Les porteuses de pains
Milie et Toria viennent de la boulangerie coopérative. Elles s'arrêtent devant ma porte.
Milie est rentrée du terril il y a une heure à peine: elle a gardé le serre-tête bleu et blanc, les sandales d'étoffe rude, le jupon fait de toiles d'emballage.
Elle étreint sur ses jeunes seins en y appuyant son cou fort et gracieux, deux pains fumants. Et je vois les mains noires de la petite se couvrir d'une poudre blanche, cependant que la poussière de charbon macule de place en place la belle croûte... Touchant échange! Eh Dieu! ne sais-tu pas ce que donne la tartine si tu l'exposes trop longtemps au feu, au lieu de la rôtie désirée? Milie va tous les jours sur les terrils glaner, parmi les schistes, les gaillettes précieuses, ainsi que d'autres vont glaner les épis de bon froment. Des gens savants, dans les gazettes, appellent le charbon le pain noir de l'industrie.
Mais Toria, Toria... Cette diablotine ne cesse de jongler avec son pain. Le pauvre! il a subi la contact de la robe en lambeaux, des cheveux roux pendant comme le feuillage du saule-pleureur, des pieds nus charmants. Et vlan! ne le voilà-t-il pas tout à coup dans le ruisseau!
Toria, calme, le ramasse. Sa manche sale a vite fait d'enlever le plus gros de la boue. Pour le mieux nettoyer, elle crache sur le pain, puis le frotte avec sa robe. Malheur! le pain devient tout noir. Aux grands maux... En quelques coups de dents, Toria déshabille les endroits les plus compromis. Ah! sans ce frère aîné qui fut au régiment et qui veut en tout de la propreté!...
Elles habitent le coron voisin: deux rangs de maisonnettes branlantes, foudroyant de leurs regards les lieux d'aisance alignés au milieu de la cour, comme autant de fontaines élevées aux dieux Termes. On y dort à même le sol. Chaque année, le propriétaire bâtit une maison que, le pre-