‘Les pays avaient conquis leurs priviléges à force d'argent donné à des princes
besogneux; ces priviléges sont confisqués. Ils avaient espéré, d'après les
contrats passés entre eux & les souverains, jouir de la richesse fruit
de leurs travaux. Ils se trompent: le maçon bâtit pour l'incendie, le manouvrier
travaille pour le voleur. Le roi hérite.
‘Sang & larmes! la mort fauche sur les bûchers; sur les arbres servant de
potences le long des grand'routes; dans les fosses ouvertes où sont jetées
vivantes de pauvres fillettes; dans les noyades des prisons, dans les cercles de
fagots enflammés au milieu desquels brûlent à petit feu les patients; dans les
huttes de paille en feu où les victimes meurent dans la flamme & la
fumée. Le roi hérite.
‘Ainsi l'a voulu le pape de Rome.
‘Les villes regorgent d'espions attendant leur part du bien des victimes. Plus on
est riche, plus on est coupable. Le roi hérite.
‘Mais les vaillants hommes du pays ne se laisseront point égorger comme des
agneaux. Parmi ceux qui fuient, il en est d'armés qui se réfugient dans les
bois. Les moines les avaient dénoncés afin qu'on les tuât & que l'on
prît leurs biens. Aussi la nuit, le jour, par bandes, comme des fauves, ils se
ruent sur les cloîtres, y reprennent l'argent volé au pauvre peuple sous forme
de chandeliers, de châsses d'or & d'argent, de ciboires, de patènes, de
vases précieux. N'est-ce pas, bonshommes? Ils y boivent le vin que les moines
gardaient pour eux seuls. Les vases fondus ou engagés serviront pour la guerre
sainte. Vive le Gueux!
‘Ils harcèlent les soldats du roi, les tuent, les dépouillent, puis s'enfuient
dans leurs tanières. On voit, jour & nuit, dans les bois s'allumer
& s'éteindre des feux nocturnes changeant sans cesse de place. C'est le
feu de nos festins. A nous le gibier de poil & de plume. Nous sommes
seigneurs. Les paysans nous donnent du pain & du lard quand nous
voulons. Lamme, regarde-les. Loqueteux, farouches, résolus & l'oeil
fier, ils errent dans les bois avec leurs haches, hallebardes, longues épées,
bragmarts, piques, lances, arbalètes, arquebuses, car toutes armes leur sont
bonnes, & ils ne veulent point marcher sous des enseignes. Vive le
Gueux!’
Et Ulenspiegel chanta:
Slaet op den trommele van dirre dom deyne,
Slaet op den trommele van dirre doum, doum.
Battez le tambour! van dire dom deyne,
Battez le tambour de guerre.