Le pain noir
Le lendemain, à l'aube, Leduc rentra chez lui. Des brins de paille brillaient sur ses vêtements, ses cheveux étaient ébouriffés, son visage pâle, ses traits fatigués. Il marchait doucement, en lançant à droite et à gauche des regards timides. Il alla s'asseoir auprès de la table, s'appuya sur celle-ci et, pendant quelques minutes, parut plongé dans des pensées profondes. Il releva enfin la tête et fixa ses yeux sur Thérèse. Elle aussi avait la figure décomposée; elle ne s'était pas couchée et n'avait pas fermé l'oeil de la nuit.
- Femme, dit Leduc...
Il ne put continuer. Sa gorge se contracta, ses lèvres se crispèrent: deux grosses larmes coulèrent sur ses joues.
- Femme, reprit-il, je te remercie... tu m'as sauvé...
Thérèse fut si secouée par l'accent de ces paroles qu'elle ne put répondre. Elle s'inclina sur sa chaise, cacha sa figure dans son tablier et fondit en larmes.
Leduc s'approcha d'elle et, se penchant doucement, la baisa dans le cou.
Thérèse se remit peu à peu. S'étant aperçue que son mari avait les mains violacées, elle dit:
- Tu dois avoir froid. Approche-toi du feu.
Elle jeta du charbon dans le poële; ensuite elle prépara du café. Le chat, qui depuis quelque temps tournait autour de son maître, sauta sur ses genoux. Thérèse voulut le chasser. ‘Laisse-le!’ dit-il, et il le caressa en souriant.
- Mon Dieu! Jean, demanda-t-elle, pendant qu'il buvait son café, qu'est-ce qui t'a pris hier?
- Je n'en sais rien, femme, répondit-il... J'ai eu quelque chose là... - Et il passa les doigts sur son front.
- Tu ne feras plus jamais rien de pareil, n'est-ce pas? dit Thérèse.
- Non, femme, je te le promets.
Lorsqu'il eut dit cela, il se sentit plus calme. Il alluma sa pipe et alla fendre du bois dans la grange.