j'étais la première; mais quand Rodrigue me dépassait, il tournait la tête vers moi, et, de ses dents d'Espagnol mâtiné de Maure, et de ses énormes yeux noirs, le chapeau en main, les cheveux d'ébène au vent, il me riait d'un air de triomphe.
Dans les guinguettes lointaines, nous allions boire un verre de ‘brune’, mais, avant, nous sautions à pieds joints les flaques d'eau.
Stéphanie avait de l'humeur, parce qu'aucun exercice ne lui était possible. Elle avait encore de l'humeur quand son amoureux causait avec moi, au lieu de s'occuper d'elle. Rodrigue alors me secouait le bras, et les yeux flamboyants.
- Laisse-les! disait-il.
Et il voulait que nous marchions derrière ou devant, pour nous isoler. Il me donnait le bras, et, la tête penchée vers ma figure, son haleine m'effleurant, il me parlait. Il était extrêmement fier de pouvoir causer avec moi.
- Tu n'es pas du tout comme les autres. Que fais-tu avec cette grue?... j'ai une cousine à qui tu ressembles, je lui raconte aussi tout...
Il était orphelin, sa mère était Espagnole, son tuteur voulait qu'il entrât à l'Ecole Militaire.
- Je serai, très jeune, général, tu verras... et notre pays finira bien par se battre un jour; sans cela je m'en vais, je ne veux pas être un soldat de parade.