| |
| |
| |
Sur la rime
Épître familière a un ami
Tu veux, mon cher, que sur la Rime
En cette épître je résume
Je m'exécute, quoiqu'en somme
Qu'une besogne dont va rire
La Rime, en butte aux vents contraires,
Mais, tu le sais, ma sympathie
Plus d'un grand homme, esprit morose,
Je le renvoie à La Fontaine:
Que la Gascogne l'ait vu naître,
Il sent son renard d'une lieue -
| |
| |
Quoi qu'il en pense et qu'il en die,
Et m'est avis que tel burgrave,
Pour dix chansons, pas mal pensées
S'ils le pouvaient, de leur bagage
Puisque toujours capricieuse,
De ses lauriers la Mode honore
Des rimailleurs puisqu'un cénacle
Quoique leur pied, dont rit Saturne,
Contre le rythme on vocifère:
Car les joueurs et leur délire,
Aux bataillons de cette armée,
Point n'est mauvais - et le tempe presse -
| |
| |
Si la critique à cette cible
Bien volontiers - le but m'allèche -
Est-ce assez de tenir boutique
D'étaler pourpre, or, écarlate,
Est-ce assez d'aller par la ville,
Montrant, sans leur vive étincelle,
Suffit-il, pour se croire illustre,
Flanqué de deux ailes de gaze,
On ait, en maillot polychrome,
En culbutant, pour tout spectacle,
Suffit-il de dire à la Muse:
De se jucher à côté d'elle,
| |
| |
A ceux qui croient par ce manège
J'ose tout haut, de leur rancune
La forme est reine; mais la phrase
Vont chatoyant des pieds au faîte,
La strophe où brille et s'extasie,
Avec ses arcs-en-ciel d'images
Qui pille Tyr, Ophir, Golconde,
Qui même, pour fouler les dalles,
Que me veut-elle, l'insensée,
Je préfère àla rime riche,
Celle qui laisse en son allure
| |
| |
Qui, sans grands airs de souveraine,
Couronne, boucles, pendeloques,
S'en vient à nous - heureux message -
Vêtue en robe de Suissesse,
Qui, sur le front sa métaphore,
Nous garde au fond de sa corbeille,
Et même en battant la campagne,
Une idée, ou sublime ou tendre,
Mais quand la rime à mon oreille
Que nous rabâchent dans leur cage,
Quand, dédaignant la mélodie
Savant, mais vide et monotone,
| |
| |
Quand de son arc la flèche ailée,
A peine en délaissant la corde,
Lorsqu'au bout d'un vers sans cadence,
D'un ardoisier qui dégringole
Quand vers le ciel son escalade,
Entasse un Pélion qui roule,
Et qu'elle accouche au bout du compte,
Sans mettre bas, après ses veilles,
J'aime une coupe où se dessine
Femme, lotus, ange, aigle ou cygne,
Mais quand mon hôte sans vergogne,
Au lieu de ta pure Hippocrène,
| |
| |
Vidrecome, hanap ou buire,
Et, verre en main, je sors de table
Que sont les vers, triste ramure
Sans ta corolle dont l'arôme,
Embaume en leurs tombes lointaines
Mieux vaut cent fois, mieux vaut la prose,
De vos grands jardins solitaires
[La Revue Belge 15-11-1892]
|
|