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[XXVII]
J'ai lu à cette époque tous les Zola qui avaient paru. Il ne m'émouvait pas. J'avais la sensation de je ne sais quelle peinture superficielle, d'une réalité inventée ou observée en surface; il me semblait qu'il s'était trop fié à son intuition, surtout quand il sagissait du peuple... L'intuition ne vous livrera jamais l'âme de cet être malodorant qui déambule là devant vous...
Je me disais bien que j'étais ignorante; mais étais-je ignorante?... Ma foi, je suis certaine que je connais autrement bien cela que Zola... Mieux encore, je sentais que je n'aurais jamais compris ni pénétré les gens d'une autre classe
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que celle dont j'étais sortie. Même, si dorénavant tout contact entre ceux de ma classe et moi devait cesser, je les avais dans la moelle, et je ne m'assimilerais jamais l'âme des autres. Alors Zola... D'où leur vient la prétention de nous connaître si facilement? Nous ne pensons pas connaître ceux d'une autre classe: de là notre contrainte devant eux; nous ne savons jamais ce qu'ils nous réservent, et d'avance nousavons peur, comme de l'inconnu.
André préférait A Rebours, de Huysmans: c'était au-dessus de ma portée. J'ignorais que la vie mène aussi les riches de la terre et peut les conduire aux agissements les plus étranges: je n'avais aucune pitié d'eux. Pour moi, des Esseintes était un vicieux impardonnable. ‘Quand on avait tout pour être honnête...’, telle était ma théorie éternelle. La beauté du style n'existait pas encore pour moi.
André me parlait aussi des Saint-Simoniens, de Fourier, de l'abbé de Lamennais - ils m'étaient lettre morte - du Phalanstère... Ah! l'horreur! Tout en commun, ne pas être chez soi... Comment se recueillir et suivre une pensée? J'éprouvais une antipathie insurmontable pour le Phalanstère, et j'aurais préféré le désert.
André était un assez beau théoricien. Je commençais donc à connaître ce côté factice de l'homme; mais, chez lui, il y avait aussi une
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réelle et grande bonté. Victor Hugo et Michelet étaient ses dieux: il me les fit lire. Michelet, dans La Femme, m'horripilait: il fallait ramasser, sur un banc du boulevard, une femme et l'introduire dans son foyer... Notre-Dame de Paris m'avait étourdie. Cependant j'aurais voulu connaître une mère dans le cas de la Lépreuse, quand on lui eut ravi sa fille, pour voir si elle aurait pu, dans sa douleur, débiter toutes ces belles phrases...
Je me souvenais d'une voisine d'impasse qui avait perdu une petite fille aux boucles blondes: elle me faisait souvent venir, parce que je lui rappelais sa petite. Elle tournait mes boucles sur ses doigts et, quand elle me levait la tête par le menton, je remarquais sa surprise que ce ne fût pas la figure de son enfant qu'elle avait devant elle. Tout en vaquant à son ménage, sa bouche se contractait, et deux sillons de larmes lui coulaient le long des joues et tombaient sur son corsage. Elle ne disait rien et continuait sa besogne; puis elle me prenait par la main et me faisait sortir; la porte fermée, j'entendais un ‘han’ prolongé... Je disais à André que cette femme sentait profondément sa douleur, puisque, petite fille, elle me la communiquait et me faisait me jeter au cou de ma mère, en sanglotant; mais que Hugo pouvait me chanter tout ce qu'il voulait, cela ne m'émouvait pas...
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- Ah! misère! illettrée, tu veux juger des cerveaux semblables!
- Leurs cerveaux, non; leur coeur, oui. Ils connaissent la chanson, mais ne savent pas donner le ton.
Il me regardait avec ahurissement.
- Tu te figures maintenant être une femme qui sait discuter avec moi; tu crois être une ntelligence, mais ton cerveau est grand comme ça...
Et il montrait un petit bout de son doigt.
- Toucher à Victor Hugo et à Michelet, il faut ton ignorance pour l'oser. Ne me parle plus, tu m'horripiles.
- Ah! tu m'embêtes à la fin: si je suis si stupide, taisons-nous et regardons les arbres, je les préfère du reste à du Victor Hugo.
Les deux bras levés, écumant de colère, il fonçait sur moi, puis s'arrêtait, la bouche large ouverte.
- Tais-toi, ignarde, sotte... piteuse pécore.
Et il allait secouer un arbre.
- Bah! c'est bon, touche-moi seulement...
Ces discussions et attrapades se passaient ordinairement dans la forêt de Soignes, que nous traversions au moins trois fois par semaine pour aller dîner à Groenendael. Nous marchions, après ces altercations, chacun de notre côté; puis je me rapprochais de lui.
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- André... voyons...
Et, avec de vraies larmes aux yeux, il me disait:
- C'est lamentable! il n'y a rien à faire avec les femmes: tu as déjà tant lu, et tu parles de Hugo comme la plus ignorante ou la moins compréhensive des créatures. Je croyais qu'en causant comme nous faisons, tu aurais fini par sentir la grandeur de ce poète unique.
- En causant... Crois-tu que cela t'est venu en causant, à toi? Tu as eu des professeurs pour tout, depuis l'âge de quatre ans... En causant... tu te moques de moi... oui, si j'avais ta base, mais je n'ai que mes impressions.. Je comprends cependant Jean-Jacques et Dostoïevsky: ils me font tressaillir de haut en bas, mais Hugo... il me donne la sensation d'une machine très perfectionnée qu'on déclanche...
Il jetait violemment son cigare.
- Ah! non! Enfin, tu ne seras jamais qu'un à peu près.
- Si je suis pour toi un à peu près, je m'en vais, je ne veux pas, je veux être tout.
- Tout! mince!...
- Tout... tout ou rien.
Et, à mon tour, j'éclatais en sanglots.
- Mon Dieu, ne pleure pas, tu n'y peux rien. Je suis une brute...
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- Ah! non! Ah! non! pas ça... je ne veux pas de ta pitié: mon cerveau vaut le tien.
- Ah, par exemple... Tu te figures ça, toi qui ne sais rien, qui n'as rien appris.
- Tantôt tu disais que cela devait me venir en causant... Du reste, je n'ai pas appris ce que tu as appris, mais j'ai vu beaucoup plus dans la vie que toi, et cela m'a fait comprendre des choses que tu ne comprendras jamais, parce qu'il faut les avoir vécues pour les sentir. Tu sais une chose, moi une autre... Mais nous ne devrions pas nous fâcher ainsi, j'ai trop peur de te perdre.
- Oh! non, quelle idée...
Et, nous tenant par la taille, nous continuions à travers la forêt, ne pensant plus qu'à nous câliner.
Le soir, en revenant dans l'obscurité, nous clabaudions gaîment sur les gros bourgeois, que nous avions vus s'empiffrer.
Puis il grimpait sur un poteau indicateur pour voir si nous étions dans la bonne voie, pendant que je me haussais sur la pointe des pieds, une allumette flambante levée vers lui. Il glissait en bas, m'entourait la tai[l]le et, sous ses baisers, m'inclinait dans la neige ou sur les feuilles mortes. Nous rentrions souvent à deux heures du matin, courbaturés, mais apaisés
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et heureux, avec tous les parfums de la forêt sur nous.
- Keetje, tu ne dois pas rester ainsi: tu parles un jargon impossible, avec un accent anglais qui déconcerte chez une Hollandaise. Tes lettres sont très bien, tu y mets toute ton àme, mais quelle orthographe! Voici l'adresse d'une institutrice qui enseigne la grammaire, je l'ai prise'sur une pancarte affichée à sa fenêtre; va donc t'informer.
J'y fus et commençai bientôt les leçons. L'institutrice était une demoiselle de quatre à cinq ans plus jeune que moi; elle dut m'expliquer ce qu'était un verbe, un adjectif, un substantif... Au commencement, je ne compris pas mon infériorité: je ne savais pas que ces premiers éléments étaient les mêmes dans toutes les langues. Mais quand je me fus rendu compte, ma gêne devint si forte que la demoiselle s'en aperçut, et, pour me mettre à l'aise, elle me raconta qu'elle donnait les mêmes leçons, dans le grand monde, à des dames mariées dont l'éducation avait été négligée à cause de leur
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santé ou pour d'autres motifs, et que beaucoup comprenaient moins vite que moi. Je lui sus gré de vouloir me mettre à l'aise, mais n'en sentais pas moins ma piteuse ignorance.
Au bout d'un an, quand je pus me débrouiller, André trouva que maintenant je devrais également prendre un professeur d'histoire et de géographie. J'en eus un d'un grand lycée de garçons. Il m'expliqua d'abord, sur une carte de géographie, ce que signifiaient les petites lignes en zigzags, que les unes représentaient des montagnes, les autres des fleuves, etc. Je n'en croyais pas mes yeux, mais ne disais rien. Quand j'eus compris, il commença par le commencement, et il déploya devant moi toute l'histoire de l'Egypte, puis des Mèdes et des Perses. Tout en me racontant, il me faisait suivre sur les cartes, pour que je me misse bien en tête où les événements s'étaient passés.
Ce fut la plus grande révélation de ma vie. L'orthographe, en somme, m'ennuyait, mais, ici, je m'emballai et partis à fond de train. A mesure que tout me devint clair, je vis devant moi les pays, avec leurs habitants vivant leur vie, avec les bêtes et les choses... L'inondation du Nil me fit crier avec eux: ‘Ça y est, il envahit tout...’ Les passerelles et les petites digues me transportèrent en Hollande, et je clapotais, pieds nus, dans l'eau limoneuse... Mais les ca- | |
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davres qu'on mettait pendant six semaine: dans la saumure, comme des morues, et dont on tirait le cerveau avec des crochets par les narines, et toute l'horrible préparation qu'ils devaient subir avant d'être à point pour l'emmaillotement, me donnaient de véritables cauchemars.
André riait de l'impression que tout cela me faisait.
- Il t'en restera plus qu'à moi: nous autres, on nous serine ces choses quand nous sommes trop jeunes, alors qu'on veut jouer aux billes, et l'impression est nulle.
- C'est égal, si j'avais pu apprendre jeune, je pourrais maintenant m'occuper de choses moins élémentaires, car je vois bien que, si l'on veut savoir, la vie suffit à peine.
Quand nous en arrivâmes à la Bible, j'étais plus à l'aise: je la connaissais très bien, mais on me l'avait enseignée comme la parole de Dieu, et mon bon sens s'était révolté contre ce Dieu qui disait: ‘Je vous ai fait commettre cette iniquité pour me venger de vous, car je suis le Dieu vengeur.’ A présent, qu'on me la représentait comme l'histoire et la littérature d'un peuple, elle m'intéressait beaucoup.
Ma mentalité changea complètement: je voyais plus loin, je découvris des beautés et des laideurs nouvelles, et je commençais à com- | |
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prendre que si la misère est la plus grande de toutes les calamités, il y a aussi d'autres douleurs que celles du ventre qui crie, et que ce n'est pas tout que d'avoir les pieds au chaud.
Avant mes études, tout se manifestait à moi par des sensations, sur lesquelles je ne parvenais pas à mettre des mots, et, quand j'en trouvais, je n'osais les dire, me croyant bête et absurde... Maintenant j'arrivais à exprimer nettement mes idées, à savoir faire la part des choses, à prendre possession de moi-même, et à ne plus craindre de me voir ridiculiser, ainsi qu'auparavant Eitel avait l'habitude de le faire. Je parlais déjà tout autrement, je choisissais mes termes, mais André trouvait que mon accent restait trop étranger, et il avait peur que je ne prisse l'accent belge.
- Tu devrais aller au Conservatoire, mais il ne faut pas que l'on connaisse ta position. Tu diras que tu es une étrangère, venue à Bruxelles pour apprendre le français; avec ton allure d'‘english lady’, cela passera. Mais il faut, avant, prendre quelques leçons particulières pour faciliter ton admission. Je connais une ancienne élève, du temps où j'y étudiais le violon, - car, [t]u ne sais pas, j'ai voulu devenir violoniste, mais mes parents s'y sont opposés, - cette ancienne élève est monitrice, elle est méchante
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comme un gale, mais elle te donnera de bonnes leçons, elle connaît bien le métier.
Cela s'arrangea tout de suite. Je devais acheter un Merlet et nous commençâmes par des lectures à haute voix. Pas un son n'était exact, mais j'articulais bien. Puis, elle me fit syllaber et travailler avec des boules dans la bouche, pour assouplir l'élocution et me faire prononcer des lèvres. Je devais dire ‘mmme... nnne... pppe...’ Je m'y mis avec une fougue à en avoir des bâillements de fatigue des mâchoires, et le sang à la tête, et la vue voilée. Je croyais pouvoir forcer la nature, rattraper les années perdues. Mes progrès furent immenses, et, au bout de quelques mois, mon professeur me présenta au Conservatoire, comme une jeune fille venue en Belgique pour compléter ses études: j'étais déjà plus dégrossie que des élèves de deuxième année.
Alors commença l'étude des classiques. Ce fut une autre porte qui s'ouvrit pour moi, à deux battants, sur une vie splendide à laquelle je m'initiais. J'eus des sensations délirantes et des émotions d'art sans mélange. Tout mon être était tendu dans une vibration à le rompre. Puis mon orgueil ne connut plus de bornes... Comment! moi, j'étais d'une école! Moi, je m'initiais à ce que l'humanité avait produit de plus élevé! Moi, je travaillais mes gestes, mes
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attitudes, mon rire et mon sourire... J'en divaguais; j'étais ponctuelle, scrupuleuse. Quand le professeur parlait d'un livre ou d'une pièce, je l'achetais. Comme j'avais un budget restreint, mes robes étaient continuellement reteintes, mes chapeaux retapés; tout mon argent passait à des livres et à des leçons, car j'avais cru absolument nécessaire d'apprendre l'anglais et l'allemand.
Je devais du reste bientôt payer cher ce bonheur. Je devins fébrile, des sueurs nocturnes m'épuisaient. Puis, le professeur de la classe supérieure, où j'étais maintenant, ne m'aimait pas: elle me trouvait trop âgée, je n'avais pas assez de poitrine et de hanches...
- Vous êtes artiste, intelligente; mais, entre nous, au théâtre il faut plaire aux hommes, et je ne crois pas que ce soit votre cas.
J'avais lu Nana, et je me rappelais que, sur les planches, n'ayant pas su donner une note, elle donna un coup de hanche. Je demandai au professeur si c'était ça, le théâtre... Ses narines se pincèrent de dépit: j'avais irrémédiablement gâté mes affaires auprès d'elle.
Je travaillais cependant d'arrache-pied. Si, au début, je n'avais pensé qu'à changer mon accent, maintenant j'entrevoyais un avenir au théâtre. Très souvent, j'apportais un travail, en dehors de mes rôles imposés. Le professeur
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et les élèves s'étonnaient de la vérité avec laquelle je l'interprétais.
C'était Les Deux Pigeons... Comment ne pas avoir la mort dans l'âme, quand on aime et que l'un des deux veut aller courir l'aventure?
Ou Le Chien et le Loup. Je pensais au collier qui étrangla, pendant des siècles, une partie de l'humanité, que les plus forts amadouaient en lui jetant de temps en temps quelques reliefs... Os de poulet, os de pigeon...
Puis Rolla!
Pauvreté! pauvreté! c'est toi la courtisane,
C'est toi qui dans ce lit as poussé cette enfant...
Vous comprenez l'émotion que j'y mis...
J'étais bien revenue de mes préventions contre Victor Hugo. J'avais étudié avec passion:
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
J'étais prête à grimper sur les barricades et à détruire toutes les roses de Saint-Cloud. Détruire les roses!... moi qui ferme les yeux d'émotion, au parfum d'une rose France!
Puis La Conscience avec Caïn, et cette répétition: L'oeil a-t-il disparu?
La chair de poule me parcourait en une peur indicible.
Mais Booz!
L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle...
Tout mon être s'épanouissait en des aspira- | |
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tions vers le soleil, vers les champs de blé doré, vers les parfums et les étoiles des nuits d'été... J'entraînais André à travers la Forêt de Soignes; mais c'était l'hiver, les nuits étaient ternes et ne me rendaient pas cela.
Voilà comment j'arrivais à cette vibration, à cette vérité qui surprenaient mes camarades et mon professeur.
Je crois que je dois beaucoup des sensations que je communiquais ainsi à mon don de vision et d'évocation... Je ne connaissais pas la musique. Cependant, me trouvant avec André au concert, je sentis tout d'un coup les parfums de la campagne, et je vis un clair ruisseau serpenter à travers des prairies.
- André, on dirait qu'il y a des fleurs et de l'eau dans cette musique.
- Mais il y a tout cela. C'est la ‘Pastorale’...
J'ignorais complètement que Beethoven avait voulu rendre tout ce que je venais de voir et de humer...
Bien avant la Duncan, je faisais des pas sur n'importe quelle musique, et surtout sur la marche funèbre de Chopin. Cette marche!... Quand André fut mort, j'eus plusieurs fois la vision de son enterrement, avec des danseurs en ample manteau pourpre, qui, devant le corbillard, exécutaient la ‘danse’ funebre de Chopin.
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Si je disais à mes camarades que je voyais se dérouler devant moi, avec couleur, gestes et parfum, ce dont il était question dans mes rôles, presque toutes se moquaient; d'autres croyaient à une pose, et à toutes cette manière de sentir était antipathique.
- Tu sais, Oldéma, avec ce don d'évocation, comment feras-tu pour jouer la Toinette du Malade Imaginaire?
- Et vous, sans ce don, comment diriez-vous Booz?
Tout ce travail, qui pour moi était une source de joie et de douleur, était une tâche pour elles: en dehors de Marthe, la seule camarade que je m'étais faite au Conservatoire, aucune n'avait la passion...
Un peu avant le concours, je commençai à me préoccuper de l'allure que j'aurais sur la scène. Le fard m'enlaidissait, ma maigreur m'inquiétait. Je voulais savoir. J'achetai un arsenal complet de rouge, de blanc, de cold-cream et de crayons de toutes couleurs, et, un soir, je dis à Naatje que j'allais m'habiller et me farder comme pour le théâtre.
J'allumai toutes les lampes de la maison, dans ma chambre à coucher.
- Maintenant, mets-toi là, en face de la
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porte, et, quand j'entrerai, tu me regarderas bien pour voir l'effet que je produis.
Le coiffeur m'avait dit comment il fallait m'y prendre. Quand ma figure fut faite et mes cheveux relevés seulement d'un peigne d'écaille blond, je m'entourai d'un grand châle en soie de Chine blanche, brodé ton sur ton, et je fis mon entrée; Naatje me regarda en silence; puis, avec de l'étonnement dans les yeux et du dépit dans la voix, elle me dit:
- Je croyais que le fard ne t'allait pas.
- N'est-ce pas qu'il me va? fis-je, en allant vers l'armoire à glace.
J'étais éblouissante tout simplement, et j'avais un air candide et frais que je ne me connaissais pas. Mes bras étaient trop maigres, mes salières trop creuses; mais mon cou, ma nuque et la poitrine, très bien et étonnamment jeunes. La ligne du corps, surtout de dos, était d'une grande élégance, et mes mains fuselées avaient du caractère.
Je me mis à faire des gestes et des grâces devant la glace, et à déclamer des tirades de comédie et de tragédie; puis je fis des sorties et des rentrées, avec la grande révérence.
Naatje ne disait rien, et, un moment, je la vis me toiser d'un regard haineux.
- Naatje, si mon professeur me voyait ainsi, elle ne pourrait, avec la meilleure volonté du
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monde, me trouver dépourvue de charme; mais elle me remplirait mes salières d'une pâte et me collerait un corset avec gorge et hanches, et mes gestes et les beaux saluts de côté et à la ronde, avant de quitter la salle, n'auraient plus la flexibilité de maintenant... Regarde comme c'est élégant.
Et je m'inclinai en des beaux saluts des deux côtés, comme les reines avant de quitter une assemblée.
J'enlevai vite le tout avant l'arrivée d'André, et je renvoyai Naatje qu'il n'aimait pas.
- Ta soeur est une vipère bornée, qui prend sa laideur pour de la vertu... Si elle ne veut pas apprendre un métier, elle ne viendra plus chez toi... nous l'aurons toujours sur le dos.
Cela la mettait hors d'elle, mais elle n'avait pas assez de fierté pour ne plus venir: elle se croyait devenue une demoiselle, parce qu'elle finissait mes toilettes.
Quand il arriva une heure après, j'étais encore tellement sous l'impression de m'être vue si belle, qu'il me demanda ce que j'avais.
- Tu jettes des rayons...
Nous eûmesune longue nuit d'amour...
Malgré les vexations de mon professeur, je tins bon jusqu'au concours. Elle fit tout au monde pour m'éliminer, mais une élève vint
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lui demander, devant le directeur, si elle ne voudrait pas me faire entendre, que je pleurais là derrière un pilier... Il fallait bien qu'elle me présentât, et, plus morte que vive, je déclamai les Imprécations de Camille.
Pendant tout le temps que je restai sur le plateau, elle parla avec animation au directeur; j'eus la revanche d'entendre celui-ci faire la réflexion:
- C'est la seule qui sache ce qu'elle dit; et elle n'a aucun accent...
Puis à moi:
- C'est très bien, mademoiselle, vous pouvez concourir.
Mais le professeur me tortura tellement par ses chicanes et ses observations malveillantes, et mes sueurs nocturnes m'épuisaient à ce point que, à bout de résistance, je renonçai au concours. Puis je me disais aussi: ‘Si j'échoue, elle en profitera pour me renvoyer, et je veux continuer à travailler: ce concours n'augmentera pas mon savoir...’
Aussitôt que j'eus renoncé, elle devint charmante.
- Croyez-moi, mon enfant, le théâtre n'est pas votre affaire: il n'y a pas que la scène, il y a les coulisses... Vous n'avez pas ce qu'il faut, vous deviez plutôt manier la plume!
Je crus à une dernière noirceur.
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Un élève me dit:
- Imbécile, concours, elle n'a fait cela que pour fixer toute l'attention sur la petite O... et lui permettre de décrocher un premier prix, et ce produit pour vieux messieurs ne l'aura pas si tu te mets de la partie.
Mais je n'en pouvais plus; puis André m'avait dit qu'il ne voulait pas que je devinsse actrice, que cela détruirait notre bonheur...
Je partis donc faire une cure.
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Quand j'étais petite, j'avais une très jolie voix chantée, et, à quatorze ans, je chantais, pour endormir nos enfants, tous les chants de l'école d'abord, puis j'improvisais.
Un dragueur, qui était notre voisin d'impasse, m'écoutait, ravi, assis devant sa porte; il imposait silence à toute la marmaille aussi longtemps que je m'égosillais; après, il me disait, très ému:
- C'est beau, tu es un ange du ciel quand tu chantes...
Et il voulait m'embrasser, mais je me sauvais: même le dimanche, son odeur me repoussait.
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En grandissant, la vie m'avait tellement secouée que je n'avais plus jamais chanté.
J'entendais au Conservatoire les chanteuses s'exercer en des modulations qui me charmaient tellement que je me rappelai ma voix. Mme R..., mon professeur de diction, avec qui je prenais toujours des leçons particulières, avait fait ses études de chant; je lui parlai de ma voix chantée.
- Ah!... voyons cela.
Elle se mit au piano et me fit donner quelques notes, puis une gamme.
- Oh! oh! c'est une vraie voix de Falcon, et un timbre rare...
- Alors je vais entrer au chant!
- Ecoutez, mademoiselle, j'ai eu deux premiers prix, un de chant, l'autre de déclamation; mais j'avais appris le solfège à douze ans, et depuis j'avais continué. Vous avez vingt-neuf ans, une voix exceptionnelle, fort étendue, naturellement posée, un médium très beau et solide; vous êtes fort avancée pour la diction, seulement le temps vous manquera pour mener à bien les deux études, et je crains que vous n'échouiez. Réfléchissez...
Une voix rare, un très beau timbre... Quelle perspective!... Mes dons ne seraient pas là complètement en quantités négligeables, je pourrais me prouver qu'ils ne demandaient qu'à être mis au point, qu'il était en moi de
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produire de belles choses... et je ne devrais cela qu'à moi-même... Mes visions, plus tard, ne seraient plus seulement des cauchemars de misère et d'infamie. Je pourrais me ressouvenir: ‘C'est moi qui fus Armide, ou qui fus Phèdre.’ On dira: ‘Vous vous rappelez la grande Oldéma? elle nous faisait frémir, elle nous donnait des sensations d'art et de vie complètes. Ah! elle était admirable!...’
Eh bien, pourquoi pas!... Pourquoi, moi, ne pourrais-je égaler les meilleures? On me dit très artiste, et j'ai les dons! Si je puis les cultiver, pourquoi pas moi!... dites! pourquoi pas moi.
Je divaguais ainsi, en marchant trop vite par la rue.
Le lendemain je pris Mme R... à part et lui dis que j'avais décidé d'entrer au chant, que je me sentais de taille à mener les deux études de front, que je comptais qu'elle voudrait bien continuer à me donner des leçons particulières de diction.
- Comme vous voudrez. Je vous présenterai à mon ancien professeur de chant.
Quand il eut entendu ma voix, il s'étonna que je ne m'en fusse pas occupée plus tôt. Mme B... lui dit que j'avais vingt-cinq ans, que j'étais très travailleuse et compréhensive.
- Bien, bien, avec cet organe et du travail,
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elle chantera à vingt-neuf ans, elle aura encore vingt ans devant elle... cela en vaut la peine.
Je me tenais coite.
J'entrai au chant et au solfège. Au solfège!... Je ne connaissais pas une note: elles étaient pour moi des hiéroglyphes, comme quelques années auparavant les cartes de géographie. C'est là que je devais échouer. Je ne pouvais plus me mettre les sons dans la mémoire, malgré une grande finesse d'oreille. Si ma santé avait été bonne, ma volonté m'eût fait réussir, mais j'étais rongée de fièvre intermittente. Je me levais le matin, macérée dans la sueur, et m'habillais en chancelant. Je souffrais excessivement. Ne voulant pas trop souvent manquer les leçons, je m'empoisonnais avec de l'antipyrine qu'on venait de mettre à la mode. Je devais cependant à chaque instant demander des congés. Quand je revenais, les autres avaient marché, moi reculé; puis elles avaient dix-huit ans...
Je m'épuisais aussi de révolte. Maintenant j'avais la vie matérielle assurée, car André et moi, c'était pour toujours, il avait soigné pour mon avenir, et je n'y pensais plus à l'avenir, qu'en me voyant comédienne ou chanteuse, - j'espérais bien vaincre les appréhensions d'André. - Et voilà que j'avais les reins brisés par l'âge et la maladie...
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Au chant, j'eus le même succès qu'à la diction. Quand je devais chanter, il y avait tout un remue-ménage parmi les élèves.
- Oldéma va chanter...
Comme je suivais les deux cours, souvent elles venaient m'entendre aussi à la déclamation.
- Allons à la déclamation, Oldéma déclame.
Le professeur de chant m'avait même chargée d'un petit cours, pour apprendre aux chanteuses à prononcer convenablement en français.
J'aimais tant l'atmosphère du Conservatoire: ce bruissement de ruche en travail, dont je faisais partie, me donnait à mes yeux une importance qui m'était délicieuse. J'aimais surtout les lectures du mercredi, quand, toutes assises autour de la table en une exquise intimité, une des élèves faisait la lecture à haute voix. Souvent le professeur lisait, pour nous donner le ton. Moi, dans la lecture à vue, j'ânonnais lamentablement, j'avais des impatiences à m'écouter...
Un hiver, on lisait l'Iliade: les élèves goûtaient si peu cette lecture, qu'elles en avaient des fourmillements dans les jambes. Marthe me disait:
- Si l'on doit continuer cela pendant tout l'hiver, je ne réponds pas de moi, j'aurai des attaques de nerfs.
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Le professeur s'en aperçut.
- Je vois, mesdemoiselles, que le désir de vous instruire ne vous tourmente pas. Nous lirons dorénavant, pendant une heure, Homère, pour celles que cela intéresse, et, pendant une heure, nous ferons des lectures plus à votre portée.
Homère était trop aride pour ces jeunes filles de dix-huit à vingt ans; moi, j'avais dix années de plus, et j'en admirais fort la grandeur et la vie. Surtout un paysage de nuit m'avait frappée, plein de lumière et de paix, où les Troyens attendent le jour autour des feux et où leurs chevaux paissent l'orge fraîche et la blanche avoine.
Comme je ne m'étais pas présentée pour le concours de solfège, je fus appelée chez le secrétaire.
- Vous avez trente ans, mademoiselle, vous devriez, avec votre voix et votre sens artistique, être dans toute votre gloire. Comme votre santé ne vous a pas permis d'étudier, quand vous étiez plus jeune, vous avez voulu le faire maintenant: c'est très méritoire pour une personne de votre monde, qui ne doit pas vivre de son travail, mais il est trop tard pour vous créer un avenir au théâtre; ajoutez à cela votre état de
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santé actuel et vos congés répétés, et vous com prendrez...
- Oui, monsieur, je comprends, fis-je d'une voix étranglée; mais ne pourrais-je assister a[ux] cours comme auditrice? Le Conservatoire est devenu ma vie.
- Je ne vous le conseille pas, mademoiselle, vous vous feriez trop de chagrin. Allez en Hollande, rentrez dans votre famille: c'est le meilleur milieu pour vous retremper, et revenez après assister à nos concerts.
Il me serra affectueusement la main. Je m'en allai; j'étouffais. Je me réfugiai dans la salle de déclamation, derrière l'orgue, d'où je fis se lever, comme des perdreaux, deux élèves du chant qui se montraient leurs nichons. L'une me cria:
- Dis donc, Oldéma, tu n'as rien vu!
Bientôt un jeune homme venait s'exercer sur l'orgue. Je me répétais en des spasmes de désespoir: ‘Fini... tout est fini. Cette implacable misère m'a tout fait rater dans la vie, elle m'a poursuivie jusqu'à ce qu'il fût trop tard pour tout. Elle m'a ruiné la santé, elle ne m'a laissé que cette sensibilité exacerbée, qui me fait tout sentir, tout voir et tout craindre; car, depuis un temps, je sentais qu'une calamité allait s'abattre sur moi ici... J'ai voulu escalader une pente, inaccessible quand l'heure est passée.
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J'ai eu beau m'atteler, comme une bête de somme, à cette tâche, j'ai eu beau me colleter avec les obstacles et les difficultés... trop tard... et j'ai encore tant d'années devant moi pour regretter ma vie manquée...
J'avais entrevu la beauté d'une existence de travail et d'art... Fini... Me voilà plus désemparée que jamais... Et toutes ces beautés auxquelles j'aurais encore voulu m'initier et m'intéresser autrement qu'en amateur... Je hais le travail d'amateur, et c'est tout ce qui me reste...
J'avais fait croire, pour expliquer les lacunes de mon éducation, que j'avais eu une enfance trop nerveuse, trop impressionnable, les médecins avaient conseillé de ne pas me laisser étudier... Avec quelle déférence le secrétaire m'a parlé: ‘Une personne de votre monde... Rentrez pour un temps dans votre famille, mademoiselle, c'est le meilleur milieu pour vous faire oublier le chagrin de votre déception imméritée...’ Ah! mince! c'est parce qu'il me croit de ce que eux appellent une bonne famille, qu'il a mis tant de gants... Aux petites du solfège, filles de verdurières ou de gardes-couches, il tient un autre langage, et il a d'autres gestes quand elles viennent lui demander des places de théâtre... Maintenant, il parlait de chagrin immérité, mais il n'aurait tenu aucun compte de mes
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luttes et de mon mérite s'il s'était douté d'où je suis partie. Aussi ne lui sais-je aucun gré de son amabilité.
Encore un sale tour que la misère m'a joué: c'est de m'avoir montré les gens sous leur vrai jour: leurs égards ne s'adressent qu'à la position sociale et non à l'individu, et, quand un mâle est poli avec Mlle Oldéma, je voudrais pouvoir lui mettre sous les yeux la petite Keetje en guenilles, pour voir le volte-face de son respect...
C'est fini... Je dois quitter ce Conservatoire qui a été pour moi une école admirable, où je me suis initiée aux classiques français, à ce que la pensée humaine a produit de plus élevé; j'y ai appris à comprendre et à sentir la langue la plus belle, la plus aristocratiquement élégante et claire, que je suis fière de parler maintenant, non sans faute, hélas! mais presque sans accent.
Le peu que j'ai appris du chant et de la musique m'a ouvert un monde nouveau, plein de visions et de sensations enchanteresses; il m'est devenu clair que la musique, mieux que la parole, exprime la joie, la douleur, et surtout l'amour. Je sentis, à ce moment, l'immense valeur qu'avait pour moi le Conservatoire, qu'il était mon guide et mon conseil... et, maintenant, fini... Je comprends le jeu du comédien
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et le chant des chanteurs, mais j'aurais voulu aller au delà, et jouer ou chanter moi-même, et c'est trop tard... Tout est fini sans espoir...
Deux élèves du chant étaient entrées et s'amusaient à donner les notes que le jeune homme jouait sur l'orgue. Do... si... ré bémol... la-a-a-a-a-a-a...
Lui acquiesçait de la tête.
Quelle adorable trille... Voilà, elles ont vingt ans, sont ici depuis leur enfance. L'une est fille de petit employé, a une forte, mais non une belle voix; elle obtiendra un rappel de second prix; elle fulminera un petit temps contre les injustices, puis épousera un employé et n'y pensera plus; et toutes ses années d'études seront gâchées, car elles ne lui ont pas fait faire un pas...
La voix de l'autre est très jolie, elle aura son premier prix et chantera Faust. Gounod est son dieu... Son Ave Maria, peuh... Je vois toujours, quand je l'entends chanter ou moudre sur un piano mécanique, un commis-voyageur, les cheveux au vent, clamant à pleine voix de poitrine, sous la fenêtre d'une grisette:
Oh, ma Lisehette... Oh, ma Lisehette.
Je t'aimerai, haihai haihaihai toutoujours...’
Chaque fois que cette élève a chanté Mireille, elle a une extinction de voix... A toi mon
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âhâme je t'ââhââpartiens. Pouah!... comme si l'on gueulait ainsi quand on donne son âme!...
Et je voyais des dames en crinoline, les cheveux pommadés, un mouchoir à la main, qui se pâmaient... C'est étrange, je trouve cette musique libidineuse...
... Que serait-il arrivé ici, si jamais on avait connu une parcelle de mon passé? On m'aurait chassée ignominieusement... Même Marthe, aurait-elle compris? Il n'y a qu'André qui m'en aime davantage... André... Ah! quelle percée de lumière dans ma vie... et cette délicieuse compréhension n'est pas son seul apanage: il est beau, ciselé, - évidemment les femmes le trouvent laid, - ses mains sont des merveilles, et, quand il rit, sa bouche s'ouvre si naïvement et si franchement, et, quand il a de l'humeur et rejette sa mèche en arrière d'un mouvement de tête, on dirait un cheval qui se cabre... C'est un être unique. J'ai eu du bonheur: si je n'avais pas rencontré André, mon cerveau ne se serait pas débrouillé, et j'aurais toujours ignoré ces merveilles.
Ne pas connaître Esther!
Me voici donc tremblante et seule devant toi.
Ne pas connaître Le Misanthrope... Célimène...
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Et ce n'est pas le temps,
Madame, comme on sait, d'être prude à vingt ans.
Et Dorine:
Et je vous verrais nu du haut jusque en bas
Que toute votre peau ne me tenterait pas.
Je frémis à la pensée de ce qu'eût été ma vie...
Puis, en musique... Mon goût peut déjà me guider. N'ai-je pas déniché toute seule les lieder de Beethoven et ceux de Haydn? Est-il un lied plus émouvant qu'Ein kleines Haus de Haydn et Geliebt wird alles ausser mir de Beethoven? Ne me suis-je pas, avec un doigt sur le piano, initiée à ces merveilles d'amour et de sensibilité?...
Alors, mon lot n'est pas encore si mauvais. Je sens et savoure profondément toutes ces oeuvres de beauté... Elles sont aussi de bonnes actions, car on n'a qu'à les évoquer pendant les jours tristes, et elles agissent comme un calmant... On ne peut quand même pas m'enlever tout ce que j'ai appris: je le possède pour toujours, et c'est déjà un grand trésor... Je vais vite raconter à André ce qui m'arrive et pleurer dans son gilet, comme il dit.
Et, courbaturée comme si j'avais été battue, je sortis de ma cachette de derrière l'orgue. Je mis mon chapeau et pris ma boite à déjeuner,
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et, la gorge contractée, j'allais partir, quand une élève du chant passa.
- Oldéma pourquoi n'es-tu pas venue au chant? Tu aurais certainement eu une leçon aujourd'hui, maintenant que tu sais triller... Tu sais, ton trille est clair et frais, ne rate donc pas la prochaine leçon.
Je lui souriais sans pouvoir répondre. Elle s'éloigna en vocalisant:
- Amour, a-a-a-amour, a-apprends-ends-moi l'a-a-a-art de fein-in-in-indre, apprends-moi l'a-a-a-art de-e-e-e-e fein-in-in-indre.
Et, moi, je quittai.
En cheminant, je ne pus que penser encore: ‘Je l'ai échappé belle. Sans André sur mon chemin, quelle nuit opaque aurait fini par s'étendre sur moi... Dire qu'il y eut un temps où la recherche d'une croûte de pain était ma seule préoccupation... C'était cependant aussi une jouissance intense de voir les petits manger et se chauffer...!’
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