Amour
- Je me remets, Seigneur, en vos mains tutélaires,
Et voyez combien seul, et combien alarmé!
Confiant dans vos dons, j'ai visité mes frères;
Pardonnez-moi, mon Dieu, s'ils ne m'ont pas aimé.
Que sais-je? Ils m'ont parlé de haine et de colère...
O vous qui savez tout, quel langage est le leur?
Mon âme, en ce pays, est-elle une étrangère?
Ou m'avez-vous fait don d'une rare candeur?
Hélas! car je ne sais qu'aimer! Qu'il vous souvienne,
Mon Dieu, de vos présents célestes, et voyez!
De grâce, enseignez-moi la colère et la haine,
Que j'aie enfin ma part à ces dons oubliés.
- O candeur! Je t'absous, enfant, de ton offense.
Mais à quoi bon? Moi-même, ignoré-je mes dons?
Tant ce coeur où les cieux ont mis leur innocence,
S'il ignore l'offense, ignore les pardons!
Recherche le méchant! Aime-le pour lui-même.
Livre-toi! Ne sois point avare de ton coeur;
Et si l'infortuné se dérobe à qui l'aime,
Fais-toi jusqu'à son âme un chemin de douceur.
Tu pleures d'être seul? Va, je suis dans ton ombre.
Tu te débats en vain sous les affronts subis;
Rassure-toi, pauvre âme, un ange en sait le nombre:
Toute gloire durable est faite de mépris.
Sache-le, cet amour, dont le feu te pénètre,
Loin d'être un juste échange, est un pur abandon;
Celui-là sait aimer qui, livrant tout son être,
Si grand que soit son coeur, l'estime un faible don.
| |