4
Van Hogendorp blijkt heel wat minder humor en bonhomie te bezitten dan Diderot; hij werd zeer boos en een jaar later was hij het nog. Het ‘assez mince dispute de littérature’, waarvan hij was uitgegaan, was voor hem nu ontaard in een hoogst ongepaste, want tegelijk superieure en lichtzinnige toon die de filosoof uit Parijs zich tegenover hem, de haagse regent, en tegen zijn Dames niet te vergeten, veroorloofd had. Hij zweeg een jaar, toen riposteerde hij met een epistel dat door zijn laborieus sarkasme als gesteven was:
Monsieur,
J'ai des reproches à me faire, de n'avoir point répondu plutôt à la Lettre, dont vous m'avez honoré le 26 Juin de l'année passée; cependant retirerai-je quelque fruit de mon délai, en vous prouvant, Monsieur, par mes remercîmens tardifs, que ma reconnaissance n'a point été celle d'un moment.
Que de grâces n'ai-je point à vous rendre, de m'avoir tiré d'erreur! il est vrai que votre seule autorité m'auroit suffi contre les exemples réitérés, que m'avoient fournis Boileau, Racine, et Voltaire; mais vous avez bien voulu aller au de là; vous avez appuyé votre décision d'excellentes preuves: un pet de Malherbes, des ordures faites par un afficheur sous la défense même du Législateur, et l'impossibilité, où se trouve le Prévôt des Marchands de Paris, de rétrécir certain organe, qu'on ne nomme pas, ont été pour moi des autorités sans réplique.
Il est vrai, qu'au premier aspect le genre m'en a étonné; j'ai même hésité, je l'avoue, à montrer votre lettre à ces Dames, devant lesquelles vous sçaviez par la mienne, que la dispute s'étoit agitée, et que votre décision seroit lue; mais, après une mûre réflexion, je la leur ai communiquée; je me suis rassuré, Monsieur, en pensant, qu'un Philosophe, qui écrit du sein de Paris, où règnent la politesse et le bon goût, sçait bien mieux que moi, de quel stile on doit se servir, quand on est prévenu, qu'on sera lu en présence de femmes de condition.
Peu content d'avoir employé ces preuves, qui sont du meilleur ton, et d'une justesse admirable, vous êtes allé plus loin, et vous m'avez démontré, que Grace et Parnasse ne riment pas, en rappellant très poliment à ma Mémoire que Louis quatorze auroit pu noyer mes ancêtres, s'il avoit voulu suivre le conseil de Louvois: ah! Monsieur, aimons bien ce Louis quatorze, vous et moi; sans Lui, je n'aurois peut-être pas existé, et sans mon existence vous auriez manqué la plus belle occasion, de me dire fort à propos quelque chose de flatteur touchant ma Nation; ce qui ne sçauroit être indifférent à un François.
Jusqu'ici ma reconnaissance a pu en quelque sorte égaler vos bienfaits; mais quand pour me convaincre vous citez Virgile, vous en
| |
comblez la mesure et me couvrez de confusion: Quoi! Monsieur, se peut-il, que pour l'amour de moi, vous lui fassiez dire et faire, ce qu'il na jamais ni dit, ni fait? C'est pousser un peu trop loin l'amour des modernes, et surtout d'un moderne tel que moi, aux dépens des anciens: on lit dans Virgile, dites vous, ferte citi ferrum, date tela, scandite muros. Eh! Monsieur, vous n'y pensez pas! Sçavez-vous bien, qu'ayant soin d'une des Bibliothèques de la plus étonnante femme de l'univers, vous devez vous garder, d'avoir l'air de ne point vous connoître en éditions, et que vous ne trouverez ce vers dans aucune des bonnes? Virgile a dit, ferte citi ferrum, date tela, ascendite, ou si vous aimez mieux, inscindite muros. Quelle bonté, de consulter une édition fautive par complaisance pour moi! Vous ajoutez que Virgile a fait la dernière dans tela brève, et qu'elle n'en est pas moins longue; voilà une nouvelle règle de la Prosodie latine que j'ignorois, et qui feroit bien rire, s'ils la sçavoient, vos compatriotes, qui font des vers latins; je vous conjure, Monsieur, de ne point toucher à cette Prosodie, pour me dire de jolies choses; je ne prétens pas, que vous vous rendiez ridicule, parce que je vous parois ignorant.
Après des preuves si peu équivoques de vos bontés pour moi, je puis me flatter, que vous aurez quelque indulgence pour une demande, que j'ai à vous faire, et dont la réponse vous sera fort aisée: quelle raison avez-vous eue, d'écrire au Prince de Gallitzin, qu'on ne trouve la rime des a longs et des a brefs, que dans les Pièces fugitives, tout au plus dans la Pucelle, et que ce sont des rimes normandes, dont jamais aucun des bons auteurs ne s'est servi? Ignoriez-vous, Monsieur, les exemples sans nombre, qu'on pourroit vous citer de Corneille, Racine, et Voltaire, et nommément ceux, que je vous ai cités dans ma précédente Lettre? ou bien ne voulez-vous pas, qu'on compte ces grands hommes parmi les bons auteurs? ou bien enfin rangez-vous l'Art Poëtique, la Henriade, et les beaux Drames de votre nation parmi les pièces fugitives? Décidez-vous, Monsieur, je vous prie, dites-moi vos raisons, et tirez moi de l'incertitude, où je suis.
Permettez, qu'en attendant votre réponse, j'aie l'honneur d'être avec les sentimens d'admiration, que vous méritez, Monsieur,
Votre très humble etc.
La Haye. 30. Juin 1771.
[DE HOGENDORP.]
|
|