- Ne craignez rien; revenez dimanche, je vous montrerai des tours sur la corde
& vous aurez votre part de bénéfice.
Le dimanche, les garçonnets n'avaient point coupé dans la corde, mais faisaient
le guet tout autour, de peur que quelqu'un y touchât, car il y avait une grande
foule de monde.
Ulenspiegel leur dit:
- Donnez-moi chacun un de vos souliers & je gage que, si petits ou si
grands qu'ils soient, je danse avec chacun d'eux.
- Que nous payes-tu, si tu perds, demandèrent-ils?
- Quarante pintes de bruinbier, répondit Ulenspiegel, & vous me payerez
trois patards si je gagne.
- Oui, dirent-ils.
Et ils lui donnèrent chacun un de leurs souliers. Ulenspiegel les mit tous dans
le tablier qu'il portait &, ainsi chargé, dansa sur la corde, mais non
sans peine.
Les entailleurs de corde criaient d'en bas:
- Tu as dit que tu danserais avec chacun de nos souliers; chausse-les donc
& tiens ta gageure!
Ulenspiegel dansant toujours répondit:
- Je n'ai point dit que je chausserais vos souliers, mais que je danserais avec
eux. Or, je danse & tous dansent avec moi dans mon tablier. Ne le
voyez-vous pas, avec vos yeux de grenouilles tout écarquillés? Payez-moi mes
trois patards.
Mais ils le huèrent, s'écriant qu'il devait leur rendre leurs souliers.
Ulenspiegel les leur jeta l'un après l'autre, en un tas. Ce dont advint une
furieuse bataille, car aucun d'eux ne pouvait clairement distinguer, ni prendre
sans conteste, son soulier dans le tas.
Ulenspiegel alors descendit de l'arbre & arrosa les combattants, mais non
d'eau claire.