Verspreide schetsen en novellen
(1875)–Anton Bergmann– Auteursrechtvrij
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Revue de Belgique, 1874. Brussel, C. Muquardt. | |
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Un nouveau Salomon.Athanase Coquérau était un lieutenant fringant et coquet, ami du bon vin, aimé du beau sexe. Il avait taille souple et moustache en croc. Hélas, ces beaux jours sont loin de nous! A l'époque actuelle, Athanase, le bel Athanase, n'est plus qu'une épave disloquée de nos gloires militaires, un souvenir éteint d'un passé brillant. Coquérau est un vieux capitaine regomme et grognard, rhumatisé et pensionné, mécontent de Dieu et des hommes, maugréant contre tout et surtout contre l'exiguité de la rente que | |
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l'État lui a octroyée comme récompense de ses exploits. Et cependant, Athanase a eu plus d'esprit que les autres. Il n'a pas fait la folie de chercher dans la capitale des plaisirs d'un autre âge. Il s'est retiré dans une petite ville, où il a trouvé à bon marché une bonne pension, des hôtes aimables et attentifs et un entourage qui le respecte et l'admire. Il occupe au premier le plus bel appartement de la maison, le numéro 4: chambre immense à quatre fenêtres, où il y a des chaises rembourrées, un sopha en crin et un tapis autrefois fleurdelisé. A la table d'hôte de midi et demi, il s'assied gravement à la place du président, se sert les meilleurs morceaux, déguste les vins, prépare la salade et tranche d'autorité toutes les discussions. Pour charmer ses loisirs, il a les cancans de la petite ville, les intéressantes conversations des commis-voyageurs, le petit verre avant le dîner et les longues séances au cabaret le soir, | |
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où il trône à la place la plus rapprochée du poêle. Il a tout cela, certes de quoi rendre un mortel heureux; mais il a de plus et avant tout ses canaris, ses chers, ses bien-aimés petits oiseaux. Tout le numéro 4 en est peuplé. Entre les fenêtres six cages pour les mâles chanteurs. En face du sopha, un grand appartement pour les dames et demoiselles canaris - véritable gynécée de la gente ailée. Au dessus de la porte, un vaste enclos fermé d'un treillage délicat. Là, une lumière tamisée jette une vague lueur à travers des rideaux de mousseline. Tout est ombre et mystère. C'est la chambre nuptiale, la discrète retraite des chastes amours, la salle des mariages et des naissances. A l'entour, de petits paniers en osier bien blanc forment autant de nids doux et soyeux et, à chaque printemps, on en voit sortir de petites têtes jaunes qui jettent, effarées, un premier regard dans le monde. C'est la jeune généra- | |
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tion canari, l'exploit du capitaine. Bientôt, elle se développe, grandit en sagesse et en vertus, entourée des soins délicats, des attentions vraiment maternelles du vieux guerrier. Ah! c'est qu'il les aimait ses petits oiseaux. Il passait des journées entières à contempler leurs jeux, à suivre leurs ébats, à s'extasier devant leur beauté, à s'épanouir au son de leurs notes argentées. Oui, il aurait donné sa vie pour chacun de ses oiseaux, mais il aurait donné tous les autres pour le seul Fifi. Pour Fifi était la cage la plus belle, la mieux exposée au soleil en hiver, la mieux garantie des rayons brûlants en été. Pour Fifi était le meilleur morceau de sucre, la graine la plus choisie, le premier bonjour, le dernier bonsoir. C'est aussi que ce Fifi avait des qualités à nulles autres pareilles. Fifi connaissait son maître, venait becqueter dans sa main, sautillait à son approche et tournait le cou quand il s'éloignait. Puis, Fifi avait quelque chose de plus que | |
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tous les autres. Il faisait plus que de perler supérieurement les notes connues de tous les canaris, ses semblables. Son éducation musicale était plus avancée, sa culture plus parfaite. Docile aux leçons de son maître, il avait appris quelques mesures où, avec un peu de bonne volonté, on pouvait reconnaître le prélude de la Brabançonne. Quand le capitaine entendait l'air national sifflé par son Fifi, il ne se possédait plus. Il se redressait, portait la tête en arrière, son dos n'était plus voûté, son visage n'avait plus de rides, son pied plus de goutte, il avait vingt ans et se surprenait à crier comme au beau temps: ‘Par file à gauche, marche!’ Heureux capitaine! Heureux Fifi, s'il avait pu comprendre son bonheur! Or, il advint un jour que Fifi, comme tant d'autres, eut son moment d'ingratitude, d'entraînement et d'oubli. C'était une matinée de printemps. La fenêtre était ouverte, la cage mal fermée. Au dehors, le soleil était si brillant, l'air embaumé de senteurs | |
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printanières; mille insectes sautaient, voltigeaient, bourdonnaient dans la rue: c'était tentant pour un oiseau. Fifi se laissa aller au plaisir de songer, et qui songe à la liberté brise bientôt ses chaînes. Un pierrot vint, en ce moment, se percher sur la fenêtre; il trottinait gaiement sur les rebords, prenant une mouche à droite, une araignée à gauche, et jetait de petits cris qui semblaient autant d'invitations aux pauvres confrères emprisonnés. Fifi n'y tint plus: il pousse la petite porte, prend son élan, et croit avoir, lui aussi, conquis sa liberté. Déception amère! Ses ailes peu exercées ne peuvent le soutenir, il tombe dans la rue, les gamins se ruent à sa suite, manquent vingt fois de l'écraser dans leurs chutes; il fuit, il court, il volette en vain, rien ne peut le sauver. Enfin, moitié mort, réfugié dans le coin d'une porte, le pauvre Fifi est pris par un paysan qui le met dans sa poche, l'emporte à la ferme et lui donne pour prison un laid et affreux trou de moineau, sale et obscur, à lui | |
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qui avait été si heureux chez le capitaine dans sa petite pagode si jolie, si joyeuse, si bien aérée. Fifi se fait d'amers reproches, mais il est trop tard; il ne lui reste plus qu'à pleurer et à languir. Cependant le capitaine, lui, ne pensait qu'à Fifi. Il n'eut pas un mouvement de mauvaise humeur, pas une parole de colère pour l'ingrat qui l'avait si lâchement abandonné. Fifi ne méritait que l'oubli: le capitaine n'eut d'autre pensée que de le retrouver, de le ramener dans le chemin de la vertu et de lui rendre sa place dans sa cage et dans son coeur. Il savait, lui, que Fifi ne pouvait nulle part trouver tant d'amour et de bonté. Une enquête est ouverte, les voisins sont consultés, les gamins entendus. Le capitaine suit la piste pas à pas et découvre enfin le nom de l'infâme qui s'est emparé de Fifi et a osé le garder au mépris de toutes les lois divines et humaines. Ah! si Athanase avait encore été capitaine en | |
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ce moment, comme il aurait châtié le coupable! Mais, hélas! sa vieille épée était rouillée depuis longtemps, son bras avait oublié l'emploi du sabre; il ne restait au vieux guerrier que la pâle vengeance du pékin: les huissiers et les tribunaux. Le paysan fut, en conséquence, assigné à comparoir par devant le juge de paix du lieu, vieux magistrat obése et d'oreille tant soit peu dure. Le capitaine s'y présenta dans l'attitude du suppliant: il avait des larmes dans la voix, il pria, supplia et montra une de ces douleurs vraies et naïves qui imposent et commandent la conviction. Le paysan, mis en demeure de répondre, nia avec l'impudence d'un vaurien et l'obstination d'un rustre flamand. Le canari qu'il possédait était bien le sien: il était né, avait été élevé à la ferme et n'avait jamais vu de soldat, voire de capitaine. La colère d'Athanase éclata alors foudroyante, terrible, mais le fermier reste inflexible, inébranlable. | |
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Que faire, que décider en présence de cette affirmation sincère, de ces dénégations énergiques? L'embarras du judex était grand, sa perplexité extrême. Il avait dix fois mis la main derrière l'oreille, s'était fait répéter vingt fois chaque phrase, et y voyait moins clair que jamais. Et puis, pas de précédent à suivre, pas d'autorités à consulter. La jurisprudence était muette, Troplong ne disait mot. Demolombe lui-même avait glissé sur la difficulté dans son traité pourtant si complet du contrat de mariage. Quelle loi appliquer, quel arrêté invoquer? Fallait-il ordonner une enquête, prescrire une descente sur les lieux, mettre l'animal en fourrière et nommer des experts ès-canaris pour procéder à la vérification des faits et dresser procès-verbal après serment dûment prêté? Dans toute la Pasicrisie, pas un jugement, pas un arrêt qui eût visé un cas si nouveau, si exceptionnel, si extraordinaire. | |
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Faute de preuves, le capitaine allait succomber, la mauvaise foi triomphait, le dol l'emportait sur le droit, lorsque enfin le greffier, ému de la douleur du capitaine, ôta son bonnet et, après avoir obtenu la permission du juge, prit la parole. Or, ce greffier était un homme d'expérience et de sens pratique, se connaissant en oiseaux, pour avoir été président de trois sociétés de pinsons, membre d'un club de merles et correspondant de plusieurs académies colombophiles. ‘Apportez,’ dit-il au paysan d'une voix forte et sonore, ‘apportez l'oiseau litigieux devant le tribunal, et vous, capitaine, déposez la cage sur le bureau, la justice se prononcera sur le vu et l'exhibition des pièces.’ Un long silence suivit ces paroles, chacun sentait qu'il allait se passer de grandes choses, les poitrines étaient haletantes, les bouches ouvertes. Le greffier prit l'oiseau dans la main, l'approcha lentement de la cage, le posa sur le seuil, et aussitôt Fifi, car c'était bien lui, prit | |
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son élan, d'un bond fut sur le perchoir, secoua ses plumes, battit des ailes et remplit la salle de ses piet piet retentissants. ‘La cause est entendue,’ dit majestueusement le greffier; ‘l'oiseau connaît sa cage; emportez-le, capitaine, la loi vous l'adjuge.’ Le public éclata en vifs applaudissements, le juge opina du bonnet et se fit expliquer après l'audience ce qui venait de se passer. M'est avis que ce jugement d'un simple greffier mérite d'être conservé. Il a sa place marquée à côté de ceux de Salomon et d'Ésope, et ce serait manquer à mon siècle que de ne pas le conserver à l'admiration des sages et aux méditations des jurisconsultes. |
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