[Préface]
Nous avons trouvé dans l'héritage des aïeux la force, l'énergie, l'éclat, l'abondance, même la vulgarité lyrique dont les Jordaens et les Breughel ont fait un admirable élément d'art. Nous avons en plus, grâce à l'heure où nous vivons, grâce à la jeunesse de notre nation, la spontanéité et l'audace. Ce sont là des dons aussi précieux et aussi souverains que ceux des poètes et des écrivains de France. En Flandre, près de Courtrai, sur un espace de quelques kilomètres, on rouit le lin si bellement, qu'en aucun lieu du monde on ne parvient à lui donner la même blancheur. Le terrain y est unique. Mystérieusement, avec le concours de l'eau et du soleil qui sont à tous, il accomplit un travail qu'aucune parcelle de terre, dispersée à travers l'immensité des étendues, ne peut accomplir.
Je rêve de telles propriétés admirables pour certains cerveaux artistes de chez nous. Qu'ils composent, avec le secours d'une langue qui appartient à toute l'Europe, des oeuvres que seul un Belge étonnamment privilégié puisse écrire et que leur idée sorte également victorieuse d'un travail unique, obscur et mystérieux.
Emile Verhaeren