La bénédiction de l'enfant
‘Benedictio patris confirmat domos filiorum.’
Seigneur, daignez bénir l'enfant qui vient de naître,
Fils de mon sang et de celui de mes ancêtres.
Donnez-lui d'acquérir l'usage de ses membres,
D'ouïr, d'ouvrir les yeux, de remuer la langue,
De trouver le secret des larmes et du rire,
De prendre goût aux aliments et de grandir,
D'être prompt à la course, et de muscles valide;
De visage doré comme un fruit de Floride;
De corps agile et lisse au courant des rivières,
De cheveux ondulants et bouclés de lumière...
Puisse-t-il être fort comme mon père en Flandre,
De mine rose et barbe rousse, et prêt à fendre
Un arbre géant d'un seul coup. Puissent ses mains
Hisser la voile, forger le fer, faucher les grains,
Selon que soit sa vie par votre destinée
Vers la mer, vers le fer ou la terre ordonnée.
Seigneur.................
Il est né. Voyez-le. C'est son premier sommeil.
Vous le préserverez. Que le feu de la fièvre
N'enflamme pas le col humide de ses lévres.
Que sa charmante et fraîche peau ne s'étiole
En varicelle, en roséole ou en rougeole;
Qu'au double battement de son coeur, les artères
Sentent fluer son jeune sang involontaire;
Qu'il résiste, en décembre, aux sournoises embûches
De la toux, du faux croup et de la coqueluche,
Et que, pâle et brûlante, il ne rencontre en juin,
Dans le parfum des prés, la fièvre des foins.
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Qu'il atteigne, Seigneur, l'âge de la raison.
Et son esprit, brisant les pesantes cloisons
Où sommeillent encor ses vertus ignorées,
Apparaîtra, le jour venu, ailes dorées,
Dans la couleur et dans la joie de sa jeunesse.
Faites descendre en lui le sens de la sagesse.
Qu'il sache discerner le bien du mal. Qu'il sache,
Si votre Providence lui commet une tâche
Où, plus que ses deux bras, agisse l'âme close
De son cerveau, peser la vérité des choses.
Qu'il goûte dans mon lait la grâce de la vie.
Qu'il grandisse sans fard, sans haine, sans envie,
Compatissant à l'infime douleur des bêtes,
Du ciel clair, des blés mûrs, des fleuves, des chemins,
Des poissons de corail aux vasques des bassins,
Des ballons verts, des acrobates, des tortues,
De la fierté sereine et blanche des statues,
Et que, mêlant alors son coeur à l'univers,
Il en laisse jaillir la musique des vers.
Le père et la mère parlent:
Dieu tout-puissant, qu'il soit poète ou philosophe,
Que de vocables d'or s'éblouissent les strophes
Dont il célébrera les hommes et les plantes,
Qu'il soit faucheur au sein des avoines tremblantes,
Qu'il vive dans la forge ou sur les vagues vertes,
Obtenez que jamais son âme ne se perde.
Daignez bénir, Seigneur, notre petit enfant!
‘Nous l'appellerons Jean.’
‘Nous l'appellerons Jean.’
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