entend sous le roi Lear, sous Macbeth, sous Hamlet, par exemple, le chant mystérieux de l'infini, le silence menaçant des âmes ou des Dieux, l'éternité qui gronde à l'horizon, la destinée ou la fatalité qu'on aperçoit intérieurement sans que l'on puisse dire à quels signes on la reconnaît, ne pourrait-on, par je ne sais quelle interversion des rôles, les rapprocher de nous tandis qu'on éloignerait les acteurs? Est-il donc hasardeux d'affirmer que le véritable tragique de la vie, le tragique normal, profond et général, ne commence qu'au moment où ce qu'on appelle les aventures, les douleurs et les dangers sont passés? Le bonheur n'auraitil pas le bras plus long que le malheur et certaines de ses forces ne s'approcheraient-elles pas davantage de l'âme humaine? Faut-il absolument hurler comme les Atrides pour qu'un Dieu éternel se manifeste en nous, et ne vient-il pas jamais s'asseoir sous l'immobilité de notre lampe? N'est-ce pas la tranquillité qui est terrible lorsqu'on y réfléchit et que les astres la surveillent; et le sens de la vie se développe-t-il dans le tumulte ou le silence? N'est-ce pas quand on nous dit à la fin des histoires ‘Ils furent heureux’ que la grande inquiétude devrait faire son entrée? Qu'arrive-t-il tandis qu'ils sont heureux? Est-ce que le bonheur ou un simple instant de repos ne découvre pas des choses plus sérieuses et plus stables que l'agitation des passions? N'est-ce pas alors que la marche du temps et bien d'autres marches plus secrètes deviennent enfin visibles et que les heures se précipitent? Est-ce que tout ceci n'atteint pas des fibres plus profondes que le coup de poignard des drames ordinaires? N'est-ce pas quand un homme se croit à l'abri de la mort extérieure
que l'étrange et silencieuse tragédie de l'être et de l'immensité ouvre vraiment les portes de son théâtre? Est-ce tandis que je fuis devant une épée nue que mon existence atteint son point le plus intéressant? Est-ce toujours dans un baiser qu'elle est le plus