E. du Perron
aan
C.E.A. Petrucci
Brussel, 20 juni 1923
Brux. 20 Juin
le soir.
Chère Clairette,
je vous écris dans mon lit à la lumière d'une bougie - l'électricité va toujours mal dans la maison -; j'ai longuement pensé à vous et j'ai voulu préparer les phrases sincères, senties qui constitueraient la réponse à votre lettre; eh bien, je ne trouve rien qui me satisfait. C'est comme si tous les mots sincères entre nous sont devenus pompeux, rhétoriques, ridicules. ça aussi, c'est un peu la faute de votre maman. Il y a trop de ‘bon sens’ entre nous, déjà.
Il ne me reste qu'à vous remercier pour votre lettre, sincèrement, sans le moindre ironie; cette lettre était sentie; vous y donnez un croquis très juste de votre situation, et c'est avec amertume que je m'aperçois de ne plus pouvoir y répondre, sérieusement, sincèrement, comme je l'aurais fait (immédiatement) il y a quelques mois. Toutes les choses que je voudrais vous dire sonneraient creux, faux; il me semble que vous verriez en moi seulement un petit faiseur d'embarras, qui se trouve intéressant quand il coupe des cheveux en quatre et quand il dit des mots gros. Faisons notre deuil de mes belles théories, voulez-vous?
Nous pensons que le vie est bonne;
Mais dis-toi bien, coeur triomphant,
Que nous n'intéressons personne
Pas même nous, ma chère enfant....
Approuvons cela et brisons là-dessus.
Croyez-moi, je ne vous parle plus pour éprouver le plaisir d'être contredit; je suis tout à fait sincère en vous écrivant ceci; c'est pour cela que cette lettre aussi est déjà devenue ridicule, peut-être. Alors, tant pis! - Je ne puis rien pour vous; vous vous êtes trop éloignée de ‘mon amitié et de ma pensée’; tout cela a été; maintenant on est une jeune fille et un.... gamin (si vous voulez) qui se critiquent. Evidemment, au fond, nous nous aimons bien, cela est sûr. Mais c'est pour cela même, je crois, qu'il faut mieux ne plus s'écrire et, s'il le faut, ne plus se voir. L'amitié entre un homme et une femme (même quand l'‘homme’ est très ‘jeune’) est toujours plus ou moins amoureuse, - ne le niez pas - et après ce qui s'est passé entre nous, on serait toujours là à chercher à retrouver un certain haut-goût (pardonnez-moi ce mot, encore ridicule) qui n'est plus dans notre amitié actuelle et à s'en vouloir beaucoup, finalement, parce que cela n'y est plus! Et ce serait trop triste, cela, vous ne trouvez pas?
Soyons braves et quittons-nous lentement. C'est mieux que de se quitter plus tard, brusquement, avec des sentiments amers. Je vous dis cela parce que, franchement, je me sens déjà un peu de rancune contre vous, un tout petit peu qui pourrait croître. C'est probablement parce que moi aussi j'aimerais vous voir libre, vivant vos sentiments, et selon vos pensées, vos ‘sagesses’. C'est parce que vous, libre, seule, vous ne seriez peut-être, quand même, pas si loin d'être la Clairette que je me suis rêvée. Bonsoir, chère amie, je vous serre la main.
A vous,
Eddy
Origineel: particuliere collectie