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Le Chevalier Olaf
(d'après Henri Heine.)
Devant le temple saint à la tour haute et grise
Sont deux hommes, portant tous deux rouge manteau;
Leurs yeux ne quittent pas la porte de l'église;
L'un est le roi puissant et l'autre est le bourreau.
Et le roi puissant dit à son bourreau: ‘tiens prête
Ta bonne hache qui reluit;
Le mariage est fait, car la pompe s'arrête,
Des chants sacrés s'éteint le bruit.’
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Cloche sonne, orgue ronfle; et le peuple s'écoule,
Le peuple pour lequel la fête est un appât; -
Au milieu du cortège où se presse la foule
Sont les nouveaux époux en habit d'apparat.
L'une est fille de roi, triste dans cette fête,
Au front que la pâleur flétrit;
Et l'autre est sire Olaf qui marche, haut la tête;
Sa bouche vermeille sourit.
Avec ce doux sourire au roi sombre il s'adresse:
‘Salut, je dois livrer ma tête dans ce jour,
Mais laisse moi, beau-père, encor goûter liesse,
Vivre jusqu'à minuit, ivre de mon amour.
Beau-père, laisse-moi par des réjouissances
Adoucir l'affreux du destin,
Que je puisse fêter mes noces par des danses
Et par un splendide festin.
Laisse-moi vivre encor jusqu'à minuit, beau-père,
Jusqu'à ce que vidé soit le verre dernier,
Et que dansée encor soit la dernière danse;
Puis je livre mon col au tranchant de l'acier.’
Et le roi puissant dit à son bourreau: ‘la tête
Lui restera jusqu'à minuit;
Nous voulons octroyer cette grâce, tiens prête
Ta bonne hache qui reluit.’
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II.
Sire Olaf est assis à ses noces, il vide
Un dernier verre encor; pleurant sur son anneau,
L'épousée à son bras appuie un front livide.
- Devant la porte est le bourreau!
Et sire Olaf étreint sa femme; un bal commence.
Par la valse emportés, aux lueurs du flambeau,
Ils tournent en dansant dans leur dernière danse.
- Devant la porte est le bourreau!
Les flûtes, les violons dans la triste soirée
Jettent leurs froids soupirs pour ce couple si beau,
Et tous les spectateurs en ont l'âme serrée.
- Devant la porte est le bourreau!
Et tandis qu'ils dansaient dans la salle brillante:
‘Oh, je t'aime, il fera si froid dans le tombeau!’
Murmure sire Olaf à sa femme tremblante.
- Devant la porte est le bourreau.
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III.
Sire Olaf, c'est l'heure dernière,
Il est minuit, prépare toi!
Suborneur de fille de roi,
On va trancher ta tête altière.
- Des moines chantent, frémissants,
Les prières des trépassants. -
Et lui, l'homme à l'oeuvre sanglante,
L'homme sombre au rouge manteau,
Armé de sa hache brillante,
Attend auprès du noir billot.
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Il est minuit! - tandis que torches et qu'épées
Luisent de sinistre lueur,
Tranquille, sire Olaf sort des salles drapées,
Où brillait son dernier bonheur.
Sur ses lèvres voltige un éloquent sourire;
Ivre encore d'un long baiser,
Il marche d'un pas fier sans que son coeur soupire,
Et dit, le noble chevalier:
‘Soleil, lune, et vous étoilées,
Belles, voluptueuses nuits,
Et vous astres, je vous bénis!
Je bénis les lyres ailées,
Oiseaux qui gazouillent dans l'air;
Je bénis la terre, la mer,
Et les forêts, leurs bancs de mousse,
Et les fleurs émaillant les prés,
Et la violette, aussi douce
Que ses charmants yeux adorés.
Je vous bénis surtout, yeux de mon épousée,
Aux reflets tendres, enchanteurs!
C'est par eux que ma vie est si vite brisée,
C'est par eux qu'à présent je meurs.
Du sureau blanc aussi je bénis le feuillage
Sous lequel, un soir embaumé,
Ange, tu m'as livré sans crainte ton jeune âge,
Faible sous mon oeil enflammé.’
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