Échos limbourgeois
(1842)–Aug. J.Th.A. Clavareau– Auteursrechtvrij
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Eurydice suivait son époux vers l'Averne,
Lorsqu'au détour fatal de l'obscure caverne,
Orphée, ému de crainte, et palpitant d'amour,
Se retourne, regarde!.... ô sévère justice!
La grâce est révoquée, et sa chère Eurydice
Expire à ses yeux sans retour!
Durant sept mois entiers, par sa plainte importune,
Il accusa les cieux de sa double infortune;
Aux lieux les plus déserts traînant ses longs chagrins,
Des Nymphes de la Thrace il fuyait la tendresse;
Et sa mort, que hâta leur fureur vengeresse,
Fut le prix de ses froids dédains!
Mais avant de fermer sa paupière glacée,
Aux siècles il légua sa dernière pensée,
Et l'écho répéta cet hymne de douleurs:
‘Les Parques vont trancher la trame de ma vie!
‘Le coeur encor rempli d'une épouse chérie,
‘Ecoutez, siècles! je me meurs!’
‘Aux accens de mon âme, aux sons de la cythare,
‘Des peuples j'ai vaincu la rudesse barbare,
‘Et les monstres domptés sont venus à ma voix;
‘J'ai réprimé les mers; j'ai fait pleurer les marbres;
‘J'ai soumis, attirant les êtres et les arbres,
‘Et l'onde et la terre et les bois!’
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‘Et je meurs! - Mais un fils, la gloire d'un autre êge,
‘Doit un jour de mon luth recueillir l'héritage:
‘Orphée, ô mes amis! ne meurt pas tout entier!
‘Et, dans la nuit des temps, à l'heure où je succombe,
‘Je vois briller ce fils, rejeton de ma tombe,
‘Le front ombragé de laurier!’
‘Protégé d'Apollon, neveu de Calliope,
‘Loin des champs de la Thrace, au milieu de l'Europe,
‘Il naîtra sur les bords d'un fleuve fortuné;
‘Balancés dans les airs sur leur aile hardie,
‘Deux cygnes répandront des flots de mélodie,
‘Au baptême du nouveau-né!’
‘Dès son enfance, instruit par de pieux exemples,
‘Sa voix retentira sous la voûte des temples;
‘Mais d'un luth immortel doté par ses parains,
‘Envieux des leçons d'une sublime école,
‘Il ira visiter les murs du Capitole,
‘Sous les yeux de maîtres divins!’
‘Les Muses souriront à ses premiers ouvrages.
‘Fêté par ses amis, et comblé de suffrages,
‘Dans une autre cité, devant d'autres Césars,
‘Il paraîtra vainqueur! et sa carrière illustre
‘De son pays natal rehaussera le lustre,
Comme un favori des Beaux-Arts!’
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En achevant ces mots, sous les coups des Bacchantes,
On voyait palpiter ses lèvres expirantes;
Et l'écho du Strymon, par sa mort attendri,
Comme un dernier accord d'une lyre plaintive,
A travers les roseaux qui couronnent sa rive,
Soupira le nom de Grétry!
Salut à toi, salut, ô noble fils d'Orphée!
Les temps sont accomplis! le jour de ton trophée
S'est levé sur la plage oé ta reçus le jour;
Et le peuple liégeois, consacrant ta mémoire,
Aux pieds de ta statue, orgueilleux de ta gloire,
T'apporte un hommage d'amour!
Honneur, honneur à toi, qui fis tant de merveilles!
Toi, qui sus, enchaînant le coeur et les oreilles,
Peindre les passions, commander à nos sens!
Ton génie, ô Grétry! grave ou doux, fier ou tendre,
Toujours beau, toujours grand, partout nous fait entendre
Des accords toujours ravissans!
Molière de ton art, c'est la riche nature
Qui vient seule animer ta savante peinture,
Tonner avec l'orage, ou caresser la fleur;
Expressif avec goût, et piquant avec grâce,
De charmes toujours vrais tu sais orner ta phrase,
Au gré de ton talent vainqueur!
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Aux soupirs d'une épouse, aux craintes d'une mère,
Qui n'a point, d'Eliska déplorant la misère,
Versé de tendres pleurs, ou frissonné d'effroi?....
Qui n'a point tressailli, des profondeurs de l'âme,
En entendant Blondel, dans des accords de flamme,
Chanter: O Richard! ô mon Roi!.....
Tel on nous peint Atlas, rassemblant, sur sa tête,
Le printemps, les frimas, le calme, la tempête,
Cédant au doux Zéphyre, ou brisant l'Aquilon,
Tantôt, bravant des flots l'orageuse furie,
Et tantôt, écoutant, sur la rive fleurie,
La Philomèle du vallon!
Liége, réjouis-toi! - Le luth de ton Orphée,
Du monde musical est encore la Fée!
Si les temps sont changés, son nom reste debout.
Son coeur, qui s'endormit absent de sa patrie,
Est rendu pour jamais à ton idolâtrie;
Son âme respire partout!! -
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