avoir en aucunes nouvelles ou responce de vous sur sept lettres que je vous ay escript depuis le xe jour de ce moys, et dont la dernière a esté du xviiie’ (p. 372). Le 22 | |
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il écrit au Comte Jean: ‘Je leur ay dépesché plus de dix messaigiers, mais toutesfois je n'ay jamais peu entendre aulcune nouvelle ny certitude’ (p. 379). On voit croître à chaque fois ses inquiétudes et ses anxiétés. Enfin le Prince ne peut douter de son malheur. L'armée qu'on attendoit impatiemment, est en déroute; les Chefs, deux de ses frères, ont péri. C'est alors qu'il écrit au Comte Jean la Lettre 492. Pour indiquer ce qu'elle a de touchant et de caractéristique, il faudroit la transcrire presqu'en entier. On y remarque une profonde tristesse, une résignation parfaite, une persévérance et une activité que rien ne sauroit rebuter. ‘Nous sommes privez de ceulx sur lesquelz j'avois basty tout mon espoir’ (p. 391). Ce ne sont pas uniquement des regrets sur des instruments brisés; c'est une vive affection, un tendre attachement fraternel. ‘Je vous veulx bien confesser ouvertement que j'ai la teste tellement estourdie d'une si grande multitude d'affaires, et mesmes de regret et de mélancolie, pour la perte de Monseigneur le Duc Christophore et de mes frères, lesquels je tiens asseurément mortz, que je ne sçay à grand peine ce que je faiz’ (p. 390). | |
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Il ajoute immédiatement: ‘et toutesfois, si la volunté du Seigneur a esté telle, nous le devons porter patiemment’ et ailleurs: ‘Je vous confesse qu'il ne m'eust sçeu venir chose à plus grand regret; si est-ce que tousjours il nous fault conformer à la volonté de Dieu et avoir esgard à Sa divine providence, que Celuy qui a respandu le sang de son Filz unicque, pour maintenir son Eglise, ne fera rien que ce qui redondera à l'avancement de Sa gloire et mainténement de Son Eglise, oires qu'il semble au monde chose impossible. Et combien que nous tous viendrions à mourir, et que tous pauvre peuple fust massacré et chassé, il nous faut toutesfois avoir ceste assurance que Dieu n'abandonnera jamais les siens’ (p. 386, 387). Cherchant à réparer le désastre: ‘Demon costé vous pouvez estre asseuré que je feray à cet effect le debvoir aultant qu'en moy sera et comme j'ay fait jusques icy’ (p. 388). ‘Je vous prie, de la meilleure affection qu'il m'est possible, d'employer tout vostre entendement et vos cinq sens à trouver quelque remède convenable’ (p. 389). Ensuite il développe son opinion, et entre dans beaucoup de détails. | |
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Enfin il ajoute: ‘Il me souvient à ce propos de ce que aultrefois je vous ay dict, que l'on pourroit maintenir ce pays contre toutes les forces du Roy d'Espaigne l'espace de deux ans, mais qu'alors aurions nécessairement besoing d'estre secourus, oires que Dieu le peult maintenir sans aultre secours, ainsy qu'Il a faict jusques icy, mais j'en parle humainement; et comme les deux ans s'en vont de brieff expirer, il seroit plus que temps que quelcques Princes et Potentats nous eussent tendu la main; que s'il ne se treuve aulcun de ceste volunté et que par faulte de secours nous nous allions perdre, au nom de Dieu, soit! Tousjours aurons cest honneur d'avoir faict ce que nulle aultre nation n'a faict devant nous, assavoir de nous estre deffendus et maintenus, en ung si petit pays, contre si grands et horribles efforts de si puissans ennemis, sans assistance quelconque. Et quant les pouvres habitans d'icy, délaissés de tout le monde, vouldroyent toutesfois opiniastrer, ainsy qu'ils ont faict jusques à maintenant, et comme j'espère qu'ils feront encoires, et que Dieu ne nous veuille chastier et du tout perdre, il cousteroit aux Espagnols encoires la moitié d'Espaigne, tant en biens qu'en hommes, de- | |
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vant qu'ils auroient faict la fin de nous’ (p. 396, 397). Ce sont là des accents prophétiques. Et cependant le Prince, pénétrant dans l'avenir, restoit en deçà de la réalité. Il ne prévoyoit pas que bientôt sept Provinces seroient indépendantes; que leur République, renversant la puissance de ses ennemis jusqu'au bout du monde, couvriroit les mers de vaisseaux; que l'Espagne, affoiblie, humiliée, se verroit réduite à sanctionner cette union; et qu'un jour, menacée par la France, elle n'auroit que la Hollande pour la sauver. Les bénédictions de Dieu envers ceux qui Le craignent, surpassent les espérances de l'homme. Il réalise dans tous les siècles les promesses qu'il mettoit dans la bouche des Prophètes d'Israel. ‘Ceux qui te font la guerre, seront comme ce qui n'est plus. Car Je suis l'Eternel ton Dieu, celui qui te dis: Ne crains point, c'est Moi qui t'ai aidé... Ne crains point, Je t'aiderai, dit l'Eternel’Ga naar voetnoot1. |
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