Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome III 1567-1572
(1836)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij
[pagina V]
| |
[Préface]Il ne sera, croyons-nous, pas inutile d'indiquer de nouveau une partie des trésors historiques mis ici à la disposition du lecteur. Observons toutefois que nous ne saurions donner qu'un rapide aperçu. Les cent-trente-six Lettres de ce troisième Tome, se rapportant à une époque (1567-1572) fort agitée, pleine de vicissitudes et de bouleversements, doivent renfermer une infinité de précieux détails: une investigation plus attentive les fera successivement découvrir; l'étude et la méditation seules peuvent les épuiser. | |
[pagina VI]
| |
La première place dans cette revue appartient, sans contredit, à Guillaume de Nassau. Nous le retrouvons dans les mêmes dispositions (Tome II. p. xv-xxiv); indécis, livré à de cruelles perplexités. On attribue communément à ses instigations secrètes les entreprises que les premiers mois de 1567 virent tristement échouer. Rien dans nos documents ne justifie cette supposition, et on ne sauroit guère la concilier avec l'état des choses. Le Prince ne trouvoit de l'appui ni dans le Comte d'Egmont, qui n'aspiroit qu'à se réconcilier avec la Cour; ni dans les Confédérés, pour la plupart ou lâches, ou téméraires; ni dans les Etats des Provinces, ou dans les Magistrats des Villes, en général fortement prévenus contre la Réforme; ni dans une multitude dont il n'aimoit pas les mouvements désordonnés. La Gouvernante avoit repris le dessus; les commencements de sédition étoient dissipés; les catholiques ‘haussoient pour l'heure la teste comme trommetaires et n'étoient quacy plus traictables d'orgueil’ (p. 13). Coöpérer au rétablissement de l'ordre, arrêter le bras levé du Souverain, en ôtant à la persécution renaissante le plus spécieux des prétextes, là semblent s'être borné alors ses desseins. Il désire de la part des | |
[pagina VII]
| |
Princes Allemands intercession, prières, insinuation qu'en cas de violences contre ceux de la confession d'Augsbourg, on ne pourra les abandonner (p. 30); mais pas de secours immédiats, comme au temps où, non sans qu'il en eut connoissance, le Comte Louis faisoit des levées (Tom. II. p. 272). Loin de vouloir abuser de son influence pour remuer les Pays-Bas, il songeoit sérieusement à se rendre en Allemagne pour assister à la diète (p. 6). Quant au projet de se saisir d'Anvers, que beaucoup d'écrivains se plaisent à lui attribuer, nous n'en avons pas trouvé le moindre indice; rien que l'expression énergique des dangers qu'il courut en réprimant les séditieux. ‘Je vous puis bien dire que nous avons faict la plus belle eschappade du monde et que par la grâce de Dieu nous nous povons estimer d'être nouveau nez’ (p. 52). L'obéissance, poussée jusqu'au péril de la vie, a cependant des limites. La Gouvernante exige un serment qui semble n'en reconnoître aucune; tout annonce un régime sévère et cruel; la présence du Prince est désormais inutile; il se décide à partir. ‘Ne voulant pas encourir le reproche que c'est moi qui excite et anime le peuple à la résistance, je préfère être loin d'ici et ne pas voir des actes | |
[pagina VIII]
| |
si déplorables, que mon coeur et ma conscience repoussent’ (p. 57). Les Lettres aux Comtes d'Egmont et de Hornes, respirant en plus d'un endroit l'indignation et l'amertume, ne contiennent toutefois rien qui fasse révoquer en doute la sincérité de ce qu'il affirme: ‘Je ne cesserai pas d'être le très obéissant vassal de S.M., prêt à tout service que je pourrai rendre en bonne conscience’ (p. 71). Il écrit au Roi. ‘L'affection que j'ay tousjours porté à V.M. et bien de ses pays, m'est tellement imprimée que ne délaiszeray mectre corps et biens en tout ce que je cognoistray povoir être le vray service de V.M., repos et maintenement de ses pays, et luy demeureray tel partout où je seray’ (p. 65). Nous ne croyons pas que ce fut un simple compliment, ni surtout une fausseté. S'il quitte le pays, ce n'est pas pour l'abandonner. Il va en Allemagne, aussi pour ‘prendre conseil de ses Seigneurs et amis’ (p. 57). S'il dit: ‘Autant qu'il est en nous de prévoir, il nous semble que c'en est fait de ces provinces, et que, dans de déplorables massacres, beaucoup de milliers de Chrétiens sages et pieux vont perdre les biens et la vie,’ immédiatement il ajoute: ‘A moins que | |
[pagina IX]
| |
Dieu Tout-puissant ne veuille écarter ces malheurs, et que les Electeurs et Princes Allemands ne sauvent le pays de si épouvantables désastres’ (p. 59). Le Duc d'Albe arrive. Avec les mots d'hérésie et de rebellion, tout lui paroît légitime; les emprisonnements, les proscriptions, les violations de Privilèges, l'anéantissement des droits et des libertés, les spoliations, les tortures, et les supplices. On accuse le Prince, on confisque ses biens, on enlève son fils. Par les charges qu'il a précédemment occupées, les biens de sa Famille, ses talents, ses opinions connues, ses relations, ses ressources, il est dans les Pays-Bas le personnagele plus considérable et le plus consideré. C'est à lui que les opprimés s'adressent, au nom des libertés qu'il est tenu de maintenir; au nom du Roi que les Espagnols abusent et trahissent; au nom de la cause sacrée à laquelle on sait qu'il est sincèrement attaché. On le prie, on l'exhorte, on l'adjure de ne pas laisser, sans opposition, ruiner les Provinces et massacrer les habitants. Une vocation passive n'est pas celle qu'il se croit tenu d'embrasser. ‘Le Prince a bien voulu condescendre à la réquisition de ce fidèl peuple, astheur de tout abandonné et | |
[pagina X]
| |
délessé; de tant plus qu'i cognoit que ce n'est pas seulement la ruine du païs, demorant les choses en tel termes, mais entièrement le déservice de S.M.’ (p. 206).
Une grande partie des documents de ce Tome est relatif aux expéditions de 1568 et 1572. Parmi les preuves des talents stratégiques du Prince on pourra désormais ranger les avertissements qu'il donne au Comte Louis. Le désastre de Jemmingen, s'il n'abandonne le siège de Groningue, lui est positivement annoncé. ‘Sur tout faut avoir esgard que là où ils seroyent forcés de se retirer, ils sont assseurez ne le pouvoir faire ayant l'ennemy à doz, sans estre ou deffaits, ou grefvement endommagez’ (p. 258).
Les Archives contiennent peu touchant les années 1569, 1570, et 1571. Le Prince les passa, soit en France, où il vint, avec un corps d'armée, au secours des Huguenots; soit en Allemagne, au milieu de négociations et de préparatifs. Néanmoins ce peu suffit pour nous le montrer travaillant toujours avec une même ardeur à l'avancement des mêmes grands intérêts. | |
[pagina XI]
| |
Autour du Prince se rangent naturellement les membres de sa Famille.
Le Comte Adolphe de Nassau, âgé de 27 ans, après avoir vaillamment combattu, contribue, par sa mort, à la victoire de Heyligerlee (p. 220). ‘Tout c'est succédé à soubhaict, ne fuist l'immature mort du Conte Adolphe (à qui Dieu faisse paix) laquelle sens jusques à l'âme, et vous supplye, Monsieur, la supporter selon vostre vertu et constance ordinaire en toutes adversités’ (p. 238).
Le Comte Henri, plus jeune encore, fait la campagne de France et se distingue dans les Pays-Bas (p. 505).
Peut-être a-t-on jusqu'ici rendu trop peu justice au Comte Jean de Nassau. On se borne à parler de son habileté politique, et puis, comme embarrassé à lui trouver des mérites personnels, on se hâte de célébrer sa nombreuse et vaillante postérité. C'est mal apprécier sa conduite et son caractère. Il ne craignoit pas les dangers. Nous le voyons accompagnant le Prince en 1568, et ne quittant l'armée que lorsqu'elle a quitté les Pays-Bas (p. 303). Sa coöpé- | |
[pagina XII]
| |
ration active l'exposoit à toutes sortes de périls; il n'étoit pas même en sûreté dans sa maison. ‘Puisque à mon occasion,’ lui écrit le Prince, ‘et pour l'assistence qu'il vous a pleu me faire, les inemis de Dieu ne vous veuillent gran bien, je ne me peus sinon conformer à vostre opinion que aiés toujours l'euile ouvert, et que principalement gardés vostre maison de Dillenbourg, ... car le temps est terrible et plein de méchanstés’ (p. 347). Correspondances, voyages, sacrifices pécuniaires, il étoit prêt à tout; il ne se lassoit pas de rendre service, ni le Prince de lui témoigner de la reconnoissance. ‘Or, Monsieur mon frère, je ne scais comme je vous porrey assés affectueusement remercier de la grande paine et soussi que prendés à mon occasion, et me desplait asseurément que je suis cause de vous faire avoir ses rompemens de teste et vous mestre en si grans despens et debtes; mais vous poiés estre asseuré que me rendés tellement vostre obligé, que mesteray toujours très voluntiers mon corps et ma vie pour vostre service. Quant au bien, je ne peus rien dire pour le présent; mais, si Dieu me donne la vie que je puisse retourner à ce quil me appertient, vous en porrés disposer comme du vostre’ (p. 359, l. i-ii.). | |
[pagina XIII]
| |
‘Du succès de mes affaires ne fauldray à toutes occasions vous tenir adverty, comme à celuy que je sçay elles sont aultant à coeur que à moymesmes’ (p. 462). ‘Je sçay l'entier zèle que vous avez tousjours démonstré à une si bonne cause, et avec quelle vigilance vous avez de tout temps procuré le bien et avancement de nostre ditte cause, sans y avoir jamais espargné peine, travaulx, ou dangiers’ (p. 485 in f.).
Le Comte Louis ne reste pas en arrière, c'est lui qui toujours veut aller en avant. ‘Surtout le désir de M. le Comte Lodvic et sa requeste est que Son Exc. (le Prince) vueille se déclarer tout ouvertement envers les Princes et Seigneurs, et descouvrir nostre maladie sans aucun desguisement, et, en poussant outre, mettre l'issue en la main de Dieu’ (p. 234). Le Prince étoit souvent obligé de modèrer cette ardeur. ‘Quand à ce que m'escripvez de vostre entreprinse, ne vous sçauroys dire aultre chose, sinon que s'il vous semble qu'il y a quelque raisonnable apparence de pouvoir effectuer quelque chose de bon, que le fissiez faire au nom de Dieu, mais, quant à vostre personne, de vous conseiller d'aller avecq la | |
[pagina XIV]
| |
ditte entreprinse, n'en scauroys bonnement dire mon advis; car vous mectre arrière en hazard avecq gens incognuz, ne me semble estre conseillable, mesmes par eaue’ (p. 278). Relativement à l'invasion de Groningue, qui faillit avoir, grâces à l'intrépidité du Comte, de si grands résultats, il y a, dans deux Mémoires, l'un de lui et l'autre du Prince (no 309a et 314a), des détails nombreux et fort intéressants. Nous regrettons de ne pouvoir rien communiquer touchant le séjour de quatre années que Louis de Nassau fit en France, se distinguant non moins par ses talents dans les délibérations politiques, que dans les combats par son audace (p. 323, 382, 401). Voici cependant quelques lignes remarquables écrites peu de jours avant qu'il vint, en 1572, tomber à Mons comme un coup de foudre au milieu de ses ennemis attérés. ‘Vous pourrés faire estat de mes frères et de moy que n'y espargnerons ny la vie, ny les biens, encores que nous aurions occasion d'en estre desgoustés selon le monde, et nommément moy quy va tanttost six ans vagabondant par le païx. Mais je voy que ce bon Dieu quy nous ast maintenus et guarentis en tant des travaulx et dangiers, ne veult pas retirer Sa main forte arrière de nous, | |
[pagina XV]
| |
ains nous soustenir debout’ (p. 417). Et si l'on veut encore une preuve notable, à la fois de sa constance et de sa piété, qu'on lise ce qu'il écrit après la défaite de Jemmingen; c'est-à-dire, après un événement qui venoit de lui enlever ses ressources et auroit aisément pu lui enlever tout espoir: ‘Encoires que nostre armée soyt en partie défaicte et en partie séparée, .. si est ce que, comme Dieu mercy quant à nostre personne estant eschappé sauff et sain, avons le couraige si bon qu'oncques, mais espérons en brief que Dieu nous assistera tellement qu'aurions, si Luy plaist, les moyens beaucoup plus prompts pour redresser la pouvre Eglise et la patrie que n'eusmes oncques’ (p. 272 in f.).
Parmi les beau-frères du Prince, le Comte de Nuenar est celui dont il a le moins à se louer. Ce personnage aimoit, aux approches du danger, à se tenir à l'écart. A ce qu'il dit, douloureusement affecté de la mort d'une épouse, dont il faisoit le malheur durant sa vie (p. 118), nous le voyons refuser, malgré les instances du Comte Jean, de se rendre à une assemblée, où l'on devoit traiter de la Religion et où sa présence pouvoit être utile (p. 15). | |
[pagina XVI]
| |
Quant au Comte de Berghes, peut-être qu'à cette époque il ne doit pas être jugé très défavorablement. Il est vrai que simultanément il flattoit Viglius et consultoit le Prince (p. 54), et qu'il resta dans les Pays-Bas (p. 127), tant qu'il crût pouvoir rentrer en grâce auprès du Roi; mais, frustré dans cetespoir, il devint zélé et actif. Dans une Lettre relative aux actes du Duc d'Albe, il semble se plaire à lui donner le nom de tyran (Lettre 354). La meilleure harmonie règne entre lui et ses frères: il écrit au Comte Jean: ‘Vous m'obligez toujours par l'un plaisir sur l'autre à penser comment je le pourray un jour tout recognoistre ...; à quoy mes enfans auront aussi à penser les jours de leur vie.’ (p. 416). En 1572 il rendit des services très importants (p. 431). Le Comte Günther de Schwartzbourg prête l'appui de son intercession et de ses conseils; il ne tint pas à lui que Philippe-Guillaume ne fût rappelé à temps (p. 120). ‘Le Comte Güntert,’ écrit le Prince, ‘seroit d'opinion que je demorasse avecque luy ancores ung temps, et à ceste occasion sont venu le Conte Hans-Güntert et le Conte Albert (ses frères) me prier tous trois par ensemble que je volusse demeurer et prendre la patience | |
[pagina XVII]
| |
avecque eux, me offrant tout plain de honestités, de quoy certes leur suis obligé’ (p. 345).
Plusieurs Documents renferment des données intéressantes sur divers personnages notables des Pays-Bas, dont quelques uns y restèrent, tandis que d'autres crurent devoir s'expatrier.
Entre ces derniers le Comte de Bréderode mourut en 1568; nous ne regrettons pas pour sa mémoire de n'avoir plus trouvé de ses Lettres. - Le Comte de Hoogstraten, qui donne la nouvelle de sa mort (p. 170) et qui périt la même année, plein de commisération pour le triste sort de la patrie (Lettre 310), étoit plein d'ardeur et de zèle pour la délivrer. Le Mémoire touchant les secours à donner au Comte Louis de Nassau (no 310b) est une nouvelle preuve que le Prince désiroit ses conseils. On trouvera plusieurs exemples de son style vif et piquant. ‘La conscience de cestuy Nero d'Alve le juge, qui vault mille tesmoings’ (p. 241). ‘J'ay eu advertence que sommes ..... estés banniz à jamais ..., mais espère pour n'y avoir fondement, que monstrerons de brief que nous en soulcions peu, et que ce bon Dieu nous en fera quelque | |
[pagina XVIII]
| |
jour la raison’ (l.l.). ‘Je suis journellement entendant à faires exerciter mes gens à tirer aux butes, puisque ne s'offrit encoires occasion le faire sur les ennemis’ (p. 281, in f.). - Antoine de Stralen, Bourguemaître d'Anvers, écrit: ‘L'on ne scait encor riens de la Commission du Duc .... Je prie Dieu que se soit à Son service, bien du Roy et de ces pays’ (p. 117). Quelques jours après, il étoit en prison; quelques mois après exécuté. - J. de Hornes, Seigneur de Boxtel, observe lors de la venue du Duc d'Albe: ‘Je crains que le Ducque faict grand recueil à aulcuns, que la fin serast aultre’ (p. 125). - Clément Coornhert songe à transporter vers Emden le commerce des Pays-Bas (p. 138). - Nous communiquons aussi une Lettre du célèbre Marnix (Lettre 355), déjà en 1568 chargé par le Prince d'une commission périlleuse (p. 257).
C'étoit une triste et fausse position celle des Seigneurs qui, après avoir plus ou moins longtemps hésité, après des velléités de résistance très prononcées, avoient fini par se résigner passivement aux volontés même les plus arbitraires du Souverain. Ce Tome offre un indice assez curieux de leur pu- | |
[pagina XIX]
| |
sillanimité. Les Comtes d'Egmont et de Mansfeldt n'osent assister à un souper auquel l'Ambassadeur de Maximilien II les invite; de crainte d'y rencontrer les Députés des Princes d'Allemagne venant intercèder pour les Protestants (p. 97). Le Duc d'Albe a-t-il franchi la frontière, on se presse, on se précipite vers lui. ‘Beaucoup de Seigneurs et gentilhommes sont esté au devant de luy, entre aultres Mr l'Admiral’ (p. 125). Mr de Meghem arriva de nuyct en Anvers, et de grand matin ayant prins la poste, est allé rencontrer le Duc d'Alve ..... Le Duc d'Aerschot allit trouver le Duc, et est party Mr d'Egmont avecq environ quarante gentilzhommes, pour aussy faire la révérence au dit Duc; tellement que Madame est présentement icy toute seule, sans nul Chevalier de l'Ordre’ (p. 115 sqq.). Et le Comte de Megen, ayant reçu devant Groningue une Lettre fort remarquable des Comtes L. de Nassau et de Hoogstraten, où on l'exhorte, lui ‘obligez de combattre pour la patrie, à ne pas servir aux particulières ambitions d'une nation estrangère et ennemye de toute justice, raison et politique’ (p. 253); répond: ‘Messieurs, j'ai recue vostre lettre, et comme .... le Duc me deffendit de res- | |
[pagina XX]
| |
pondre à une aultre vostre, je l'oseroys aussy peu faire à ceste sans le consentement de Son Exc. Je la luy ay envoyé’ (p. 254).
Pas de Lettres du Duc d'Albe; néanmoins il y a dans la Correspondance quelques traits que nous croyons devoir mettre sous les yeux de nos lecteurs. Voici l'accueil qu'il fait au fils du Prince d'Orange. ‘Le Comte de Buren fust fort bien resseu et caressé de Mr le Ducq; s'offrist là où l'occasion s'offriroit de lui pouvoir faire service, que le feroit de bon coeur ... Le 22 prins Mr de Buren congié; le Ducq l'embrassa et lui fist de rechieff le mesmes et semblables oeffres’ (p. 121). - On avoit arrêté les Comtes d'Egmont et de Hornes; bon nombre des bourgeois de Bruxelles se rend vers lui, demande à en savoir la cause: sur quoi il leur fait dire: ‘Je suis occupé à réunir mes troupes, Espagnoles, Italiennes, et Allemandes; quand je serai prêt, vous recevrez ma réponse’ (p. 126). - Il proteste désirer que les Comtes puissent se disculper, aussi sincèrement que si la chose concernoit son propre père (p. 127). - Dans une Lettre où le coeur vaut mieux que l'orthographe, Marie de Nassau, épouse | |
[pagina XXI]
| |
du Comte de Berghes, se trouvant à Bruxelles au milieu des arrestations, exprime bien vivement la terreur que causoient de tels actes, inattendus après un bienveillant accueil. ‘Que le Seigneur nous donne Sa grâce, dont nous avons grandement besoin .... O ma très chère Mère, que ne suis-je assez heureuse de pouvoir être une heure auprès de vous, pour demander vos conseils! Je ne sais que faire, que commencer. De tous côtés des malheurs, et aucune consolation terrestre dans ce pays’ (p. 127, sq.). Aux arrestations succédèrent les supplices. D'après le récit d'un témoin oculaire, ‘ont eu la teste coupée les deux Seigneurs de Battenbourgh et aprez Cock, les Seigneurs de Dhu et de Villers, et dict n'avoir retenu le nom des aultres pour ce que le coeur ne luy scavoit supporter de le veoir davantaige .... C'estoit une chose de l'autre monde le crys, lamentation, et juste compassion qu'aviont tous ceux de Bruxelles, nobles et ignobles, pour ceste barbare tyrannie’ (p. 239, sq.). - Le Comte de Berghes décrit le dépit et la colère du Duc au sujet de la résistance des bourgeois de Bruxelles contre le dixième denier (Lettre 354). - Enfin, et c'est ici surtout que la situation est forte- | |
[pagina XXII]
| |
ment caractérisée, le Comte de Megen, qui déjà en 1566 s'étoit franchement déclaré contre les Confédérés et les prétendus hérétiques, qui en 1568 avoit puissamment contribué à repousser Louis de Nassau; malgré les services rendus et ceux qu'il sembloit pouvoir rendre encore, montre en 1569 des craintes sérieuses qu'on ne lui fasse subir le sort du Comte d'Egmont (p. 321).
Touchant le Roi Philippe II il y a ici peu de chose: seulement quelques données relatives à l'emprisonnement de Don Carlos, qui semblent indiquer qu' en effet, par rapport à cette lamentable histoire, il a été trop défavorablement jugé. Aimant à écarter partout d'injustes accusations, nous les publions volontiers (Lettres 302 et 304, p. 187 et 194. sq.).
Les rapports intimes et multipliés du Prince et de ses frères avec les personnages marquants de l'Allemagne et de la France, prouvent ici, plus encore, ce nous semble, que dans les Tomes précédents, l'intérêtgénéral qui résulte, des relations de la Maison d'Orange-Nassau; de la position centrale et de l'importance Européenne des Pays-Bas; et de | |
[pagina XXIII]
| |
l'universalité des motifs de la lutte, dont nous reproduisons les événements et dont nous évoquons les acteurs.
La première moitié du seizième siècle fut une belle époque pour l'Allemagne. L'Evangile se répandoit dans les haut rangs comme dans les dernières classes de la société. De toutes parts (preuve irréfragable de l'Esprit de vie qui accompagne la prédication pure et simple des dogmes Chrétiens) apparoissent des Princes qui font luire leur lumière devant les hommes, modérés dans la bonne fortune, constants dans l'adversité, courageux, fidèles, tolérants par charité, actifs contre les erreurs, zèlés pour la propagation du règne de Christ, et qui ne voyent dans leur position plus élevée qu'une double mesure de tentations et de responsabilité. De cette génération Chrétienne on voit encore ici trois dignes réprésentants. Le Landgrave de Hesse Philippe qui, noble et courageux témoin de la vérité, profitant des moments qui lui restent, fait recommander au Prince d'Orange de se retirer à temps: ‘Ne soyez pas dupe de belles paroles; n'ayez pas trop de confiance;je connois le Duc d'Albe et les Espagnols; si | |
[pagina XXIV]
| |
l'on vous propose quelque conférence, soyezsur vo gardes, et qu'on ne vous surprenne point’ (p. 42.) Le Duc Christophe de Wurtemberg, qui emploie en faveur du Prince son influence auprès de l'Empereur Maximilien (Lettre 297). Enfin Fréderic, cet Electeur Palatin auquel, dans une époque éminemment religieuse, on décerna le titre de Pieux. Certes il n'est pas surprenant que le Prince ait été en correspondance avec lui, avec le Duc Casimir son fils, avec Ehem et Zuleger, leurs principaux conseillers (p. 362, in f.). Il prie le Comte Jean de demander des avis à Heidelberg (p. 509). ‘J'ay faict escripre’, lui mande-t-'il une autre fois, ‘au docteurs Ehem et Zuleger les priant de vous assister de leurs advis et bon conseils, selon la singulière affection que de tout temps ils ont démonstré au bien de la cause commune et aussi à moi’ (p. 486). Quand l'Electeur avoit fait une promesse, on pouvoit y compter: à la fin de 1568 le Prince atteste ‘n'avoir receu aulcun deniers de ceulx que l'on luy avoit accordé, sinon la part de Monseigneur l'Electeur Palatin’ (p. 311).
Plusieurs autres Princes prennent sérieusement à coeur Ie sort déplorable des Pays-Bas. | |
[pagina XXV]
| |
Le Roi de Danemarck offre au Prince un asyle (p. 109). Le Duc de Deux-Ponts Wolfgang, qui fut en 1569 compagnon d'armes du Prince (p. 316), écrit à un parent, soupçonné de vouloir servir en France contre la Religion: ‘Prince Chrétien, né et élevé dans notre vraie Religion, établi en Allemagne, vous devez avant tout avoir souvenance du devoir envers Dieu et la patrie’ (p. 263). Le Prince déclare ‘la bonne affection qu'il a tousjours eue au Comte de Hanau’ (p. 485). Se trouvant près de Groningue, le Comte Louis de Nassau écrit: ‘Les Contes et Seigneurs voisins sont bien affectionnés à la cause, et nommément les Contes d'Embden, d'Oldenbourg, et Bentem’ (p. 233). Semblable témoignage est rendu à plusieurs Villes Anséatiques: ‘Aussy sont ceux de Brême et autres villes maritimes bien affectionnés’ (p. 234). En 1572 on mande au Duc d'Albe: ‘A Hambourg et Brême les négociants et le peuple sont tellement amis des rebelles, qu'ils refusent de prêter contr'eux de l'argent, quelques assurances qu'on veuille leur donner’ (p. 495).
Surtout n'oublions pas le Landgrave Guillaume de | |
[pagina XXVI]
| |
Hesse. M. von Rommel (p. 333) a montré, par de nouvelles preuves, combien ce Prince méritoit le beau nom de sage par sa prudence, sa justice, ses connoissances étendues, et surtout par cette sagesse qui consiste à connoître Dieu et celui qu'Il a envoyé, Jésus-Christ, et qui, chezlui comme chez son père Philippe, fut évidemment le principe de sa conduite et la source de ses vertus. Il intercède pour le Prince avec beaucoup de zèle (Lettres 293, 295 et 300). Celui-ci demande fréquemment son avis avec une confiance nullement douteuse. C'est au Landgrave qu'il prie ses frères d'avoir recours pour émouvoir, par son moyen, les autres Princes en faveur des Pays-Bas (p. 28). C'est à lui qu'il soumet son dessein de se rendre en Allemagne (p. 56). C'est lui qu'il consulte sur la manière dont sa Justification doit être rédigée (p. 210). C'est à lui, plutôt qu'à l'Electeur de Saxe, qu'il fait part de ses malheurs domestiques (Lettre 342). Même lorsqu'ayant pris les armes malgré l'opinion du Landgrave (p. 273, 286), il eut encouru pour quelque temps sa disgrâce, le Prince, ne pouvant guère s'adresser à lui directement, s'efforce d'apprendre quel est son avis: ‘Je ne scay si trouverés bon d'envoyer une copie à Roltzhausen, pour avoir son advis, car je ne fais doubte qu'il le monstrerat à Mon- | |
[pagina XXVII]
| |
sieur le Lantgrave Wilhelm .... Ne scay si seroit mal fait de l'envoier à Simon Bingen, le priant de avoir son advis; car de ung costé ou de l'aultre j'espéreroys qu'il viendroit entre les mains de Monsieur le Lantgrave’ (p. 346, sq.). En 1572 c'étoit surtout lui que, par le Conte Jean de Nassau, il faisoit avertir, avant la St. Barthélemy, de ses succès, et plus tard du renversement de ses desseins: ‘Quant à la rendition des villes, vous en pourrez faire seure advertence à Monsieur le Landgrave de Hessen, et luy dire qu'i le peut tenir pour chose asseurée’ (p. 461). ‘Je vous prie de prendre la chose (la nécessité de secours) à coeur et la remonstrer avecq bon escient, voire avecq toute importunité au Lantgrave, et par son moyen aux autres Princes’ (p. 508). Cette confiance est justifiée par d'utiles conseils. Le Landgrave l'engage à publier un Mémoire Justificatif; l'exhorte à ménager dans cet acte le Roi et, autant que possible (restriction nécessaire sans doute!) ses Conseillers et ses Gouverneurs (p. 186). Il juge nécessaire que la Princesse ecrive des Lettres amicales (il savoit qu'elle n'en avoit pas l'habitude) à l'Electeur de Saxe et à son épouse: ‘car,’ dit-il, ‘les grands Seigneurs | |
[pagina XXVIII]
| |
aiment (es thut den groszen hern woll) que de temps en temps on leur donne de flatteuses (gute) paroles’ (p. 162). - Il vient à Dillenbourg assister au baptême de Maurice: il eût préféré ne pas s'y rendre; ‘mais,’ écrit-il à l'Electeur de Saxe, ‘je ne voulois pas avoir l'air d'abandonner mes amis dans le malheur’ (p. 156). Sa sollicitude pour le Prince se manifeste encore dans une des dernières Lettres de ce Tome (Lettre 386); ayant appris à son égard des nouvelles inquiétantes, il s'empresse de demander des informations au Comte Jean de Nassau.
L'Empereur Maximilien II, dont cependant on ne sauroit révoquer en doute les convictions Evangéliques (p. 473), avoit désapprouvé fortement l'expédition de 1568 (Lettre 306a): en 1572 il s'élève contre les projets d'invasion avec plus de véhémence encore, écrivant au Prince: ‘Tous les malheurs que depuis la prise des armes vous avez éprouvés, c'est vous-même qui en êtes cause’ (p. 477). A chacune de ces époques sa désapprobation avoit beaucoup nui aux affaires des Protestants. Le Prince le donne à entendre, en 1568, dans une Lettre à de Schwendi relative à la mort des | |
[pagina XXIX]
| |
Comtes d'Egmont et de Hornes, et qui, selon toute apparence, devoit être communiquée à l'Empereur (p. 247, sq.). Et en 1572 il écrit: ‘Les Princes d'Allemagne m'avoyent donné quelque espérance, mais tout cela a esté renversé par la practique et lettres de l'Empereur’ (p. 449). Remarquons néanmoins que Maximilien s'étoit donné beaucoup de peines afin d'arranger les choses amiablement (Lettre 299a), et que, pour être juste, on doit se rappeler qu'au Chef de l'Empire étoient imposés des devoirs tout particuliers.
L'Electeur Auguste de Saxe n'avoit pas cette excuse. Nos documents ne donnent pas une très favorable idée de sa perspicacité et de son caractère. Il nous sera permis de supposer que, si le Prince le consultoit souvent; si même, après la campagne de France, il se rendit vers lui (‘J'estois contraint,’ écrit-il au Landgrave, ‘me partir incontinent vers le païs de Saxe’ p. 370); ce fut plutôt par égards pour un Prince puissant et dont l'Empereur étoit ami, que par une haute opinion de la sagesse de ses vues et de la justesse de ses observations. Du moins est-on obligé de reconnoître que l'Electeur montre peu de prévoyance, peu de géné- | |
[pagina XXX]
| |
rosité, peu de sentiment de la position réelle des affaires, peu d'intelligence des nécessités du moment. Il n'aime pas à s'expliquer: ‘Personne ne peut mieux conseiller le Prince quele Prince lui-même’ (p. 33). ‘Je ne suis pas,’ dit-il, ‘suffisamment au fait de ce qui s'est passé’ (p. 133). Et, quand il s'explique, voici comment. Il veut que le Prince reste dans les Pays-Bas, mais qu'il écrive un Mémoire, bien travaillé, bien détaillé, une belle composition (eine vleissige, ausfürliche, und zierliche schrift, p. 34). Après que le Prince est venu en Allemagne, il lui recommande de ne pas rappeler son fils (p. 135). Quant au Prince lui-même, il l'exhorte à ne pas bouger (stille sitzen, p. 134). Si d'abord il intercède pour les Pays-Bas (p. 41, 178), bientôt son zèle se refroidit, apparemment par intolérance envers des opinions dont il n'avoit pas saisi le sens. ‘Le Conte Günther de Schwartzbourg,’ écrit en 1570 le Prince au Comte Jean de Nassau, ‘est parti pour trouver l'Electeur avant son partement pour l'Empereur ... Je l'ay prié que, si vient à propos, luy ramentevoir l'affair des pouvres Chrestiens, mais je crains bien que serat labouré en vain’ (p. 350, in f.). Et plus tard: ‘Le Comte | |
[pagina XXXI]
| |
n'ast rien parlé au Duc de Saxe de mes affaires, à cause ... qu'il ne luy ast aussi rien mandé de moy ... Je crains bien que ce particuliers visitations ne seront fort à l'avancement des povres Crestiens’ (p. 353). L'Electeur avoit prêté dixmille florins au Prince; en 1570 il ne vouloit pas lui accorder ‘dilay de paiement pour ung an’ (p. 358). Vraiment le Comte de Schwartzbourg n'avoit pas tort, lorsqu'en 1563, se servant d'une comparaison un peu triviale, mais qui rendtrès bien son idée, il disoit: ‘l'Electeur est constant comme du beurre au soleil’ (der guthe Fürst bestehet wie putter an der Sonnen: Tom. I. p. 101).
Avec plus de bonne volonté, le Duc de Clèves n'étoit guère plus ferme dans ses résolutions. Autrefois Protestant, après sa défaite par Charlesquint redevenu Catholique, gendre de l'Empereur Ferdinand, embarrassé par ses relations de famille, intimidé par ses souvenirs, il étoit partagé entre la crainte du danger et la conviction du devoir. Par une apoplexie son zèle pour la Réforme renaît: ‘On ne sauroit se faire une idée’ écrit le Comte Jean de Nassau, ‘de sa sollicitude pour la Religion, et de la ferveur avec laquelle il crie à Dieu | |
[pagina XXXII]
| |
jour, et nuit’ (p. 21). Mais un an après ‘Madame de Horn a envoyé vers Monsieur de Clèves, comme Kraissfürst, il a dit n'estre pas Chief du Cercle et ne luy a pas voulu donner ung seul mot de lettre au Duc d'Alve, ne disant aultre mot que mal et patience ... Velà comme sommes bien fondez en ce quartier’ (p. 224). Le Prince se méfioit de tels caractères (p. 162 in f.); il savoit qu'une hésitation pusillanime les peut pousser jusqu'à la trahison.
Les Princes décidément Catholiques ne semblent guère avoir désapprouvé les mesures du Roi d'Espagne. Les Ducs Henri de Brunswick et Albert de Bavière se soucioient peu même des Comtes de Hornes et d'Egmont (p. 128, sq.). Ce qui est plus surprenant, Prince Evangélique, le Duc Adolphe de Holstein étoit au service du Roi d'Espagne (Lettre 384.). De même George-Jean, Comte Palatin, malgré ses belles protestations (Lettre 314), vendoit, comme aussi le Duc François II de Saxe-Lauenbourg, son épée au plus offrant (No 298a, Lettre 303, et p. 212). Pour expliquer leur conduite, rappelons, bien que ce soit une déplorable excuse, l'animosité des Lu- | |
[pagina XXXIII]
| |
thériens contre les Calvinistes. Outre ce que nous avons dit de l'Electeur de Saxe, nous en communiquons deux exemples particulièrement frappants. La Députation que quelques Princes, après de longs retards, envoyèrent en 1567 à la Duchesse de Parme, et sur laquelle on verra des détails (p. 80, sqq.), ne devoit, dans un pays plein de Calvinistes, intercèder que pour les Luthériens. Le second exemple est consigné dans une Lettre du Prince: ‘Il y at deux ambassadeurs du Roy (de France) vers le Duc Hans Wilhelm (de Saxe) ... que l'on dict pourchassent fort de la part de leur maistre que le dit Duc volusse aussi marcher, mais qu'il ne s'est ancores résolu: bien est vray que les prédicants preschent ouvertement en présence de ces ambassadeurs, que ceulx de la religion de France et Pais-Bas ne sont que muttins, rebelles, sacramentères, briseurs d'images, et que l'on feroit gran service à Dieu et bien à toute la Crestienté de les abolir et ruiner.’ Il n'est pas étonnant que le Prince ajoute: ‘La chose est venu là que, si Dieu ne ayde miraculeusement, que la relligion est en gran hasart de prendre pour long temps une fin; car person ne se auserat plus emploir pour la pourchasser, | |
[pagina XXXIV]
| |
voiant la flosseté et le peu de corage qu'il y at à ceulx quil la debvriont par raison avancer et la sustenir’ (p. 333, sq.).
Si en Allemagne les relations avec le Prince étoient souvent troublées par ces tristes débats, en France où le Calvinisme étoit l'élément principal de la Réforme, cette opposition de doctrines avoit un effet tout différent. La communauté d'opinions resserroit des noeuds qu'au delà du Rhin des divergences plus ou moins prononcées venoient incessamment relâcher. Et ce n'est pas seulement quant aux croyances religieuses que la cause étoit identique; la position étoit à peu près la même, sinon vis-à-vis de Charles IX, qui n'étoit souvent que l'instrument des partis (p. 496, sqq.), du moins envers la faction des Guises, du Pape, et de l'Espagne, dont le fanatisme persécuteur rivalisoit avec celui de Philippe II. Ce qui se passoit dans les Pays-Bas ne pouvoit étre indifférent à la France, et par contre les événements de la France réagissoient sur les Pays-Bas (p. 207).
Le Cardinal de Châtillon est en correspondance avec le Prince d'Orange (p. 364 et la Lettre 343).- | |
[pagina XXXV]
| |
De la Noue, grand homme de guerre et plus grand homme de bien (paroles de Henri IV en apprenant sa mort), se trouve, en 1572, dans Mons: ‘Le Seigneur d'un bras’ (il avoit perdu l'autre à la guerre) ‘est soubzhaicté dehors, et le craignent fort’ (p. 469, in f.). - En 1570 le Prince écrit au Comte Jean: ‘Je vous prie me voloir envoyer la petite hacquené que Monsr l'Amiral (de Coligny) m'at donné’ (p. 350).
Déjà en 1567 les Chefs des Réformés de France firent proposer au Prince une Confédération. Ceci résulte clairement d'un passage où l'Electeur de Saxe fait mention du secours et de l'alliance que les Seigneurs François ont offerts (p. 131 et 134, 1. 5). Bien que le Prince, en décembre, déclare ne s'être pas engagé dans un Traité, ni dans des obligations envers les dits Seigneurs (p. 143), il est probable que ces propositions furent quelques mois plus tard acceptées. Parmiles pièces les plus curieuses de ce Tome est le projet ou la minute d'un Traité avec Condé et Coligny portant la date d'août 1568 (no 321a). On y lit: ‘Avons, tant pour nous que au nom de la Noblesse, .... promis de pourchasser, tant qu'en nous est, la gloire de | |
[pagina XXXVI]
| |
Dieu, le profict et service de nos Roys, et le bien publicq, et la liberté de la religion, sans laquelle nous ne pouvons vivre en paix.’ (p. 285.).
Les Confédérés s'y disent conduits par ‘la loyaulté et obligation que nous debvons à nos Princes’ (p. 284.). Mais que servent des citations de ce genre? Une injuste préoccupation ne sauroit y voir que des protestations hypocrites: beaucoup d'écrivains de nos jours, s'obstinant à ne pas admettre dans la conduite des Réformés un mobile Chrétien, attribuentà ces hommes, ornements de la France, une ambition à laquelle même la majesté du Trône n'imposoit pas de frein, et pour qui les dispositions religieuses de l'époque n'étoient qu'un moyen de susciter des révoltes. Nous nous félicitons d'autant plus de pouvoir réhabiliter leur mémoire par un autre témoignage, fort explicite, et qui doit, ce nous semble, avoir beaucoup de poids. Le Landgrave de Hesse étoit, comme son père, en général très porté pour la Cour de France. Nullement enclin à favoriser des projets ambitieux et turbulents; voulant même, malgré son zèle pour la cause Evangélique, condamner le Prince à l'inactivité, il n'étoit certes pas disposé à voir de très bon oeil les Huguenots, eux | |
[pagina XXXVII]
| |
aussi saisissant les armes. Même il écrit au Prince en 1567, lors de l'explosion de la guerre civile dans les environs de Paris: ‘La chose nous paroît ressembler plus à une rebellion qu'à une demande équitable’ (p. 128). Eh bien! Ce juge, auquel on ne pourra certes supposer de la partialité, si ce n'est contre les accusés, écrit en février 1568 ce qui suit: ‘Ayant envoyé des Députés au Roy de France, je me suis soigneusement enquis d'eux à leur retour, de quelle manière ils considérent la déplorable situation de la France, s'il s'agit principalement de la Religion, ou bien de révolte et d'intérêts particuliers; à quoi ils m'ont répondu ... que plusieurs des Huguenots qui sont à la Cour et dans les troupes du Roi, leur ont raconté que, quoique des affaires particulières puissent s'y mêler, il est incontestable que le Prince de Condé et ses alliés ne sont conduits à cette guerre par nul autre motif que par mécontentement ou crainte au sujet de la violation et de l'anéantissement de l'Edit de Pacification: et qu'il y a une multitude d'hommes d'honneur et de probité auprès du Prince de Condé qui, s'ils s'apercevoient qu'il cherche non la liberté de la religion, mais sous ce prétexte sa propre grandeur | |
[pagina XXXVIII]
| |
et la Couronne du Roi, non seulement ne resteroient pas auprès de lui, mais même le tailleroient en pièces’ (ihnen selbst zue stücken zerhawen würden, p. 165). Il nous sera permis de recommander ce passage à la méditation de ceux qui dans les Réformés du seizième siècle ne voyent que des fauteurs de révolution.
Quand nous considérons les évènements de ces six années, tout, pour le Prince d'Orange, se résume dans une série d'efforts inutiles. Avant d'en tirer des conséquences peu favorables à ses talents, examinons les obstacles contre lesquels il eut à lutter.
On a facilement des troupes avec la conscription et le budget: le Prince ne possédoit pas ces puissants leviers. Ses biens étoient en grande partie confisqués; il ne pouvoit ni imposer des contributions ni décréter des levées. Les démarches pour se procurer de l'argent en Allemagne; les collectes faites en son nom, soit parmi les réfugiés, soit secrètement dans les Pays-Bas, étoient médiocrement ou même fort peu efficaces: on promettoit beaucoup, le plus souvent on ne tenoit rien. Il refusoit des secours | |
[pagina XXXIX]
| |
précieux, ‘devant faire son compte d'après ses moyens’ (p. 175), et le moment favorable passoit par des retards forcés. ‘Le temps et les belles occasions s'en vont ainsy perdues, à quoy si eust pleu à Messieurs les Princes de par delà de tenir la main, bien facillement eussent-ilz à tout remédié’ (p. 484). Au milieu d'une expédition, il devoit craindre que les soldats mécontents ne voulussent plus avancer. En 1568, n'ayant pas reçu l'argent ‘accordé, il est tellement pressé que, s'il n'est secouru d'argent, il sera contrainct licentier son armée’ (p. 311). Vers la fin de juillet 1572, en marche sur la foi des promesses les plus positives, il écrit au Comte Jean: ‘Je regarderay de passer outre au nom de Dieu. Oires que je vous puis asseurer qu'il ne m'est venu encoires ung seul sols, dont je vous laisse penser la peine où je me treuve’ (p. 483, 1. 8). De même le mois suivant, dans des circonstances critiques, où de la promptitude des secours dépendoit la probabilité du succès: ‘Je vous puis assurer n'avoir encore receu ung seul denier.... Je vous laisse penser en quel peine je suis’ (p. 489, l. dern.). Forcé de congédier les troupes sans pouvoir les payer, il échappoit à peine aux mauvais traitements de la sol- | |
[pagina XL]
| |
datesque et, sauvé par l'intervention des Capitaines, il couroit risque de perdre ensuite la liberté. Plusieurs Lettres sont relatives aux négociations avec ses Officiers, qui exigeoient qu'il se constituât en ôtage. Il demande ‘qu'on leur donne à entendre le hasart en quoy ils me mestriont en cas qu'ilx volussent que je me mis en quelque plasse.....; au contraire que, si je suis libre, il se porroit ancores, par la grâce de Dieu, offrir choses quil leur porroit venir à gran bien’ (p. 338, sq.). Si le Prince ne pouvoit suffire aux fraix de ses généreuses tentatives, ce n'étoit pas faute d'avoir épuisé ses foibles ressources. Nous le voyons occupé à aliéner ou à mettre en gage tout ce dont il pouvoit disposer. Il écrit au Comte Jean: ‘Ceste nuit a amvoié ma soeur le coffret que savés à Wimar, pour ce que le Conte de Barbi escrit à ma soeur qu'il espère que le Duc le prenderat pour six mil florins’ (p. 334). ‘Vous porrés prendre l'argent hors du coffre, où il y ast ancores quelque vassel de chapel’ (p. 339). ‘Ce qui touche la vassel et aultres meubles...., me semble que le meilleur serat de vendre les meubles à ceste foire pièces à pièces, et que l'on recouvrat plus d'argent par ceste fasson’ (p. 358.) | |
[pagina XLI]
| |
La composition des armées avoit de grands inconvénients. Sans doute beaucoup de guerriers suivoient le Prince par principes et par dévouement; toutefois il étoit obligé de contracter avec des Capitaines qui se chargeoient, en grande partie, des levées. De là une multitude de gens sans aveu, attirés par le désir d'une forte solde et d'un large butin. Criant après leur paie aux approches du danger, ces mercenaires perdoient souvent le général et l'armée. Leur conduite la veille de la bataille de Heyligerlee est un exemple de cet oubli sordide et lâche de leurs devoirs. ‘Les soldats ayant le danger devant les yeux, commencèrent à se mutiner et à exiger avant le combat contentement quant à leur solde; en sorte que ce jour là on ne put rien faire de bon’ (p. 222). Ils devenoient surtout intraitables lorsqu'au payement partiel et tardif se joignoit la nécessité d'une retraite; le regret d'avoir fait une mauvaise spéculation les aigrissoit. En 1568 le Prince se trouvant en Picardie dans une situation des plus périlleuses, une partie des troupes Allemandes lui demanda violemment des quartiers d'hiver, de l'argent, dorénavant le double de la solde promise, et quelques uns même refusèrent de le servir plus longtemps (p. 308). | |
[pagina XLII]
| |
Comme, faute de choix, il étoit souvent obligé d'accorder sa confiance à des gens qui n'en étoient pas dignes, leur conduite lui suscita beaucoup d'embarras, lui causa bien des soucis. C'est ainsi qu'ayant fait le Seigneur de Dolhain Amiral, ‘on n'a sceu le faire condescendre à rendre ses comptes: .... on ne l'a sceu induyre pour le faire aller vers ses batteaulx, afin d'y mectre l'ordre requiz, l'ayant refusé plattement, jusques à dire qu'il n'en feroyt rien, combien que je le luy commanderoys’ (p. 364). Ceux à qui il avoit donné commission sur mer, pour la plupart, négligoient leurs devoirs et se conduisoient en pirates. ‘Ils laissoient périr les batteaulx par leur nonchallance, yvroingnerie et grand désordre’ (p. 364). On luy mandoit de France: ‘Quant à voz navires qui sont à présent en ceste coste (près de la Rochelle), ....... il est plus que expédient que vous y pourvoiez d'ung homme de commendement ...; car je n'y voi pas grand ordre, mesmes ainsy comme ilz font, s'ilz prenoient tout le monde, il n'en reviendroit aucun proffit, ny à vous, ny à la cause’ (p. 376).
Nulle part du secours, du soutien. Philippe de | |
[pagina XLIII]
| |
Hesse meurt en 1567, Christophe de Wurtemberg en 1568; l'Empereur se déclare contre le Prince, l'Electeur de Saxe l'abandonne, même le Landgrave de Hesse le condamne. En 1569 il écrit: ‘La question est de voir oùl'on nous vouldra recepvoir, car tant en viles que républicques je pense qu'ils les penseront plus de deux fois avant que me recepvoir; comme je pense aussi que la Royne d'Angleterre, Roy de Dennemarck, Roy de Poloni, et bien des Princes d'Alamaigne feront le mesme’ (p. 329). Même quand ils sembloient être de bonne volonté, les Princes Protestants d'Allemagne faisoient beaucoup de tort à la cause par leurs hésitations, leurs lenteurs, leurs mouvements indécis, pesants, et tardifs. Méconnoissant leur intérêt aussi bien que leur devoir, ils attiroient des dangers a l'Allemagne par leur inconcevable insouciance envers les Pays-Bas. ‘Il est temps,’ s'écrie le Prince après la St. Barthélemy, ‘que les Princes d'Allemagne se resveillent, là où ils voyent tout manifestement à quoy l'on prétend; car ce n'est ny à moy, ny à vous en particulier que l'on en veut ... Il faudra certes que, après que nous autres, petits compagnons, serons deffaits, qu'eux attendent aussy leur tour pour saouler l'avarice et la rage san- | |
[pagina XLIV]
| |
glante de ces ennemis de Dieu et de toute justice ... Il fault qu'ilz s'esveillent désormais, s'ilz ne vueillent attendre l'entière ruine d'Allemagne qui leur panche desjà sur la teste, ayant esté brassée de longue main’ (p. 507, sq.). Ceux même qu'il venoit délivrer, à leur instance et à ses périls, n'osoient se mouvoir. Entré dans les Pays-Bas, ‘il n'y a trouvé ayde ny faveur de personne’ (p. 311).
Le Prince couroit des dangers de toute espèce. On lui tendoit des embûches (Lettre 328). ‘Facillement l'on trouverat ung estat de blistres, qui, pour gainger de l'argent, se adventureront de me faire ung maves tour’ (p. 344).
A toutes ces difficultés on doit ajouter une cause de découragement moins apparente peut-être, mais certes non moins pénible à supporter, les déplorables écarts de son épouse.
La nature des griefs qui en 1571, motivèrent une séparation, n'a jamais été un mystère. Le Prince lui même, ne pouvant tenir la chose secrète, ne vouloit point une demi-publicité. ‘Je ne puis en. | |
[pagina XLV]
| |
conscience,’ écrit il, ‘relâcher le prisonnier; sa confession est déjà connue de beaucôup de gens: en le faisant, je me rendrois pour toujours suspect aux Eglises des Pays-Bas et à un chacun’ (p. 395). Plusieurs historiens, Strada, de Thou, Grotius, et d'autres en ont parlé. Cependant un voile couvroit encore beaucoup de détails: des éclaircissements nouveaux l'ont déchiré. M. Böttiger, qui jouit en Allemagne d'une célébrité méritée, a fait insérer un article dans l'Annuaire de M. von Raumer (Historisches Taschenbuch, a.o 1836, p. 79-175), où, se fondant sur des Manuscrits tirés des Archives de SaxeGa naar voetnoot1, illeur emprunte des particularités intéressantes et de très vives couleurs pour dépeindre les inconcevables emportements d'Anne de Saxe, sa conduite coupable, et son endurcissement. Nous ne saurions prendre sa défense, mais on adresse des reproches indirects à son époux, et nous pouvons et par conséquent nous devons le justifier.
| |
[pagina XLVI]
| |
D'abord il semble que, tout en admettant la probabilité de la faute, on laisse subsister quelque incertitudeGa naar voetnoot1 à cet égard. Dès lors s'ouvre un vaste champ à des suppositions et à des conjectures qui placeroient la conduite du Prince dans un très défavorable aspect. - Choisissant une déclaration explicite parmi une multitude d'aveux (p. 391), nous avons mis Guillaume de Nassau à l'abri non seulement du reproche, mais encore du soupçon. Du reste sur un aussi triste sujet nous avons gardé le silence: car, si nous ne méconnoissons pas ce qu'exigent la vérité historique et le respect dû à la mémoire d'un de nos Princes les plus illustres, nous n'avons cependant aucune envie de satisfaire, même aux dépens de personnes coupables, une vaine curiosité.
Ensuite on expose qu'Anne de Saxe avoit été parfai- | |
[pagina XLVII]
| |
tement élevée; mais que, plein d'indifférence pour elle et absorbé dans les affaires des Pays-Bas, le Prince avoit négligé son épouse et disposé de ses biens; et qu'ainsi, ne pouvant vivre convenablement, s'abandonnant à la tristesse et au désespoir, elle étoit tombée dans de graves excès. Nous ne pouvons répondre ici à tout en détail, et d'ailleurs les particularités mêmes que M. Böttiger communique, réfutent en partie ces accusationsGa naar voetnoot1. Nous | |
[pagina XLVIII]
| |
croyons remplir notre tâche en indiquant quelques uns des passages les plus saillants de notre Recueil, qui placent le caractère et les infortunes domestiques du Prince sous un jour tout différent.
La conduite d'Anne de Saxe laissoit depuis longtemps beaucoup à désirer (Tom. I. p. 253). Son naturel violent étoit suffisamment connu en Allemagne. Déjà en 1565 le Landgrave de Hesse lui recommande de se conduire envers le Prince avec affabilité et obéissance, comme il convient à une ‘sage (frommer) Princesse: car,’ écrit-il au Comte Louis de Nassau, ‘on en parle dans le Palatinat, en Wurtemberg, en Alsace et dans tout le pays (dem gantzen oberland) que je viens de visiter’ (Tom. I. p. 270). En 1566 son humeur et ses invectives n'étoient plus à supporter (lenger zu leiden ist mir unmöglich. Tom. II. p. 32). Le Landgrave et l'Electeur de Saxe pourvurent à l'entretien convenable (fürstlichen underhaltt) du Prince et de sa famille: en sorte qu'Anne pouvoit recevoir journellement, outre ses enfants, 24 personnes à sa table (p. 159). En 1568 le Landgrave ne jugeoit pas que les torts fussent du côté du Prince: il écrit à l'Electeur de Saxe: ‘Nous avons dit à la Princesse sérieusement | |
[pagina XLIX]
| |
(mitt vleisz) ce qui étoit nécessaire, et nous lui avons fait une exhortation, et l'avons induite à nous promettre que dorénavant elle s'abstiendroit de colère, et se conduiroit mieux (freundlicher) envers son Seigneur et époux’ (p. 156).
Mais il y a plus, et nous avons des preuves en abondance de la conduite indulgente du Prince, de sa patience, et de sa douceur.
A peine revenu de France, il prie son épouse de venir le trouver; il la sollicite, il l'exhorte, il la supplie. C'est en vain; elle garde le silence, ou bien les injures accompagnent les refus (Lettres 330, 336, 341, 345). Las enfin d'être traité de la sorte il écrit au Landgrave: ‘Je supplie vostre Exc. de penser au remède, et la tellement induire et remonstrer qu'el se gouverne doresnavant aultrement, et plus saigement, et comme elle est obligé de faire devant Dieu et le monde, car en vérité ne m'est plus possible d'avoir pacience comme jé bien eu jusques à maintenant; car tant des adversités, l'ung sur l'autre, faict à la fin que l'homme pert toutte sens et pacience et respect, car en vérité il me faict tant plus de mal, | |
[pagina L]
| |
au lieu que je debvrois avoir quelque consolation de elle, qu'i fault qu'el me die cent mille injures... Par cela l'on peut veoir l'amitié qu'el me porte et le remercissement d'avoir enduré paciemment tant de folies et oultrajeuse parolles, mais puisque les choses sont venu si avant, Vostre Exc. ne trouverat mauvais si je regarde au remède, en cas qu'elle ne se veult chastoier’ (p. 372). Certes cette démarche n'a rien d'étonnant. Mais ce qui surprendra peut-être, c'est le ton d'une Lettre écrite en novembre 1569, après avoir reçu des injures, après en avoir été abreuvé. ‘Je ne dis cessi pour vous voloir persuader de venir issi, car puisqu'il vous est tant contrair, le remés à vous, mais pour vous ramentevoir de vostre obligation, selon que suis tenu de faire, tant par le commandement de Dieu que pour l'amitié que je vous porte, affin que demain ou après advienge ce qui peult, je sois satisfaict à ma conscience de vous avoir remonstré ce que devant Dieu et le monde estes obligé; mesmement plus en ce tems que en ung aultre, où il n'y at chose en ce monde qui donne plus de consolation que de se voir consolez par sa femme et veoir que avecque pacience elle démonstre vou- | |
[pagina LI]
| |
loir suffrir la croix que le Tout-puissant amvoie à son mari, mesmes quand c'est pour choses où il a pensé avancer la gloire de Dieu et pourchasser la liberté de sa patrie.’ (p. 327, l. 13-27). Sur cette Lettre ‘ne m'at jammais respondus ...; si esse que je luy escrivis de rechief, la priant se voloir trouver issi ...; que, si cela ne luy plaisoit, qu'el me dénommisse aultre plase .... Sur quoy me lessa deux mois sans responce’ (p. 370).
Le Prince avoit-il négligé son épouse?
Mettant en parallèle les obstacles et les ressources, nous ne sommes plus surpris à la vue du peu de succès; mais en voyant le Prince et sa constance qu'aucun malheur ne décourage, que nul revers ne peut abattre, nous disons: on ne persévère pas ainsi sans le sentiment du devoir et la conscience de sa vocation; sans la confiance en Dieu qui nous appelle, et à la cause duquel on se dévoue; sans la pensée toujours présente que l'action est ordonnée à l'homme, et le résultat entre les mains de l'Eternel. Une conviction sincère peut seule être efficace: la conduite du Prince est une preuve incontestable de sa foi. | |
[pagina LII]
| |
Mais cependant, dit-on, élevé dans les opinions Protestantes, il devint Catholique à la Cour de Charles-quint; redevenu Protestant, il se fit Calviniste, après avoir été Luthérien; et ces changements paroissent avoir toujours eu quelque chose de subit et d'intéressé. Il nous semble, au contraire, que, le plus souvent en opposition manifeste avec les conseils d'une prudence égoïste, ils furent le dernier résultat d'un travail long et progressif. Au moins ne devint-il pas tout-à-coup Protestant. Ses convictions se modifrerent peu à peu: il n'est pas difficile d'en suivre la marche. Lorsqu'à onze ans il fut envoyé aux Pays-Bas, de longues guerres n'ayant pas exaspéré les esprits, ni le Papisme, comme ensuite par le Concile de Trente, solennellement converti ses erreurs en points dogmatiques; la scission entre Rome et les Protestants n'étant pas encore prononcée, le Prince, en restant dans l'Eglise romaine susceptible encore de Réforme, ne renioit pas la foi de ses parents. Nous avons vu, dans les Tomes précédents, comment diverses circonstances développèrent un germe que, sans la grâce Divine, les dissipations mondaines eussent aisément étouffé (Tom. I. p. 71). | |
[pagina LIII]
| |
Depuis longtemps Protestant de coeur, il répugnoit à se déclarer ouvertement (Tom. II. p. 454, sqq.). C'est malgré cette répugnance, c'est contre ses intérêts, qu'il donne à entendreau Roi (Tom. II. p. 498) et à la Gouvernante qu'en certains points la Religion lui défend d'obéir. La Duchesse de Parme lui écrit: ‘le temps est venu que tous bons vassaulx sont [tenuz] démonstrer le service qu'ils veullent faire à sa Maté et à la patrye’ (p. 43). Il répond ne vouloir ‘en riens ester trouvé inférieur à ses prédécesseurs en choses concernantes le service de Dieu, du Roy, et du pays’ (p. 47). Et quant au Calvinisme, remarquons d'abord que, déclarant ne pas s'y ranger, il déclare aussi qu'on exagère beaucoup les différences entre cette doctrine et la Confession d'Augsbourg. Remarquons ensuite que depuis sa venue en Allemagne tout semble concourir à le fortifier dans cette dernière idée, et même à l'incliner du côté de Calvin. On a vu ses rapports fréquents avec Guillaume de Hesse, et le Landgrave unissoit, à un degré très rare alors, la tolérance à la pieté. C'est à lui qu'il communique le dessein de consacrer ses loisirs à une méditation sérieuse de la Parole de Dieu: ‘J'aimerois beaucoup (von hertzen gerne) pour l'augmentation de ma foi (zu | |
[pagina LIV]
| |
sterckung und bestettigung unsers gemüts und gewissens) employer le temps que je suis hors des Pays-Bas, à la lecture et à la méditation de la Parole Divine’ (p. 100). C'est du Landgrave qu'il obtient pour six mois un Prédicateur Evangélique, qui puisse le guider dans cette étude. C'est le Landgrave qui lui envoye un ouvrage de Mélanchthon, de celui qui toujours avoit recommandé les voies de conciliation et de douceur, ajoutant: ‘Nous vous prions de le lire en entier avec zèle, et de bien le méditer, et d'y conformer votre foi; certainement cela contribuera au bien et au salut de votre âme’ (p. 107, sq.). Ajoutons à ces instructions et à ces lectures les relations avec l'Electeur Palatin et son fils Casimir, fervents Calvinistes; le séjour du Prince et des Comtes Louis et Henri en France, et leurs rapports habituels et intimes avec les Reformés; les conversations de Marnix, disciple de Calvin et de Bèze; celles de Villiers (p. 102) et Taffin (p. 272), Ministres du S. Evangile, tous deux appartenant à l'école des Réformateurs de la Suisse, et l'on devra, ce nous semble, avouer que le Prince eut abondamment occasion de se convaincre, sinon que le Calvinisme mérite la préférence, du moins qu'il se rencontre | |
[pagina LV]
| |
avec les opinions de Luther dans les points essentiels de la foi.
Certes le Prince n'étoit pas indifférent aux libertés du pays; néanmoins c'est toujours en seconde ligne que cet objet terrestre est placé. Sous ce rapport le parallèle entre lui et beaucoup d'autres se trouve écrit en 1567 de sa main: ‘Il y a encore des Seigneurs auxquels la liberté de ces pays est chère; mais, pour ces affaires de la Religion, elles ne leur tiennent pas véritablement à coeur. Ils sont assez indifférents sur cet article, en sorte que nous ne voyons pas comment les pauvres gens pourront être secourus et la Religion conservée’ (p. 38).-‘On veut exterminer toute Religion contraire à celle de Rome’ (p. 37), c'est là ce qui depuis 1559, lorsqu'il pénétra d'exécrables projets, ne lui laisse plus de repos. S'adressant à l'Electeur de Saxe, ‘Je suis tenu, comme tout Chrétien,’ écrit-il ‘et disposé de tout mon coeur à faire ce qui peut servir à la gloire de Dieu et au bien-être du prochain, surtout de ceux qui sont persécutés çà et là pour la cause de l'Evangile;’ alors seulement il ajoute: ‘et à conserver, comme l'honneur et l'équité l'exigent, les intérêts et la | |
[pagina LVI]
| |
liberté de la patrie et de nos amis’ (p. 143). Tel est l'ordre habituel de ses pensées, et toujours il songe aux Chrétiens. ‘Il seroyt maintenant plus que temps de secourrir les pouvres Chrestiens en France’ (p. 366). ‘Je serois très aise de veoir que l'on pusse trouver quelque moiens convenables pour aider tant ceulx de la Religion en France, comme ceulx du Pays-Bas’ (p. 378). Dans une Déclaration solennelle il cite comme cause de la ruine du pays l'asservissement de la vraie religion, puis aussi (mitsgaders) l'injustice dans l'administration politique (p. 201 in f.); et dans une autre pièce, écrite par lui-même, et où il est beaucoup question de Privilèges, on lit: ‘Les subjects du Pais-Bas ont désiré de vivre et servir leur Dieu selon Sa sainte parolle, ce qui leur est interprété à rebeillion et mutinerie, qui est cause qu'ilx sont exécutés, déchassés, et mailtraictés’ (p. 205, in f.). Et ce n'est pas pour une liberté de Religion vague et indéterminée qu'il se dévoue, mais pour la Religion Reformée (p. 198), en opposition avec celle des Papistes (l.l. l. 3), laquelle, malgré ses égards pour eux, malgré ses calculs politiques, il ne craint pas de nommer une idolâtrie (p. 201, in f.). | |
[pagina LVII]
| |
Et, si de ces actes nous revenons à la correspondance privée, c'est là surtout que, dans une foule d'expressions, sa sincérité se revèle; c'est là qu'en comparant les Lettres de différentes époques, on peut suivre à l'oeil ce qu'il y eut de progressif dans la clarté et plus encore dans la ferveur d'une foi croissanté sous l'influence des dispensations sévères de Dieu.
Après le coup terrible que la défaite de Jemmingen vient de lui porter, il écrit au Comte Louis: ‘Néantmoins puisqu'il a pleu ainsi à Dieu, il en fault avoir la patience et ne perdre couraige pour cela, ains se conformer à Sa divine volunté, comme aussi de mon costé j'ay délibéré de faire, en tout ce qui peult advenir’ (p. 276). Après la ruine de ses espérances dans les PaysBas, ‘le Prince a résolu de servir à la gloire de Dieu en France, puisqu'il n'a pleu à Dieu de bénir son labeure au Pays-Bas’ (p. 311). Après la campagne de France et le désastre de Montcontour, au milieu de ses infortunes domestiques, écrivant à sa femme: ‘Ne vous peus sur mon honneur rien mander de certain, car je suis délibéré me mestre entre la main du Tout-Puis- | |
[pagina LVIII]
| |
sant, affin qu'Il me guide où serat Son bon plaisir; ainsi bien je voy qu'i me fault passer ceste vie en misères et traveille, de quoy suis très content, puisqu'il plait ainsi à Tout-Puissant, car je scay que ay bien mérité plus grand chastoie; je Le supplie seulement de me faire la grâce de pouvoir tout endurer patiemment, comme j'ay fait jusques à maintenant’ (p. 329). A la même époque, et rappelant à Anne de Saxe ses devoirs: ‘Je prie le Tout-Puissant de vous voloir illuminer par Son Saint-Esprit et nous tous en ce quil nous est le plus salutaire, affin que, venant devant luy au jour du jugement, Luy puissions rendre tant meilleur compte de nos actions’ (p. 330). Indigné de la conduite des Princes Luthériens envers les Calvinistes: ‘Me faict asseurément croire que Dieu veult faire ung grand coup de Sa main, puisqu'Il aveuglit ainsi ceulx qui peuvent mestre remède’ (p. 334). Ayant appris la révolte des Maures: ‘Il seroit à espérer que à la fin le Roy et le Duc d'Alve ... cognoisteront qu'il y at ung aultre plus gran et puissant que eulx, quil les peult chastier quant bon Luy samblerat ..... Pens que le bon Dieu | |
[pagina LIX]
| |
le faict seulement pour ung exemple, assavoir que les Mores peuvent donner ung si gran empeschement, .... ce que porroit faire doncques ung peuple du Pays-Bas’ (p. 361, sq.). Au commencement de l'expédition de 1572: ‘Ayant pleu à ce bon Dieu me conduire depuis nostre dernière entreveue ... en fort bonne disposition, je n'ay volu obmectre de vous advertir du bon succès que de jour à autre il plaist au Seigneur Dieu donner à nos affaires ... J'espère que le bon Dieu me fera la grâce de passer oultre, oires que les moiens que scavez me sont encoires bien petits, et n'ay jusques à présent aucune asseurance de deniers. Si est ce que pour cela je ne perdray couraige, me confiant entièrement que ce grand Seigneur des armées est avecq nous et se trouvera au milieu de mon armée’ (p. 460, sq). Ecrivant au Comte Louis, assiégé dans la ville de Mons: ‘A Anvers [l'on dit] que le Duc d'Alve vous aura de bref entre ses mains, soit vif ou mort; mais l'Eternel, qui est nostre garant et protecteur, se mocquera de leur desseins et les fera tresbusser en la fosse qu'ils ont cavé’ (p. 465). Se plaignant de l'inertie des Princes Allemands: ‘Et cependant j'ay ma seule confidence en Dieu, | |
[pagina LX]
| |
lequel, je suis asseuré, ne me délaissera point’ (p. 484). ‘Journellement on me faict entendre que je n'auray faulte d'argent, et cependant toutesfois riens ne me vient. Ce néantmoings je le remets à ce bon Dieu, lequel, nous aiant mené si avant, je m'asseure qu'll ne délaissera Sa juste querele et si bonne cause, quoiqu'Il tarde’ (p. 487). Après des succès: ‘Par là nous pouvons clerment veoir combien le Seigneur Dieu miraculeusement défend cest tant juste et équitable cause, qui me faict aussi fermement espérer que, nonobstant tous les efforts et malicieuse practiques de Ses ennemis, Il la conduira à bonne et heureuse fin, à l'advansement de Sa gloire et à la délivrance de tant de povre Chrestiens, si injustement oppressés’ (p. 489).
Dira-t-on que ce sont là des formes de langage, qui n'ont guère de valeur et desens? une phraséologie affectée, un beau masque sous lequel une ambition profonde vient se cacher? Est-il donc si difficile de reconnoître cette abondance du coeur dont la bouche parle; ne voit-on pas qu'une pieuse confiance animant ici le style, lui donne une teinte Chrétienne par laquelle involontairement il se colo- | |
[pagina LXI]
| |
re, et ne venons nous pas de la montrer cette confiance, ce recours au Dieu de l'Evangile, dans les épanchements multipliés et le plus souvent fraternels d'une correspondance intime; tantôt au milieu de la joie, tantôt au plus fort de la douleur, dans les moments les plus désespérants et les plus critiques? Croit-on à une affectation de tous les instants, de toute la vie, et a-t-on le droit de la supposer dans un homme qui, confirmant, plus qu'aucun autre, la sincérité de ses paroles par la nature de ses actions, avoit, au milieu de tant de traverses, de désappointements, et d'infortunes, besoin sans doute d'un principe supérieur aux intérêts terrestres. S'il n'eut eu pour rocher l'Eternel, il ne fut pas resté fidèle à sa devise; ‘saevis inmotus in undis, inébranlable au milieu des flots courroucés.’
Nous avons encore un exemple à ajouter.
Après que le Prince, durant douze années de labeur, n'a recueilli que des infortunes, tout semble changer de face. Charles IX, Elizabeth, beaucoup de Princes Allemands sont prêts à se liguer contre l'Espagne, à favoriser les Pays-Bas. La bonne | |
[pagina LXII]
| |
cause marche de succès en succès; partout les intelligences, préparées depuis longtemps, éclatent; en Hollande et Zélande la défection fait des progrès rapides et presqu'universels; la Frise, la Gueldre, l'Overyssel s'ébranlent à la venue du Comte de Berghes; le Comte Louis, maître de Mons, offre un appui aux villes environnantes, et tient ouverte aux secours François la porte du Brabant. Le Prince lui-même entre dans le pays; prend Roermonde, Tirlemont, Diest, Louvain; bientôt Malines, Dendermonde, Oudenarde se déclarent pour lui; ‘tellement qu'il y a grande apparence que toute la Flandre, ou du moins une bonne partie d'icelle, se doit tourner de nostre costé .... Il y a apparence que Harlingen et Leewarden suyvront l'exemple de Franecker, Dockum, Sneeck, Bolswart, Staveren, Ylst, et se joindront tous ensemble, affin d'attirer par ce moyen aussy à eux la ville de Groeningen’ (p. 502). Le Duc Adolphe de Holstein, écrivant le 18 août au Duc d'Albe, pousse un cri de détresse; il donne à entendre que sous peu tout ce qui est en deçà de l'Yssel, ‘ces pays fertiles et superbes, ces fortes villes’ seront perdues pour le Roi (p. 494). Le Prince pouvoit dire avec vérité: ‘Selon toutes les apparences | |
[pagina LXIII]
| |
humaines, nous étions maistres du Duc d'Alve et eussions capitulé à nostre plaisir’ (p. 505). Ce n'est pas tout encore. L'Amiral de Coligny lui-même veut se joindre à ses alliés triomphants: ‘J'ay recue lettres de Mons. l'Admiral, m'advertissant qu'il.... se lève environ douze mille harquebousiers et trois mille chevaulx, faisant le dit Seigneur Admiral estat de venir en leur compaignie, chose que j'espère qui nous apportera bien grand avancement’ (p. 490). Peu de jours après arrive, non l'Amiral, mais la nouvelle foudroyante de la St. Barthélemy. On attendoit Coligny et les Protestants; on apprend sa mort, leur massacre: une ligue formidable alloit se conclure, elle s'évanouit: à la puissante coöpération de la France succède sa redoutable inimitié. Au lieu de la levée du siège, la reddition de Mons; au lieu d'une défection générale, une réaction qui ne sauroit tarder; au lieu de la réalisation de toutes les espérances, la réalisation de toutes les craintes; la perte au milieu du triomphe, et le naufrage auprès du port. Dans un moment pareil le désespoir étoit excusable, le découragement naturel, et le murmure difficile à retenir. Voici comment le Prince rend | |
[pagina LXIV]
| |
compte à son frère de cette terrible péripétie: ‘Je vous prie considérer comment la malignité des hommes tasche de renverser la grande grâce de Dieu’ (p. 503). ‘Je crain fort que mon frère Lodoïc soit entre les mains du Duc d'Alve et la ville rendue ...; Dieu veuille tourner le tout à la gloire de Son saint nom’ (p. 512). Ne se bornant pas à une résignation passive il exhorte le Comte Jean à redoubler de vigueur (p. 508). Enfin, au lieu de retourner en Allemagne pour y mettre jusqu'à des temps meilleurs, sa personne en sureté, ‘Je suis délibéré,’ écrit-il, ‘avec la grâce de Dieu, m'aller tenir en Hollande ou Zélande et illec d'attendre ce qu'il Luy plaira de faire’ (p. 512).
Se confiant en l'Eternel ce n'est pas en vain que l'homme attend. On en verra la preuve dans la suite de notre Recueil.
Nous aurions pu terminer ici cet Avant-Propos sans la publication récente de l'Histoire des PaysBas par M. le Professeur Leo (Zwölf Bücher Niederländischer Geschichten von Dr H. Leo, I und II Th., | |
[pagina LXV]
| |
Halle, 1832 und 1835). Jamais peut-être la Révolution qui donna naissance à la République des Provinces-Unies, n'a été présentée sous un aussi défavorable aspect. Jamais on n'a avec une égale assurance dépeint Guillaume Premier comme un ambitieux, un intrigant, un traìtre, un hypocrite.
Nous sommes loin de vouloir toujours répondre à des attaques de ce genre. Au contraire nous nous félicitons d'être dispensés d'une tâche si peu conforme à nos inclinations par la nature même d'un Recueil, qui renversant des raisonnements spécieux par des faits authentiques, apprend à mieux connoître ce qu'on a mal jugé. Deux considérations ont vaincu notre répugnance. D'abord le désir de détruire une impression qui, quoiqu'elle ne sauroit être durable, pourroit néanmoins être fâcheuse; ensuite la crainte de paroître garder un dédaigneux silence. Cette arrogance, toujours déplacée, le seroit doublement envers un savant distingué qui, avec une rare franchise, a rétracté publiquement de graves erreurs. Toutefois, puisque, dans cette Préface, par la simple juxta-position de quelques passages notables, nous avons déjà, sous plusieurs rapports, écrit une réfutation, il suffira, après | |
[pagina LXVI]
| |
avoir briévement éclairci un point spécial, d'ajouter peu de mots sur les causes qui expliquent, selon nous, les opinions d'abord inconcevables de l'Auteur.
M. Leo a consacré quelques pages, écrites avec une bienveillance dont nous saisissons cette occasion de le remercier, aux changements que le second Tome de nos Archives avoit rendu nécessaires. En modifiant ses opinions jusqu'à reconnoître qu'en 1566 un projet d'arracher entièrement (völlig entreiszen) les Pays-Bas au Roi n'étoit pas encore développé dans l'âme du Prince (p. xix), non seulement il persiste à le juger avec la même défaveur, mais il veut se prévaloir d'une Lettre que nous avons communiquée (Tom. II, Lettre 228), écrite, dans l'automne de 1566, au Prince par le Comte d'Egmont. C'est un fait connu que vers cette époque on prétendit avoir intercepté des dépêches de l'Ambassadeur Alava à la Duchesse de Parme, fort menaçantes pour ceux qu'en Espagne on considéroit comme promoteurs secrets des mouvements populaires. M. Leo ne voit en cette affaire qu'une invention des Seigneurs, et plus particulièrement du Prince; et transcrivant un passage de la Lettre | |
[pagina LXVII]
| |
que nous venons de citer, il nous adresse le défi suivant: ‘Celui qui veut justifier le caractère du Prince, devra avant tout donner des éclaircissements sur ce méprisable artifice (in diese gemeine Lügengeschichte Licht bringen, p. xxix). Nous craignons que cela ne soit impossible.’
Au contraire; à notre avis, écarter le reproche, n'est ni impossible, ni même fort difficile, et, comme, en toute bonne justice, la preuve est à la charge de l'accusateur, examinons comment M. Leo prétend s'acquitter de ce devoir.
Il cite d'abord StradaGa naar voetnoot1; celui-ci, dit-il, a montré qu'il ne croyoit pas à l'authenticité de ces Lettres. Mais de quelle manière cet historien s'estil donc exprimé? Je ne décide point la chose. Maintenant, si Strada qui n'étoit pas enclin à atténuer les torts de ceux qu'il nomme au même endroit les conjurés; qui d'ailleurs ne pouvoit ignorer que la Duchesse de Parme avoit voulu faire croire à des manoeuvres de leur part; qui enfin avoit dédié son | |
[pagina LXVIII]
| |
ouvrage au Prince de Parme; si Strada lui-même ne décide point, s'il n'ose affirmer que les dépêches avoient été supposées, ne donne-t-il pas bien plutôt à entendre qu'il penche pour leur authenticité? Voici un second argument auquel nous ne saurions attribuer une plus grande valeur. - Une de ces prétendues dépêches, dit M. Leo, étoit si grossièrement rédigée (plump) qu'un homme tel qu'Alava n'eût pu écrire un document pareil. Pourquoi donc ne pas en tirer la conséquence que le Prince eût pu tout aussi peu la fabriquer? On ne lui refusera pas quelque usage des Cours, un peu de tact, quelque sentiment des convenances; comment donc une Dépêche indigne d'Alava est-elle digne de Guillaume Premier? Si, dès qu'il s'agit d'aptitude à l'intrigue, on lui accorde une très large mesure de talent, il ne faut pas, ce nous semble, lui attribuer un écrit que soi-même on compare à une composition d'écolierGa naar voetnoot1. Venons au passage de notre Recueil. ‘Madame jure que s'et la plus grande vilagnerie | |
[pagina LXIX]
| |
du monde; et que, pour plus montrer que s'et une bourde, elle dit qu'elle le ferat ariere coucher en Espaingnol par le frère d'Armenteros, affin que l'on voie plus à plain le tort que !'on luy fet et que s'et ung vray pasquil fameulx, et qui doit ettre forgé par dechà, et beaucoup de chozes semblables’ (Tom. II. p. 400). Nous ne saurions attacher beaucoup de prix à un témoignage aussi intéressé. La Duchesse, voulant rendormir les Seigneurs, auxquels une découverte alarmante avoit donné l'éveil, pouvoit facilement avoir recours à cette indignation affectée pour dissimuler un embarras qu'elle avoit peine à cacher. Observons enfin que la page citée, loin de prêter de la force aux soupçons de M. Leo, renverse un dernier argument sur lequel il les appuye; savoir l'opinion du Comte d'Egmont, qui, dit-il, avoit pénétré la fraude et n'étoit pas assez simple pour donner dans le panneauGa naar voetnoot1. Car, si celui-ci avoit supposé quelque supercherie, certes il ne se fût pas ‘engagé à communiquer les Lettres à son Al- | |
[pagina LXX]
| |
teze et luy demander rondement ce qui en estoit.’ Il n'eût pas écrit au Prince: ‘Je désire bien de sçavoir quelles sont les pratiques nouvelles d'Alava;’ phrase qui, écrite après la conférence avec la Duchesse, montre évidemment que ses protestations, si persuasives pour M. Leo, semblèrent complètement insignifiantes au Comte d'Egmont.
Donc non seulement il n'y a pas de preuves, mais, au moindre examen, tout indice même s'évanouit. Il est évident qu'ici comme ailleurs, en tout ce qui concerne le Prince et son époque, des préoccupations fâcheuses ont conduit l'auteur à des jugements erronés. Mais d'où ces préoccupations lui sont-elles venues? Si nous parvenons à découvrir leurs racines, nous parviendrons à les déraciner.
D'abord il a fait trop peu de cas de ses devanciers. Il semble poser en fait que la haine contre les Espagnols et l'admiration pour le Prince d'Orange ont produit chez nos historiens une excessive partialité. Certes les irritations d'une guerre longue | |
[pagina LXXI]
| |
et cruelle ont laissé dans la plupart de leurs écrits de profondes traces. Toutefois il y a eu des exceptions honorables même au fort de la lutte; et quand plus tard, les passions étant calmées, le point de vue national eut fait place au point de vue scientifique, nos historiens et nos publicistes ont en grande partie réparé nos torts à cet égard. - Quant aux Princes d'Orange., on doit se rappeler une vérité, surprenante au premier abord, mais que l'opposition des partis aisément explique; c'est que, si d'un côté on a exalté le mérite des Stadhouders, il y a toujours eu de l'autre une tendance à le rabaisser. Faute d'avoir fait ces remarques, supposantà tout écrivain Hollandois un aveuglement presque complet, croyant donc faire bien en faisant autrement, M. Leo, soutenant la contre-partie, a dû nécessairement tomber dans des exagérations beaucoup plus graves que celles qu'il croit réfuter. Si l'on ne fait pas chorus avec ceux qui comparent Philippe II à tous les monstres de la terre et de l'enfer; si l'on est tenu de dissiper les calomnies à son égard, de reconnoître ses bonnes qualités, de montrer jusqu'aux excuses de ses vices; il n'ensuit pas qu'on doive en faire un Roi modèle et tracer un panégyri- | |
[pagina LXXII]
| |
que. Si l'on croit pouvoir refuser à Guillaume Premier une partie des éloges qui lui ont été prodigués, il n'ensuit pas qu'on doive le dépouiller de toute vertu. S'animant pour la cause qu'il croit maintenir contre d'injustes accusateurs, M.Leo semble oublier que l'historien n'est pas avocat, mais juge; qu'il ne doit pas former contrepoids, mais tenir la balance, et qu'on ne rectifie pas des erreurs en tombant dans un extrême opposé.
Venons à une seconde observation et qu'il nous soit permis d'expliquer franchement notre pensée. L'auteur, ce nous semble, eût considéré le Prince et ses efforts sous un autre aspect sans ce qu'il y a d'incomplet et d'inexact dans ses idées sur la nature et l'importance de Ia Réforme. M. Leo, hâtons-nous de le reconnoître, est Protestant, il ne partage pas les préjugés du Papisme. Il se joint tout aussi peu aux opinions retardataires de nos jours qui, ne pouvant se soustraire aux influences tristement vivaces d'une époque irréligieuse, ne voyent dans le mouvement du seizième siècle que ce qu'ils appellent l'émancipation intellectuelle, le triomphe d'une liberté d'examen illimitée. Même il se prononce énergiquement (p. 392) | |
[pagina LXXIII]
| |
contre ceux qui, n'ayant de la Réforme aucune idée, l'exaltent à cause de l'identité ou des analogies qu'ils lui supposent avec des systèmes désorganisateurs. Qu'est donc pour lui la Réforme? Un progrès, un perfectionnement de l'Eglise (eine Weiterbildung der Kirche, p. 394), et ceci encore est vrai sous certain rapport; car les hérésies, et certes celle de Rome Papale aussi bien que les autres, nécessitant de nouveaux combats, deviennent pour l'Eglise de Christ une source de victoires et un moyen d'avancement vers le triomphe final. Mais la Réforme (et c'est en ceci que l'auteur nous semble n'avoir pas entièrement saisi son esprit, ni reconnu sa portée) ne fut point un pas en avant dans la voie, voie de perdition et d'erreur, où se trouvoit alors l'Eglise soi-disant Catholique. Elle fut un progrès, mais aussi un retour; elle régénéra, au lieu de développer. Ce fut en revenant à la vérité fondamentale de l'Evangile, le salut uniquement par grâce et par la foi vivante aux mérites de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, que la Réforme, renversant un échafaudage de superstitions séculaires, devint le coup de mort d'un régime où la Bible étoit mise de côté et les Cieux à l'encan, Christ persécuté dans ses disciples, et Rome plus anti-chré- | |
[pagina LXXIV]
| |
tienne que sous les Césars. Ce n'est qu'en comprenant ainsi le Papisme et la Réforme, qu'on apprécie le principe religieux de notre révolution, la nature d'un Etat, où le Seigneur donna naissance, durée, et force à Son Eglise, et les mérites des Princes qui furent appelés à servir d'instruments pour cette grande oeuvre de Dieu.
A cette observation se rattache immédiatement une autre; c'est que l'auteur n'ayant pas, à notre avis, rendu entièrement justice à la Réformation, ni pénétré ce qui constitue son essence, s'est aisément exagéré la force des éléments révolutionnaires qui sont venus s'y mêler. Par sa nature, au lieu d'avoir avec ces éléments des affinités, la Réforme les repousse. - Ce n'est point assez de reconnoître que, proscrivant la violence en toutes choses, elle n'a jamais par ellemême pu exciter à un bouleversement social. Il faut ajouter qu'en rappelant le principe Chrétien, savoir l'obéissance pour l'amour de Dieu et comme au ministre de Dieu, qu'en subordonnant en toutes choses l'autorité humaine à l'autorité Divine, elle a raffermi le pouvoir en le replaçant sur sa véritable base; elle a neutralisé, étouffé beaucoup | |
[pagina LXXV]
| |
de germes de rebellion produits, surtout vers la fin du Moyen-âge, soit par une fausse application du droit Romain, soit par un enthousiasme peu réfléchi pour les souvenirs républicains de l'antiquité. D'ailleurs M. Leo commet de grandes injustices en commettant de prodigieux anachronismes. - Dans la suite des temps, lorsque, perdant beaucoup de sa pureté première, la Réforme eût perdu beaucoup aussi de la vertu répulsive dont nous venons de parler, alors certes aux intérêts Protestants ont pu se joindre plus d'une fois les intérêts de doctrines dangereuses et funestes; mais, si l'on écarte quelques branches évidemment parasites, dont ni Luther, ni Calvin, ni Zwingle, ni aucun de nos pieux Réformateurs a pris la défense, au seizième siècle des rameaux sauvages n'ont pas encore été entés sur l'arbre de la Réforme. Afin d'excuser les atrocités des Papistes, M. Leo observe que la Religion est le fondement indispensable de tout ordre social; que l'on admet un athéisme plus ou moins déguisé, aussitôt qu'on ne veut plus d'un principe religieux positif; que le Catholicisme Romain, conservant quelques grandes vérités, est préférable à des croyances indéterminées et | |
[pagina LXXVI]
| |
chimériques. C'est vrai, c'est parfaitement vrai, mais tout-à-fait inapplicable à la question dont il s'agit. Les Protestants ne vouloient que professer l'Evangile en paix; s'abstenir de ce qui leur sembloit impie et idolâtre; célébrer, dans le petit cercle de leur famille et de leurs amis, le salut par grâce et les mérites expiatoires de Christ. Si une politique prévoyante étoit en droit d'étouffer leur voix par les supplices, n'accusons plus les Empereurs jetant aux bêtes les confesseurs d'une doctrine de paix et de charité, il est vrai, mais ennemie des idoles et qui, par son triomphe, devoit complètement changer la face du monde payen. Confesser Christ, vivreselon Ses commandements, voilà ce que les Protestants vouloient; tel étoit leur désir et leur but. Quant à leurs moyens, longtemps ils n'eurent d'arme que la Parole de Dieu; il ne coula de sang que celui de leurs martyrs. Il y eut une longue période de résignation et de patience dont l'Evangile seul possède le secret; on ne vit point de combats, mais d'autant plus de supplices; témoignant en faveur de leur foi, la douceur des victimes augmentoit la fureur des bourreaux. Et quand, après un demi-siècle, ces terribles persécutions déterminèrent les sujets à défendre leur vie contre les | |
[pagina LXXVII]
| |
ordres sanguinaires du Souverain, nous ne prétendons pasqu'alors, durant les guerres civiles, la cause des Protestants soit demeurée pure d'excès: nous savons que par la suite, ne se bornant plus à la liberté de conscience, on voulut un culte public et des garanties de son maintien; mais nous affirmons que, par attachement traditionnel aux Maisons régnantes, autant que par principes et scrupules religieux, on désiroit se réconcilier avec le Souverain; que le but primitif étoit la défense légitime renfermée dans ses plus étroites limites; que les prétentions, les exigences, c'étoit de n'être pas brûlé, c'étoit de n'être pas enterré vif. Pour répondre à ceux qui sont prompts à stigmatiser la résistance des Chrétiens, empruntons, en terminant, le langage naïf du courageux et pieux de la Noue. ‘Ils méritent, dites vous, qu'on les extermine avec les armes, puisqu'ils prenent les armes. Ceux qui sont à leur aise, se courroucent aisément, et ne se soucient peu ou point de la misère des affligez: avisez si vous n'estes pas tels. Si quelqu'un vous avoit seulement picquez, vous lui diriez des injures, et peut estre le fraperiez vous. Et ne considérez pas que ceux de la Religion de France ont souffert doucement l'espace | |
[pagina LXXVIII]
| |
de quarante ans, et ceux de Flandres quarante et cincq, toutes sortes de géhennes spirituelles et tourmens corporels pour fausses imputations. Et puis vous ne voulez pas encore qu'ils cerchent quelques remèdes pour s'exempter de si insuportables et cruelles misères!’Ga naar voetnoot1
A ces sources de prévention ajoutons encore une cause fortement agissante; c'est le point de vue sous lequel M. Leo considère, par rapport aux Provinces-Unies, la position de la Maison d'OrangeNassau. Nous regrettons que, suspendant ses études à la mort de Guillaume Premier, il n'ait pu, en pénétrant dans les complications, nous dirions presque, dans le dédale de notre organisme politique, se convaincre que les Stadhouders, bornés, cernés, pour ainsi dire, de toutes parts, ne pouvant songer à une autorité despotique, étoient, même si la générosité de leur caractère et des traditions de famille ne les y eussent déterminés, appelés et presque contraints à défendre, en face de l'aristocratie communale et de ses tendances exclusives, des libertés et des droits incessamment menacés. La Maison | |
[pagina LXXIX]
| |
d'Orange a su remplir cette importante et noble tâche; c'est le secret de son immense popularité. L'entraînement des divisions intestines a pu voir des tyrans dans ceux qui ne permettoient ni à une classe, ni à une province, ni à une ville, d'accaparer le pouvoir aux dépens de la Généralité; il a pu même travestir en patrons généreux du peuple les chefs habiles d'un parti qui vouloit la liberté pour soi et une domination sans contrôle ou contrepoids sur les autres; ces erreurs se dissipent, ou même sont déjà dissipées; et pour une opinion telle que M. Leo en exprimeGa naar voetnoot1, on n'en trouve guère l'équivalent, même dans ces productions éphémères qui, surgissant au milieu de la violence des passions, portent à chaque page, par les exagérations de leur amertume, le cachet de leur déplorable origine.
Il a fallu le concours de toutes ces causes pour porter un écrivain aussi judicieux à exalter le Duc d'AlbeGa naar voetnoot2, à soutenir la nécessité d'un régime de ter- | |
[pagina LXXX]
| |
reur, qui dans un pays pacifié par la Duchesse de Parme ne fit que raviver un incendie presqu'éteint, que susciter des oppositions nouvelles. Il falloit ces préventions accumulées pour ne reconnoître à notre Révolution qu'une seule cause tant soit peu légitime, la levée irrégulière du dixième denier; pour trouver naturel (ganz natürlich, p. 509) qu'on déclarât tous les habitants des Pays-Bas hérétiques, et tous les hérétiques coupables de haute trahison; pour justifier le Conseil des Troubles, pour s'extasier sur sa douceurGa naar voetnoot1, pour voir dans toute description quelque peu énergique des exécutions qui se succedèrent dans un court espace de temps, de l'exagération, du pathosGa naar voetnoot2, du fana- | |
[pagina LXXXI]
| |
tismeGa naar voetnoot1, ou le désir de défendre des séditieuxGa naar voetnoot2. - Quant à Guillaume Premier, pas d'action que l'auteur ne prenne en mauvaise part, pas d'accusation qu'il n'admette, d'intention perfide qu'il ne suppose, de qualification odieuse dont il croie devoir s'abstenir. Il reproche au Prince la découverte du secret de Henri IIGa naar voetnoot3 (lui qui dans le Duc | |
[pagina LXXXII]
| |
d'Albe approuve la dissimulation envers les Comtes d'Egmont et de HornesGa naar voetnoot1); le départ pour l'AllemagneGa naar voetnoot2, comme s'il eût fallu attendre qu'on le menât à l'échafaud; les ménagements envers le Roi, qui n'étoient, selon lui, que momeries et subterfuges odieuxGa naar voetnoot3; les négociations avec la Cour de France, comme si les Protestants des Pays-Bas, lorsque le Roi d'Espagne s'obstinoit à leur faire une guerre d'extermination, ne pouvoient, même au moment de périr, essayer cette voie de salut. Attribuant partout au Prince intrigues, égoisme, fausse dévotion, caractère vindicatifGa naar voetnoot4, pour couronner cette | |
[pagina LXXXIII]
| |
curieuse biographie, il voit la rétribution Divine dans la manière perfide dont il fut assassinéGa naar voetnoot1.
Vraiment un tel excès de partialité seroit, malgré toutes les influences que nous avons énumérées, une énigme, si nous ne devions y ajouter une cause d'erreur, dont M. Leo semble avoir fait publiquement l'aveu. C'est le besoin de généralisation précipitée; la formation d'une opinion définitive avant l'étude approfondie des détails. ‘Quand,’ dit-il, ‘dans les travaux scientifiques, on s'abandonne à la recherche de bagatelles et de minuties (ce qu'il qualifie du nom de genre Hollandois, Holländerei), toute vigueur, toute agilité d'esprit, tout le grandiose de la composition | |
[pagina LXXXIV]
| |
et du travail doivent bientôt disparoître.’Ga naar voetnoot1 Sans entreprendre en faveur du peuple auquel nous avons l'honneur d'appartenir, une défense qu'on jugeroit aisément intéressée, nous nous bornerons à remarquer que, si l'on craint de se perdre dans les minuties, il faut craindre aussi de trop promptement les dédaigner. En histoire, pour connoître les grandes choses, il est indispensable d'en apprendre beaucoup de petites. Quiconque ne veut pas se soumettre à cette laborieuse nécessité, restera dans l'incomplet, se lancera dans le vague, se fixera et s'enfoncera dans l'erreur, mais n'atteindra point la réalité. ‘Il faut se garder de satisfaire le besoin de généralité par des généralisations incomplètes et précipitées ... L'esprit humain est comme la volonté humaine, toujours pressé d'agir, impatient des obstacles, avide de liberté et de conclusions; ... mais, en oubliant les faits, il ne les détruit pas; et ils subsistent pour le convaincre un jour d'erreur et le condamner. Il n'y | |
[pagina LXXXV]
| |
a qu'un moyen d'échapper à ce péril, c'est d'épuiser courageusement, patiemment l'étude des faits, avant de généraliser et de conclure’Ga naar voetnoot1. Ce qu'il recommande en théorie, savoir de ne pas s'embarrasser dans les détails, M. Leo, selon nous, l'a mis ici trop en pratique, et c'est pourquoi nous protestons contre ses arrêts comme évidemment précipités. Se flattant d'avoir saisi les grands traits, il glisse rapidement sur des particularités qui pourroient le faire changer d'opinion, s'il les avoit suffisamment méditées. Ainsi, par exemple, nous avions espéré qu'il auroit adouci ses jugements en lisant dans notre second Tome les nombreux passages où l'on voit les combats intérieurs du Prince désirant concilier ses devoirs envers le Roi avec ceux envers le pays, et surtout avec ses obligations envers Dieu et ses sympathies pour les Chrétiens persécutés. Mais non, il se borne à nous objecter les expressions du Comte d'Egmont que nous avons analysées. Il se hâte de donner ses conclusions sur un Ouvrage qu'il n'a pu encore que parcourirGa naar voetnoot2; tandis que, d'après ses propres préceptes, il faut, pour prononcer en connois- | |
[pagina LXXXVI]
| |
sance de cause sur le caractère de Guillaume Premier, examiner chacune de ses Lettres avec le soin le plus scrupuleux.Ga naar voetnoot1
Observons néanmoins que, d'après M. Leo, les Lettres du Prince ne peuvent être pour son histoire qu'une source secondaire; la source première étant l'idée qu'on se forme del'ensemble de ses actionsGa naar voetnoot2. - Qu'est ce à dire? Que les paroles du Prince n'ont pas de valeur dès qu'elles sont en opposition avec ses actes? C'est vrai.- Que l'on ne sauroit avoir une foi implicite en ce qu'il écrit? C'est encore vrai. - Qu'il faut peser chaque expression avec sévérité et méfiance? C'est bien, pourvu que la précaution n'amène pas l'injustice et la partialité. Mais expliquer la correspondance par l'idée qu'on a cru devoir se former de l'écrivain, qu'est-ce sinon plier et façonner les faits d'après un système tracé d'avance, ce qui fut et sera toujours une source inépuisable de méprise et d'erreur. Des Lettres nombreuses, inti- | |
[pagina LXXXVII]
| |
mes, écrites dans les circonstances les plus diverses tiennent incontestablement le premier rang parmi les sources premières; elles contiennent une infinité de faits, surtout de faits psychologiques, dont l'idée générale (die Totalauffassung) ne peut être que le dernier résultat.
Plus nous estimons les talents, les connoissances, et le caractère du Savant dont l'Ouvrage nous a contraints à faire ces remarques, plus aussi nous désirons qu'il dépose des opinions qui semblent indignes de lui; qu'il soit amené quelque jour à payer un tribut d'admiration méritée au Prince dont, tout en croyant servir la vérité, il a, même avec véhémence, outragé la mémoire; et que, poursuivant ses études, découvrant dans nos Annales un genre de beautés différent de celui que jusqu'à présent ila cru devoir y chercher, il rende, en détruisant et renouvelant une partie de son travailGa naar voetnoot1, un | |
[pagina LXXXVIII]
| |
nouveau service a tous ceux qui s'intéressent à la connoissance intime des événements, des hommes, et de l'esprit des siècles passés.
Nous sommes loin de prétendre pour nous et nos compatriotes au monopole de notre histoire. Au contraire, nous souhaitons ardemment que des savants étrangers y consacrent leurs travaux, espérant que cela même sera un heureax résultat de notre publication. L'histoire de la Maison d'OrangeNassau et celle des Provinces-Unies offre un vaste champ et une immense tâche; tâche assez belle, assez éminemment Européenne pour exciter et justifier un intérêt universel. Nous sommes loin aussi de vouloir nous ériger en critiques, nous qui avons besoin d'indulgence, et toujours, et doublement dans un ouvrage où, pour ne pas trop ralentir la marche, on est à chaque instant forcé d'être incomplet et superficiel. Néanmoins nous prions ceux qui voudront s'occuper de cette étude, de ne pas prononcer avant de connoître à fond la cause, de ne pas troubler les développements | |
[pagina LXXXIX]
| |
de la science par des assertions hazardées qu'un examen ultérieur renversera demain; de ne pas décider des questions qu'on n'a pu encore approfondir; surtout de ne pas aisément déverser le blâme sur ceux qui, au jugement des contemporains et de la postérité, sont des modèles de véritable grandeur et de dévouement généreux. † En réitérant nos remerciments à notre ami Mr Bodel Nyenhuis pour son assistance dans la correction des épreuves et ses éclaircissements géographiques, nous avons le plaisir d'annoncer qu'il a bien voulu se charger de la confection des Tables et Registres que nous espérons publier à la fin de cette Série. Le nom de cet homme de lettres savant et laborieux est pour tous ceux qui le connoissent, une précieuse garantie de l'exactitude de ce pénible, mais indispensable travail. |
|