E. du Perron
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C.E.A. Petrucci
Brugge, 3 januari 1922
Bruges, 3 janvier '21.
Chère mademoiselle Clairette,
En faisant un appel suprême à toute ma connaissance du français, je tâche de vous écrire en votre belle langue, et cela me rappelle un peu les thèmes toujours criblés de fautes que je faisais à l'école. Que le patron de Bruges m'aide à m'en tirer avec un peu de decorum! Et vous, mademoiselle, je vous en supplie, ne riez pas trop des fautes que je vais faire aujourd'hui mais faites comme un digne maître d'école: gardez une grave contenance et prenez la bonne volonté et l'effort pour l'action.
Après cet ‘avis au lecteur’, voici mon adresse: Pension St. Christophe, Nieuwe Gentweg 78, Brugge. - Qu'allez vous faire maintenant, m'écrire? Faites-le, mais un peu plus que d'ordinaire; cela me fera tant plaisir, même si vous ne m'envoyez qu'une chaîne de crochets et de swings! Mais surtout, tenez votre promesse de m'envoyer ce petit photo que j'aime tant, voulez-vous? Il me tiendra un peu compagnie ici; il me fera oublier un peu le vieux Moïse qui se trouve dans ma chambre et qui se tire la barbe en regardant mon lit; - et puis, comme je vous ai dit, il m'inspirera peut-être quelques vers. Je vous les lirai dès mon retour, soyez-en sûre: comment ne vous embêterai-je pas avec mes tristes (en double sens probablement) poésies, vous qui êtes si gentille de les étudier toujours avec une si héroïque patience! - Et puis, je suis trop fier de vous avoir entendu dire: ‘ça me fait mal’, d'un vers que je vous faisais lire pour le juger et pour vous amuser un peu. Voilà un succès qui m'est plus cher que la louange la plus pédante. Je vous trouve sympathique à désesperer. Parce que, vraiment, je sais très bien accepter beaucoup, et accepter toujours, de quelqu'un qui, au fond, me laisse assez indifférent, mais avec vous je sens trop le besoin de donner en retour, et chaque fois je dois me rendre compte que je ne puis rien pour vous, si complètement rien: même pas lire dans vos mains! Je me sens de temps en temps comme un petit enfant que vous protégez, au lieu que comme un ami. Et pourtant vous n'avez qu'à commander.
Je vous envoie, ci-joint, la copie du ‘garçon aux cheveux jaunes’, malheureusement sans translation; mais si vous y tenez je vous passerai cela après. Et puis le ‘Alleen’, quoique vous ne l'aimez pas trop et qu'il n'est pas très égayant, mais qui a en tout cas une qualité: celle d'être sincère. N'est-ce pas que, en vous donnant ceci, je fait plus preuve de vous considérer tout à fait comme une amie, qu'en vous donnant cette petite histoire? Je vous livre la preuve que je suis un sinistre larmoyeur! Mais remarquez un peu comme je suis surpassé en dessinant les petites étoiles, qui avaient le plus votre sympathie.
Je vous demande pardon pour chaque faute de langue et d'orthographe et vous rappelle que, même à Bruges, je me tiens à vos ordres.
Avec salutations respectueuses à madame Petrucci,
Tout à vous,
Eddy du Perron
Origineel: particuliere collectie