De scheldkritieken

[p. 256]

Purification ¹¹³

[M. Reepmaker, Purification. Paris, Tresse & Stock, 1895.]

C'est avec une admiration bien grande que j'ai lu le livre de notre fameux compatriote, Menelaus Reepmakèr. Ah! Ah! il n'y a pas à dire, c'est inéluctable, c'est indiscutable, la position d'un littérateur hollandais n'écrivant que sa langue maternelle, est incompatible avec le décorum, la tenue, qu'un homme de naissance et appartenant au monde élégant doit exiger de lui-même.

En Hollande, il y a d'abord la Noblesse et les descendants des familles très anciennes, quoique non nobles, des familles patriciennes, qui occupent les hautes places dans les corps politiques, dans la diplomatie, à la Cour en dans l'Armée. Puis il y a la magistrature, le notariat (ah bien! on descend déjà). Il y a les riches commerçants, les grands médecins, les avocats (ah! ah!), surtout les familles de commerçants qui sont dans la richesse depuis trois ou quatre générations. Il y a ensuite les anciens boutiquiers, ayant fait fortune et vivant de leurs rentes.

On peut être tout cela. Mais un littérateur... cela n'est rien. Oui, voyez-vous, un littérateur c'est très beau et noble, c'est utile même si vous voulez, s'il propage les bons sentiments, cela peut même être grandiose, enfin tout ce qu'on voudra, mais - cela n'est pas considéré. Cela sent toujours un peu le maitre d'école et le pasteur de village, en un mot et pour tout dire: c'est bourgeois, c'est bohème, c'est comme de la mendicité idiote. Toujours, y a-t-il des exceptions. Pour quiconque sait se faire une réputation européenne... Ainsi les peintres, c'est de la canaille. Mais Lourens Alma Tadema, farceur va, v'lá, v'lá, c'est ainsi que ça va, tralala.

Je gagerais trente mille florins que notre illustre Reepmaker s'est dit: Voyez ce Maarten Maartens et sa renommée grandissante en Angleterre (‘I can't leave it. Wonderfull. Delicious!’), voyez ainsi le profond Byvanck dont le livre sur Paris a été publié en français... Je vais faire en France ce que Maartens a fait en Angleterre.

[p. 257]

Ah! le malin! le petit-vaurien! le triple fils de Madame Angot et de George Sand!

Pendant mes séjours à Wiesbaden-les-Bains, à Interlaken, à Aix, à Menton, à Biarritz, à Carlsbad, à Brighton, j'avais souvent rencontré un homme de mine intéressant et de beauté vraiment mâle. Je sentais une envie irrésistible de faire sa connaissance. Hélas, l'occasion ne s'est jamais présentée. Quelle n'était pas ma surprise lorsque, m'arrêtant un de ces jours devant la vitrine d'un libraire de l'Avenue de l'Opéra, - j'aperçois le portrait de l'inconnu, dont le souvenir me hantait. C'était un Hollandais, un écrivain, ayant plusieurs ministres et généraux dans sa famille, c'était Menelaus Reepmakèr!

Je me suis procuré son dernier livre, étalé avec son titre éblouissant à coté du portrait: Purification.

Oh! le psychologue subtil, le noble conteur, le charmant analyste. Il y a dans ce livre pour toutes les névroses et pour toutes les curiosités. Quelles descriptions enivrantes de la nature des Pays-Bas, de leurs soleils, de leurs brumes, de leurs ‘poldèrs’ et prairies! Quel caractère, quel style, quelle langue, quelle symétrie, quelles idées envellopantes et qui sont comme de sourds soleils cachés sous le travail d'un perversité adorablement coquette de la phrase ciselée!

Il connait le coeur humain, celui-là! C'est un penseur et un artiste. Il poursuit dignement la ligne classique, il est le délicat représentant du goût classique, abandonné depuis Racine.

Bientôt, il aura conquis l'Europe (la Russie et tout), l'Amérique aussi. Sa plume est comme l'aile d'un ange-philosophe cosmopolite, dont les superbes mouvements ne seront pas entravés par les brouillards du sol natal. (Son livre rappelle surtout les anciens maîtres hollandais, ces incomparables peintres d'intérieurs.)

La Hollande, satisfaite et orgueilleuse, lui offre ses remerciements comme au digne porte-drapeau de sa véritable Renaissance.

La Haye-Arnheim-Naples, le 26 Novembre

F.J.A.M. de V.d'Uiterkerke