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Les chimères
à Madame Betty Dorieux
...Leur prière importune
Crie et demande au del de changer leur fortune;
Elle change, et bientôt, versant de nouveau pleurs,
Ils trouvent qu'ils n'ont fait que changer de malheurs.
André Chénier.
Sur tes frais rameaux, arbre de ma vie,
Parmi les rayons de mon gai printemps,
Lorsque j'écoutais, l'oreille ravie,
Joyeux rossignols, chanter mes vingt ans;
Quand j'étais couché sous ton vert ombrage,
Humant les parfums de ta sève en fleur,
Sans rien soupçonner du funeste orage
Que nous réservait le vent du malheur;
Oh! que j'en ai vu de belles Chimères
S'abattre sur moi dans l'air étonné,
En me souriant, comme font les mères
Au charmant réveil de leur premier-né!
Comme elles chantaient, les enchanteresses,
A rendre jaloux un blanc séraphin,
De bleus paradis, de pures ivresses,
D'éternel bonheur et d'amour sans fin!
Avec leurs yeux verts comme l'émeraude,
Et leurs seins d'ivoire, et leurs cols nerveux,
Dans l'azur céleste, où va leur maraude,
Faisant ondoyer l'or de leurs cheveux,
Je les vois encor: leur vol, en cadence,
De mon coeur suivait chaque battement;
Le soleil pour lustre éclairait leur danse,
Qui se démenait sous le firmament
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Je les écoutais, oublieux de l'heure,
Me laissant bercer comme un nourrisson
Que dans sa couchette, aussitôt qu'il pleure,
Sa nourrice endort avec sa chanson.
L'une me disait: - ‘Je suis la Jeunesse;’
Une autre, sa soeur: - ‘Je suis la Santé;
Rien que mon regard, - veux-tu la richesse? -
Change en diamants le sable argenté.’
Une autre disait: - ‘Mon nom, c'est la Joie;
Qu'il tienne ma coupe, et l'homme est divin;
Devant ses sentiers tout brille et rougeoie;
Dans l'eau du torrent il puise du vin.’
L'Aurore a tramé d'azur et de flamme
Sa robe neigeuse à ses purs fuseaux;
Mai composera votre épithalame
Avec les chansons des plus doux oiseaux.
Les fleurs lui diront: - ‘Es-tu satisfaite?’
Un couple royal le serait à moins.
Le soleil fera Longchamps pour la fête;
Eros et Psyché seront vos témoins.
Viens-nous-en, partons! Dans l'air qui t'enivre,
Pressens le bonheur qui va te charmer;
Ce n'est qu'avec nous qu'on apprend à vivre;
Ce n'est que chez nous que l'on peut aimer.
Plus tard, avec Faust, au pays des mères,
Pars sur le manteau, si le coeur t'en dit.
Ainsi me chantaient ces belles Chimères,
Quand j'avais cet âge où tout resplendit.
Que j'étais heureux! Comme Polycrate,
J'aurais pu jeter ma bague au reflux,
Et dire à la mer: - ‘Destinée ingrate,
Quels que soient tes vents, je ne te crains plus!
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Dresse tes écueils, féconds en naufrages;
De nuages noirs trouble mes cieux clairs;
Va! j'ai plus de ports que tu n'as d'orages;
J'ai plus de rayons que tu n'as d'éclairs!’
Ainsi je rêvais, en laissant mon âme
Dormir sous la brise au souffle embaumé,
Harpe éolienne où, plein de cinname,
Toujours murmurait un nom bien-aimé!
Et je vois encore, un doigt sur sa bouche,
- Triste et cependant heureux souvenir! -
Mon riant passé bercer dans sa couche,
Comme un frère aîné, mon jeune avenir.
O mes visions, mes fraîches kermesses,
Fêtes de mon coeur, naïf apprenti,
Avec vos chansons, avec vos promesses,
M'avez-vous trompé, m'avez-vous menti!
Que t'ont pu servir ta persévérance
Et ta longue attente, ô coeur désolé?
Un jour, pour jamais, la belle Espérance,
L'Amour éternel, tout s'est envolé!
Que m'en reste-t-il? - Ce qu'après l'orgie
Il reste au buveur: le lustre au plafond,
Lugubre témoin, la nappe rougie,
La coupe vidée, et la lie au fond!
Gardons de toucher nos chères idoles,
L'or, le plus souvent, nous en reste aux mains
Le vent assez tôt, sur leurs girandoles,
Passe, et de cailloux couvre nos chemins!
Malheur au mortel qui lève tes voiles,
Redoutable Isis, sainte Illusion!
Leurs tissus charmants sont brodés d'étoiles;
Derrière est la Nuit, sombre vision!
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- ‘Trêve aux songes d'or!’ m'a dit la Sagesse,
‘Presse dans tes bras la Réalité;
La Nature est là, qui te fait largesse
De sa table, où nul n'est déshérité.’
Les autres chantaient: - ‘Beauté, Fantaisie,
Liberté, Victoire aux bruyants clairons,
Désir, Espérance, Amour, Poésie,
Voilà les drapeaux que nous arborons!’
Je les vois encore; oh! la belle troupe!
Chacune, agitant ses bleus ailerons,
Murmurait tout bas: - ‘Monte sur ma croupe;
Jusqu'au bout des cieux nous nous en irons!
Nous nous en irons au pays des fées,
Où le coeur toujours garde ses vingt ans;
Là sur un autel, sous de verts trophées,
Rit parmi les fleurs l'éternel Printemps.
Palais de cristal, ponts aux mille arcades
De marbre éclatant, bleui de saphir,
Où des fleuves d'ambre en vastes cascades
Roulent, charriant les trésors d'Ophir;
Jardins suspendus des Sémiramides,
Magiques lointains peuplés d'Alhambras,
Parthénons neigeux, Babels, pyramides,
Découpant l'azur des blancs Saharas!
Vertes oasis aux longues savanes,
Dans leur mer de sable îlots gracieux,
Couchants où l'on voit fuir les caravanes
Des anges qui vont chercher d'autres cieux,
Voilà le pays fortuné des rêves!
Là, de frais bosquets pleins de floraisons,
Autour des lacs bleus, couronnant les grèves,
De chants inconnus bercent les saisons.
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En ce beau séjour, merveilleux empire
Des Titanias et des Obérons,
Bienheureux sujets du divin Shakespeare,
A leurs noces d'or nous assisterons.
Vois-tu le palais? - Vois-tu les convives?
Un peuple d'amants, la coupe à la main,
Puisant le bonheur à des sources vives,
Célèbre à l'envi l'éternel Hymen.
Le choeur étoilé des Heures s'avance
Autour de la table, où luit le festin,
Leurs clepsydres d'or pleines de Jouvence,
Qui rit de la mort et du noir Destin.
Laisse débiter la sagesse austère,
Sur l'art d'être heureux son triste sermon:
Nous avons volé la clef du mystère
Au charmant coffret du roi Salomon.
Viens, suis-nous là-haut! Partons avec celle
Dont le nom te fait sourire et pleurer;
Nous avons, au prix de notre escarcelle,
Acquis le trousseau qui doit la parer.
Pour son diadème en perle irisée,
Joyau fabuleux du gouffre marin,
Pour orner son cou de blanche épousée,
L'ondine a fourni son plus riche écrin.
Un lys, une rose, un soir vers la brune
Se mouraient au coin d'un bois de sapins:
Le sylphe Ariel, au clair de la lune,
Pour elle en a fait ses deux escarpins.
Qu'importe, en passant, qu'un orage y tonne
Et détruise aussi quelques fleurs d'été!
A ton coeur qui saigne, elle offre l'automne
Où, sous le pressoir, jaillit le Léthé.
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A ses doux conseils sache condescendre;
Vois, après l'hiver, avril refleurir.
L'Amour, ce phénix, renaît de sa cendre;
Pour revivre encor, laisse-le mourir!’
J'en ai fait l'essai, las du sort contraire,
En me raidissant comme un stoïcien;
L'oeil en pleurs, j'ai mis l'arbre funéraire
Sur la tombe où dort mon amour ancien.
Remède inutile au mal que j'endure!
A l'ombre du saule, aux tristes réseaux,
Je vois revenir la même verdure,
J'entends roucouler les mêmes oiseaux.
J'avais sur le puits de mon infortune,
Roulé lentement le roc de l'oubli;
Vains efforts! des pleurs la source importune
A travers le bloc filtre et rejaillit!
J'avais dit: - ‘Fuyez, visions lointaines!
Fuyez, souvenirs des beaux jours défunts!’
J'ai rempli ma coupe à d'autres fontaines:
Le vase a toujours ses anciens parfums.
A quoi bon changer? - La même amertume
Tôt ou tard flétrit nos voeux superflus;
Bonheur, grain d'encens que le feu consume,
A peine allumé, tu n'es déjà plus!
Aux cendres du coeur demeurons fidèles;
Ne réveillons pas nos âpres désirs;
Le temps, qui s'enfuit, d'un même coup d'ailes
Fustige en passant regrets et plaisirs.
Aimons nos douleurs! Le Destin morose
Réserve à chacun sa goutte de fiel;
Sachons pardonner l'épine à la rose,
Le dard à l'abeille, en songeant au miel.
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Trahi, déchiré, lorsque le coeur saigne,
A quoi sert l'orgueil, ce masque d'airain?
Le sort nous héberge à la même enseigne,
Quoi que nous ayons, bonheur ou chagrin.
Et puis, du passé nul ne se délivre;
Dégoûté de tout, le front abattu,
On a beau tourner les feuillets du livre;
Partout il nous dit: - ‘Me reconnais-tu?’
L'homme est ainsi fait: devant la bruine
Qui voile à ses yeux l'obscur avenir,
Il veut oublier; - sur chaque ruine,
Toi, tu lui souris, fleur du souvenir!
Et toujours, malgré nos peines amères,
Les pleurs, les soucis qui troublent nos jours,
Rêves de jeunesse, aimables Chimères,
A vous, quoi qu'on fasse, on revient toujours.
[1881; L'Impartial de Nice, 30-10-1887].
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