De Zeventiende Eeuw. Jaargang 12
(1996)– [tijdschrift] Zeventiende Eeuw, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Christiaan Huygens, les Pays-Bas du Sud et la principauté de Liège
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Grégoire de Saint- Vincent et l'école jésuite de mathématiquesLe jésuite gantois Grégoire de Saint-Vincent (1584-1667) est le premier des correspondants belges du grand Huygens, le plus âgé d'entre eux et le plus ancien dans l'ordre chronologique de la correspondance de Huygens.Ga naar eind3. Il a étudié les mathématiques avec Clavius au Collège romain où il fut le condisciple de Christoph Grienberger et Paul Guldin. Il s'y trouvait au moment de cette séance mémorable où Clavius et ses disciples confirmèrent nombre d'observations que Galilée avait faites à l'aide de sa lunette astronomique.Ga naar eind4. De retour dans les Pays-Bas méridionaux, Saint-Vincent inaugura en 1617 un | |
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cours de mathématiques spéciales au collège d'Anvers. Cette école jésuite brillera pendant près de cinquante années entre Anvers et Louvain.Ga naar eind5. Grégoire y formera lui-même de nombreux élèves, parmi lesquels nous distinguerons Jean-Charles della Faille, Jean Ciermans, Theodore Moretus, André Tacquet ou Gilles-François de Gottignies. Ils s'illustreront eux-mêmes comme professeurs à Louvain, Anvers, et aux quatre coins de l'Europe, à Madrid, Lisbonne, Graz ou Rome. Le père Ferdinand Verbiest, missionnaire en Chine, fondateur de l'observatoire de Pékin, est issu de cette école. Il fut en effet l'élève de Tacquet. Après avoir été le maître de cette école, à Anvers puis Louvain, Grégoire de Saint-Vincent se rendit à Rome en 1625, puis à Prague de 1628 à 1632. Il revint enseigner les mathématiques au collège de Gand et résidera en cette ville jusqu'à sa mort en 1667. Bien que malade, et ayant subi la perte d'une partie de ses manuscrits à Prague lors du sac de la ville par les Suédois en 1631, il ne cessa de s'appliquer à la géométrie et de compter dans la vie mathématique de nos régions par l'influence qu'il exerça sur ses disciples et par l'accueil qu'il réservait à tout homme curieux de science de passage à Gand. En 1647, Grégoire de Saint-Vincent faisait paraître à Anvers l'oeuvre à laquelle il vouait sa vie depuis les années 1620, son Opus Geometricum quadraturae circuli et sectionum coni, appelée aussi Problema austriacum, plus ultra, quadratura circuli. Ce titre exprime de façon tapageuse les prétentions de l'auteur à résoudre la quadrature du cercle. Cette résolution constituait pour lui l'essence même de son travail. Elle ne résista pas à la critique de ses contemporains, ce qui eut pour effet de reléguer à l'arrière-plan le reste de l'ouvrage. Quand ils ne furent pas désabusés par un premier examen, ni rebutés par la masse peu maniable du volume et la forme archaïque de l'expression mathématique, les mathématiciens les plus avertis l'ont apprécié à son juste prix, pour les trouvailles importantes qui s'y trouvaient et qui constituaient autant de contributions au développement du calcul des limites.Ga naar eind6. Huygens fut l'un d'eux, qui repéra très précisément la faille de la quadrature de Saint-Vincent mais ne cessa de manifester par la suite l'estime qu'il portait au jésuite gantois et à son travail. C'est ainsi qu'il en recommandera la lecture à Leibniz. Celui-ci reconnaîtra qu'elle fut une de ses sources dans le développement de son calcul infinitésimal.Ga naar eind7. C'est tout jeune homme encore, en 1651, au moment de publier ses premières découvertes géométriques, que Huygens se livra à un examen approfondi de la quadrature de Saint-Vincent. Il mit en évidence le côté faible de la démonstration et s'apprêtait à en publier la critique quand son père lui conseilla d'écrire d'abord à l'auteur. Ce que fit Christiaan, le 6 octobre 1651,Ga naar eind8. dans une lettre où il se montrait à la fois soucieux de se ménager l'amitié du vieux jésuite, âgé alors de soixante-sept ans, mais aussi très sûr de son analyse, pressé d'en découdre avec une personnalité de renom et de voir reconnaître son mérite par la communauté scientifique. Saint-Vincent répondit bientôt.Ga naar eind9. Huygens n'était pas le premier à critiquer sa quadrature. Saint-Vincent avait engagé ses adversaires à publier contre lui. Or ils n'en avaient encore rien fait. Que son jeune contradicteur publie donc. Le défi était lancé, et Huygens l'a relevé avec le succès qu'on sait.Ga naar eind10. Son ‘Examen de la cyclométrie publiée en 1647 par Grégoire de Saint-Vincent’ est un modèle de controverse lumineuse, serrée, courtoise. Huygens a envoyé l'ouvrage à Gand dès décembre 1651.Ga naar eind11. Dans l'échange de lettres qui suivit, on le voit | |
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attendre en vain la capitulation de Grégoire ou une réponse à ses objections. Il s'impatiente et se voit reprocher son impatience. La controverse marque le pas après la visite que le jeune Hollandais rendit à Saint-Vincent en juillet 1652, où le quadrateur, refusant d'avoir tort, promettait une réplique de son disciple François-Xavier Aynscom à Huygens et à ses autres adversaires.Ga naar eind12. Pendant ces quelques mois, la correspondance de Huygens semble tout entière préoccupée par ce sujet. D'ailleurs, il faut souligner alors la place dominante des correspondants belges, presque seuls à côté de Frans van Schooten et de la famille de Huygens. A la correspondance échangée avec Saint-Vincent s'ajouta bientôt celle qui naquit à l'occasion de la polémique avec d'autres mathématiciens de nos régions dont Huygens s'était montré soucieux de quérir l'approbation, et en premier lieu parmi ces mathématiciens les élèves de Grégoire. L'un d'eux, notamment, Alphonse-Antoine de Sarasa (1618-1667)Ga naar eind13. avait défendu la quadrature de son maître contre les critiques du P. Mersenne.Ga naar eind14. Huygens avait reconnu les mérites de l'ouvrage, et il destina à Sarasa un exemplaire de sa propre critique. Sarasa fit part de son jugement à Huygens dans la lettre - unique semble-t-il - qu'il lui a alors adressée.Ga naar eind15. Il était élogieux en ce qui concerne la première partie de l'ouvrage où il voyait son jeune correspondant s'occuper de la quadrature des sections coniques en marchant sur les traces de Jean-Charles della Faille, autre élève de Grégoire. D'autre part, il se montrait réservé sur l'autre partie et il reprochait à Huygens de ne s'attaquer qu'à une seule des quatre manières employées par son maître pour quarrer le cercle. Huygens lui réponditGa naar eind16. qu'il se tenait pour victorieux si sa critique à la première manière était bien fondée. Les rapports épistolaires entre les deux hommes se limitèrent là, même si Huygens prit encore soin de lui envoyer quelques-unes de ses publications, et de le visiter lors de son passage à Bruxelles en octobre 1660. Elève lui aussi de Grégoire de Saint-Vincent, André Tacquet (1601-1660) était devenu à son tour professeur de mathématiques au collège de Louvain.Ga naar eind17. Il s'était acquis quelque renom par son Traité des corps cylindriques et annulairesGa naar eind18. ouvrage qui permit quelques années plus tard à Blaise Pascal d'affiner sa méthode des indivisibles.Ga naar eind19. Christiaan avait lu et apprécié cet ouvrage. Il lui importait donc de connaître l'avis de Tacquet qui fut ainsi un des destinataires de l'Examen de la cyclométrie. Tacquet ne donna son sentiment sur la critique de Huygens que lorsqu'il s'en vit à nouveau pressé à l'automne 1652.Ga naar eind20. Et s'il donnait alors raison à Huygens, il prenait en même temps soin de souligner l'admiration qu'il portait à l'oeuvre de son maître. La quadrature du cercle ne fit pas seule l'objet de leur correspondance. Une question de logique donna lieu à un curieux échange. Dans un programme de thèse dont Tacquet avait présidé la soutenance à Louvain le 3 septembre 1652,Ga naar eind21. se trouvait une thèse intitulée ‘nous prouverons par des exemples nouveaux, tirés de la géométrie que du faux on peut déduire directement le vrai’. C'est en effet parfois la forme que peut prendre le raisonnement par l'absurde.Ga naar eind22. Mais en utilisant le terme ‘directement’, Tacquet donnait à sa proposition une forme paradoxale qui intrigua Huygens. Après en avoir demandé l'explication à son maître van Schooten, et être demeuré insatisfait, le jeune Christiaan s'adressa sur ce sujet à l'auteur lui-même.Ga naar eind23. Les rapports entre Huygens et Tacquet ne se limitèrent pas là. Tacquet, qui luimême ne se distinguera plus vraiment que par le succès extraordinaire que connu- | |
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rent ses manuels scolaires,Ga naar eind24. reçut en hommage l'Horologium de Huygens et son Système de Saturne. Il félicitera chaleureusement leur auteur. Le jésuite tenta enfin de convertir son ami protestant.Ga naar eind25. La réponse de Huygens reste une des rares traces de ses sentiments à l'égard de la religion. Les raisonnements théologiques sont loin d'avoir la rigueur des démonstrations géométriques. En matière de foi, il faut sans doute attendre le secours de l'Esprit-Saint. Celui-ci ne lui a rien suggéré. Pourquoi donc quitterait-il alors la religion dans laquelle il a été élevé par ses parents?Ga naar eind26. Tacquet ne survécut que quelques semaines à la visite que Huygens lui avait faite à Anvers au cours de l'été 1660. Pour en revenir à la quadrature du cercle, Christiaan Huygens avait aussi cherché à faire parvenir sa critique à Jean-Charles della Faille (1597-1652).Ga naar eind27. Il la lui destinait à double titre sans doute. D'une part, parce qu'il avait été lui aussi l'élève de Saint-Vincent, mais surtout, parce que dans la première partie de son ouvrage, il déployait des méthodes semblables à celles de della Faille pour trouver les centres de gravité des sections coniques, et avait cité l'ouvrage du jésuite flamand avec beaucoup d'éloges.Ga naar eind28. Mais celui-ci était alors en Espagne et ne sut probablement jamais rien de l'estime qu'éprouvait pour lui le jeune mathématicien hollandais, puisqu'il est décédé à Barcelone en 1652. A côté des mathématiciens jésuites, Christiaan approcha encore au sujet de sa critique Gérard Van Gutschoven (1615-1668).Ga naar eind29. Au cours de l'été 1652, Huygens avait appris de Jacques Edelheer, syndic de la ville d'Anvers, que le professeur de mathématiques de l'Université de Louvain s'était prononcé en sa faveur, et il aurait souhaité le voir confirmer son jugement par écrit.Ga naar eind30. Van Gutschoven se fera toujours prier en vain, ce qui n'empêchera pas Huygens de mentionner le jugement favorable de cette autorité lorsqu'il imprimera ses nouvelles pièces contre Saint-Vincent.Ga naar eind31. Revenons à Saint-Vincent, justement. C'est en effet pour demander des nouvelles de l'apologie que devait préparer François-Xavier Aynscom que Huygens reprit, après deux années de silence, l'initiative de la correspondance avec Saint-Vincent. L'apologie a été retardée par la maladie, elle ne paraîtra qu'en 1656.Ga naar eind32. En attendant, c'est un ami de Prague, Gottfried Aloys Kinner von Löwenthurn, qui a pris la défense de la deuxième quadrature de l'Opus geometricum.Ga naar eind33. Et Huygens d'écrire à l'auteurGa naar eind34. et à Saint-Vincent la lacune qui continuait à fausser la démonstration. Un nouveau silence de deux ans suivit, avant la parution de l'ouvrage d'AynscomGa naar eind35. qui prenait la défense de son ancien maître tout à la fois contre Huygens, Adrien Auzout, Alexis Sylvius et Vincent Léotaud. Une réponse du mathématicien hollandais sous la forme de lettre imprimée ne se fit pas attendre. Elle parut en août 1656. Jusqu'alors, les rapports entre Huygens et les jésuites belges étaient restés courtois. Il faut indiquer, en particulier, que la polémique à propos de la quadrature du cercle, qui sous-tend la correspondance pendant ces premières années, n'avait pas empêché Huygens et Saint-Vincent de se montrer l'intérêt qu'ils portaient chacun aux travaux de l'autre, ni de se manifester une estime réciproque. La réponse de Huygens à l'apologie du disciple de Grégoire de Saint-Vincent est au contraire plutôt cinglante. A côté d'une réfutation mathématique, elle décoche quelques traits au maître de Gand et à son disciple. Le trait le plus ravageur oppose le jugement sévère que Descartes avait porté contre la quadrature de Saint- | |
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Vincent (dans une lettre à Van Schooten) et les éloges que lui avait décernés Aynscom.Ga naar eind36. Une des raisons de ce changement d'attitude se trouve semble-t-il exposée dans une lettre de Huygens à Roberval:Ga naar eind37. ‘Un disciple du Père Gregorius à Sancto Vincentio nommé Pere Ainscom m' envoyé un traité dont il est auteur, lequel il oppose à tous ceux qui ont écrit contre la quadrature dudit Père Gregorius. J'ai été fort fâche de voir dans ce livre une lettre de monsieur Descartes qui vous fait injure auprès de ceux qui ne savent pas que vous étiez si grands ennemis. Quand je répondrai à ce jésuite, j'alléguerai une lettre du même Descartes dans laquelle il ne condamne pas seulement la dite quadrature mais davantage assure que tout le grand volume du Père Gregorius ne contient rien de bon qu'on ne saurait mettre en une page ou deux afin qu'ils ne se fient pas trop sur l'autorité qu'ils opposent à la vôtre’. Quoiqu'il en soit, cet ouvrage semble avoir jeté un froid sur les relations entre Huygens et les jésuites belges. Elles suivront encore le fil des publications de Huygens, l'Horologium en 1658, le Système de Saturne en 1659 qui se verra approuvé par Saint-Vincent, Tacquet, et même, quoique du bout des lèvres, par Guillaume Van Hees ou Hesius, recteur du collège d'Anvers; la défense du système de Saturne contre le duo Divini-Fabri, la Brevis assertio en 1660, jusqu'au Kort onderwijs en 1665. Après 1660, Grégoire de Saint-Vincent reste le seul de ce milieu à correspondre avec Huygens, applaudissant à ses découvertes, et transmettant ça et là des nouvelles de Rome, reçues de Gilles-François de Gottignies (1630-1689),Ga naar eind38. professeur de mathématiques au Collège romain. La dernière lettre du jésuite est datée du 23 janvier 1665.Ga naar eind39. Il s'éteignait à Gand deux ans plus tard. En réalité, la mort de Tacquet, survenue l'année même où Huygens lui avait rendu visite en 1660, avait été le signe avant-coureur du déclin de l'école mathématique créée par Saint-Vincent, et les dernières contributions mathématiques de quelque valeur qui en sont issues sont encore des oeuvres posthumes de ses deux meilleurs représentants, l'Opus geometricum ad mesolabium de Grégoire de Saint-VincentGa naar eind40. et les Opera mathematica d'André Tacquet.Ga naar eind41. | |
Gérard Van Gutschoven, professeur à l'Université de LouvainEn 1668, s'éteignait à son tour un autre des correspondants belges de Huygens évoqué plus haut, Gérard van Gutschoven.Ga naar eind42. Né en 1615, licencié en médecine à l'Université de Louvain en 1635, Van Gutschoven séjourna quelques temps dans les Provinces-Unies où il fréquenta Descartes. En 1639, il fut suppléant de Jean Storms ou Sturmius, professeur de mathématique à Louvain, et lui succéda en 1646. En 1659, il fut nommé professeur d'anatomie, de chirurgie et de botanique, et en 1661, président du collège de Bruegel (c'est-à-dire du collège des médecins). Il se fit apprécier de ses contemporains moins par ses connaissances scientifiques que par ses aptitudes pratiques, son esprit mécanique et cartésien. Il fut de fait à l'origine de l'introduction du cartésianisme à l'Université de Louvain en ce qui concerne à la fois les mathématiques et la médecine. Van Gutschoven semble avoir connu Frans Van Schooten lors de son premier séjour en Hollande et être resté en contact avec lui. C'est par lui sans doute qu'il fit la connaissance de Christiaan Huygens vers 1647, et lorsque ce dernier voulut | |
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envoyer à Van Gutschoven son premier travail de géométrie, c'est encore Van Schooten qui l'informa de la position du professeur de l'Université de Louvain.Ga naar eind43. Van Schooten précisément, s'inquiétera en 1656 de voir Huygens risquer d'aliéner les jésuites à la cause cartésienne en publiant le jugement sans appel de Descartes contre le grand ouvrage de Grégoire de Saint-Vincent. C'est peut-être bien dans le même souci de ne pas mécontenter les jésuites que Van Gutschoven refusa toujours, malgré l'insistance de Huygens, d'exprimer par écrit son jugement sur la quadrature de Grégoire. Les motifs allégués par le mathématicien louvaniste, à savoir qu'il avait lui-même révisé une partie du manuscrit et que les jésuites lui avaient demandé d'attendre qu'ils lui eussent donné des éclaircissements, témoignent au moins du souci de les ménager.Ga naar eind44. Les idées cartésiennes de Van Gutschoven étaient bien connues de Van Schooten et de Huygens, et ce sont eux qui nous apprennent que le professeur de Louvain préparait des commentaires aux Principia de Descartes, et qu'il s'appliquait à traduire en latin et à commenter la Dioptrique.Ga naar eind45. A cela s'ajoute que Huygens avait pu admirer, à l'été 1652, la qualité des lentilles des lunettes astronomiques fabriquées par Van Gutschoven pour Jacques Edelheer à Anvers. Aussi, lorsqu'il souhaita confectionner ses propres télescopes, Huygens s'adressa au mécanicien louvaniste afin d'en connaître les secrets de fabrication: quelle est la matière des moules, quels sont les procédés qui donnent aux lentilles une sphéricité parfaite, quel sable sert à les tailler, quelle colle les fait adhérer à leur monture, comment fabriquer le papier qui sert à les frotter, quels auteurs se sont exprimés sur le sujet?Ga naar eind46. En réponse, Van Gutschoven écrivit un petit mémoire où il détaillait les procédés techniques de la confection des lentilles de télescopes, et indiquait les auteurs à consulter.Ga naar eind47. Huygens lui en fut reconnaissant et considéra lui être en partie redevable des découvertes astronomiques que ses nouvelles lunettes d'approche lui permirent de faire.Ga naar eind48. Mise à part une lettre d'accompagnement jointe par Huygens à sa lettre imprimée contre l'ouvrage de Aynscom, il ne semble pas y avoir eu de correspondance entre Huygens et Van Gutschoven au-delà de 1653. Nous chercherions vainement dans la correspondance de Huygens des échos de l'activité déployée ultérieurement par Van Gutschoven en faveur du cartésianisme, depuis ses objections à l'Ophtalmographie du célèbre professeur Vopiscus Fortunatus Plempius en 1659 à l'illustration du Traité de l'homme de Descartes édité par Clerselier en 1664. Son nom apparaîtra cependant à plusieurs reprises dans les lettres échangées entre René-François de Sluse et Huygens. Ami des deux mathématiciens, il semble bien avoir été à l'origine de la réputation qu'ils s'étaient acquise l'un auprès de l'autre avant que ne commence leur commerce épistolaire. Van Gutschoven avait fait l'éloge de Sluse auprès de Van Schooten et Huygens, tandis qu'il avait fait connaître les travaux de Huygens, en particulier son ouvrage sur la Lune de Saturne, à René-François dont il fut, lors de ses passages à Liège, le compagnon d'études mathématiques et astronomiques.Ga naar eind49. | |
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René-François de Sluse, géomètre liégeoisIl n'est pas sans intérêt de savoir que Sluse (1622-1685)Ga naar eind50. a reçu une formation de juriste. Il se destinait à une carrière de curialiste et c'est pourquoi il a vécu pendant une dizaine d'années à Rome, de 1642 à 1652. C'est là, au milieu des disciples de la deuxième génération de Galilée, qu'il prit goût aux sciences, et tout particulièrement aux mathématiques. Avec Michelangelo Ricci et Stefano degli Angeli, Gianantonio Rocca ou Cosimo Brunetti, il a découvert les travaux de Galilée, Castelli ou Torricelli, ceux de Viète et de Descartes, la géométrie des indivisibles de Cavalieri. C'est pour l'oeuvre de Sluse une période capitale à laquelle il rattachera luimême les prémices des trouvailles auxquelles ses contemporains ont attaché quelque prix. Aux mathématiques s'ajoutait la physique, dans laquelle Sluse étudia et expérimenta aux côtés de Raffaello Magiotti, un des derniers disciples romains de Galilée, particulièrement versé en hydrostatique, et qui joua un rôle non négligeable dans l'histoire de l'expérience barométrique italienne. Rentré à Liège contre son gré en 1652, on voit d'abord Sluse animé du désir de partir pour l'Italie, puis abandonner cet espoir pour se vouer à une carrière liégeoise, carrière administrative et politique dans une cité où les sciences sont peu à l'honneur, à l'exception de la chimie et de la médecine seulement cultivées par appât du gain. Totalement isolé dans sa patrie, relié au monde savant seulement par sa correspondance italienne - aujourd'hui perdue - René-François de Sluse va saisir, dans le courant de 1657, deux occasions de renouer avec ses chères études mathématiques. Il reçut alors à Liège la visite de Cosimo Brunetti, son ami florentin proche des jansénistes. Celui-ci incita le chanoine liégeois à correspondre avec Blaise Pascal, servant dans un premier temps d'intermédiaire entre eux. La même année, Constantijn Huygens père, en visite diplomatique à Liège, avait entretenu René-François des travaux de son fils Christiaan, et lui avait remis un exemplaire de la Lune de Saturne. Sluse profita de l'aubaine. Il prit sa plume pour écrire la première des quelque soixante-quatre lettres qu'il devait adresser au mathématicien hollandais entre 1657 et 1668.Ga naar eind51. Cette première lettre donne le ton: avec l'éloge de la Lune de Saturne et l'évocation du problème de la duplication du cube, voilà abordées les sciences astronomiques et mathématiques. Dès lors, et pour deux années sur lesquelles se concentrent plus de soixante pour cent de la correspondance, ces matières seront prioritaires, jusqu'à la parution presque simultanée du Système de Saturne de Huygens,Ga naar eind52. et du Mesolabum de SluseGa naar eind53. précisément consacré à ce problème de la duplication du cube. Il s'agit principalement d'une correspondance mathématique où les deux géomètres se rencontrent sur des terrains qui leur sont chers, perfectionnement de l'application de l'algèbre à la géométrie, étude des différents problèmes de quadrature, de cubature et de détermination des centres de gravité relevant alors de la méthode des indivisibles, plus tard généralisation des méthodes de construction par tangentes élaborées par Descartes, Fermat, Roberval et Torricelli. On peut appliquer tout particulièrement à Huygens ce que René Taton indiquait à l'égard de l'ensemble de la correspondance mathématique de Sluse.Ga naar eind54. S'il a communiqué à | |
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Huygens de nombreux résultats, des procédés de calcul et des idées de recherche, et s'il a été en retour informé rapidement des principales publications et même de l'orientation de divers travaux en cours, il faut noter qu'au cours de tels échanges, les participants, soucieux de protéger leur priorité, ne livrent que rarement les fondements véritables de leurs méthodes de recherche et de démonstration. C'est ainsi qu'il faudra toute la patience d'un Henry Oldenburg pour amener Sluse à livrer enfin, avec la deuxième édition de son Mesolabum en 1668Ga naar eind55. et ses lettres sur les tangentes quelques années plus tard, les ‘secrets’ de ses différentes méthodes.Ga naar eind56. Pour l'heure, les deux correspondants se piquent au jeu, s'échangent problème contre problème, indice contre indice, résolution contre résolution, démonstration contre démonstration. A ce jeu, Sluse est le plus patient et le plus courtois. Modeste, discret, il se livre à la géométrie par jeu, dans les rares moments de loisir que lui laissent ses charges administratives, judiciaires et politiques. Huygens, en revanche, plus proche des ‘professionnels’ de la science, aimerait arriver plus droit au but et s'irrite quelquefois de l'avarice ou des précautions de son correspondant. D'autres mathématiciens sont parfois invités dans la partie, en particulier les Hollandais Van Schooten, Hudde, Van Heuraet et de Witt. En revanche, il faut souligner la discrétion de Sluse sur ses rapports avec Blaise Pascal. S'il a transmis à Huygens les premiers problèmes de Pascal que Brunetti lui avait soumis, si des questions semblables sont traitées dans l'une et l'autre correspondance, si le concours de la roulette est en bonne place dans les lettres échangées au cours de cette période, pas une fois René-François de Sluse n'avouera à Christiaan la nature de ses rapports avec Pascal. Or Jean Mesnard a bien souligné leur caractère exceptionnel et décisif pour les travaux de chacun.Ga naar eind57. Peut-être Sluse lui-même en avait-il soupçonné l'importance au point d'en faire en quelque sorte son jardin secret. A côté de la géométrie, qui constitue véritablement le corps des échanges épistolaires entre Sluse et Huygens au cours des deux premières années, il est aussi question d'optique géométrique, du choc des corps et d'astronomie. Dans ce dernier domaine, on notera que Sluse, totalement dépourvu d'instruments qui lui eussent permis de vérifier les belles découvertes de Huygens, se contentait généralement d'y applaudir, tandis qu'il profita de ses relations avec l'Italie pour servir d'intermédiaire dans la transmission de courrier, de nouvelles ou d'ouvrages entre Huygens et les milieux italiens, avec Ricci, Léopold de Toscane, Hodierna, Campani ou Cassini. Ainsi, en 1660, il sort d'un silence d'un an pour témoigner sa sympathie à Huygens dans la querelle qui l'oppose à Eustache de Divini et Honoré Fabri sur le Système de Saturne. Il est alors confiant dans l'autorité de Huygens quant au système, et présume de l'excellence de ses lunettes parce que le Hollandais en est arrivé à l'art de polir les verres instruit par la théorie, alors que Divini est complètement dépourvu de géométrie.Ga naar eind58. Un nouveau silence suivra pendant deux ans. Lorsque la correspondance reprendra en 1662, et jusqu'à son terme, elle prendra une tournure différente, plus épisodique, plus anecdotique et surtout beaucoup moins géométrique. Il faut indiquer aussi qu'elle est parvenue jusqu'à nous de façon plus lacunaire. De nombreuses lettres écrites par Huygens à Sluse au cours de cette période sont aujourd'hui perdues, et ne nous sont connues que par les sommaires. Huygens tenait encore Sluse au courant de ses travaux, et lui faisait parvenir ses | |
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publications. A côté de la géométrie, à côté de l'astronomie où on distinguera surtout l'observation de la comète de l'hiver 1664-1665 et celle de l'ombre des satellites de Jupiter, de nouvelles préoccupations apparaissent à l'occasion des expériences réalisées à l'aide de la pompe à vide. Une nouvelle fois, Sluse ne possède pas d'instrument. Il fait appel, comme ailleurs pour l'astronomie ou l'hydrostatique, à ses souvenirs romains. Ceci l'a amené à faire part à Huygens de considérations physiques, fait assez exceptionnel de sa part. Son attitude en ce domaine est en effet généralement extrêmement réservée. Il hésite entre les systèmes d'Aristote, mais surtout de Gassendi et de Descartes et il pratique le plus souvent dans les affaires physiques l'‘époché’, la suspension du jugement des sceptiques grecs.Ga naar eind59. Il conclut de cette manière les discussions qu'il a eues avec Huygens sur l'explication de la suspension anomale de l'eau purgée d'air, sur la nature de la glace, et bien plus tôt déjà (1657) sur les règles du choc des corps. A cette occasion, l'un et l'autre s'étaient entendus pour remettre en cause l'autorité de Descartes. Mais tandis que leurs règles ne concordaient pas, ils s'étaient opposés quant à la valeur qu'il fallait accorder à l'expérience. C'est parce que les règles du choc des corps de Descartes ne correspondaient pas à l'expérience que Huygens s'est mis à les suspecter. Il se félicitait en revanche de ses propres règles parce que, disait-il, ‘de quelque façon qu'apparaisse la réalité physique, j'ai cependant des démonstrations certaines, et je ne me suis jamais plu davantage à aucune découverte car elles correspondent de façon exquise à l'expérience’.Ga naar eind60. Quant à Sluse, après avoir considéré qu'il ne fallait pas mépriser l'expérience lorsqu'elle étayait la raison, il soulignait avec Hippocrate combien ‘l'expérience est trompeuse, le jugement difficile à moins que la raison ne la confirme. On sait ce que peuvent, dans cette affaire, les facteurs externes’.Ga naar eind61. Son sentiment est qu'à dire vrai, il est plus facile en physique de renverser que de stabiliser, et ‘quand nous nous sommes tournés de tous les côtés souvent encore il nous faut revenir à cette prudente suspension du jugement’.Ga naar eind62. En vérité, on connaît le génie particulier de Huygens pour appliquer son esprit géométrique aux problèmes physiques. Il avouait à Sluse ‘qu'il avait toujours estimé les plus dignes de contemplation les choses dans lesquelles il n'y avait pas seulement place pour la considération nue et simple des figures géométriques, mais où leur force et leur efficacité étaient appliquées à rechercher une ou l'autre vérité en physique ou ailleurs’.Ga naar eind63. Tâche à laquelle il s'appliqua toujours davantage, s'éloignant de la géométrie pure. Sluse partageait cette opinion que ‘la géométrie devait être appliquée aux autres sciences pour en devenir plus agréable et plus utile’.Ga naar eind64. C'est pourquoi justement, il fallait en reculer les limites autant que possible, ‘car il nous faut une connaissance grande et subtile de la géométrie pour scruter les oeuvres de celui que Platon disait “faire toujours de la géométrie”.Ga naar eind65. Mais comme il existe une moisson à peu près infinie de théorèmes et de problèmes, il faut s'appliquer à des méthodes par lesquelles on résout un très grand nombre du même genre’.Ga naar eind66. Voilà justifié par Sluse luimême son goût pour la géométrie pure et pour la généralisation des méthodes en géométrie. Ces divergences d'intérêt et de méthode expliquent sans doute en partie l'extinction de la correspondance Sluse-Huygens après 1665. En 1666, Sluse ignorait que | |
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Huygens était parti pour Paris.Ga naar eind67. En 1668, Huygens ne réagit pas à l'hommage de la deuxième édition du Mesolabum.Ga naar eind68. Entre 1670 et 1672, ils se mesurèrent sur le problème d'Alhazen par l'intermédiaire du secrétaire de la Royal Society.Ga naar eind69. En août 1673, Sluse reçut l'Horologium oscillatorium sans en remercier l'auteur.Ga naar eind70. Huygens s'en étonnera dans sa dernière lettre à Sluse en février 1674.Ga naar eind71. On s'est interrogé sur les raisons de la fin de cette correspondance. Huygens luimême, au moment de la discussion sur le problème d'Alhazen, croit s'être attiré l'animosité du mathématicien liégeois. Or à peine lit-on sous la plume de Sluse quelque déception de ne pas voir Huygens lui adresser directement ses remarques sur le problème d'Alhazen.Ga naar eind72. M. Taton a expliqué le retrait de Sluse par le sentiment d'être dépassé par les projets récents de la géométrie analytique réalisés grâce à Newton et Leibniz. Si cette raison est valable, à côté des problèmes personnels, familiaux, de santé et de la situation politique de la principauté liégeoise, au milieu des années 1670, elle l'est moins dix ans plus tôt. La correspondance de Sluse avec Oldenburg est là pour témoigner de l'intérêt du chanoine liégeois pour les sciences et de son activité mathématique. Mais on constate, il est vrai, un isolement toujours croissant de Sluse. | |
EpilogueSi nous prenons un peu de champ pour jeter avec Sluse un regard sur la vie scientifique des territoires qui correspondent à la Belgique actuelle, nous sommes bien obligés de reconnaître avec lui que nous nous trouvons à peu près en plein désert. Les quelques personnalités qui comptaient encore dans la vie scientifique de nos régions dans les années 1650-1660 et qu'on rencontre presque toutes dans la correspondance de Huygens sont décédées. Les astronomes qui s'étaient illustrés dans la première moitié du siècle tels que Godefroid Wendelen († 1667) ou Michel-Florent Van Langren († 1675), n'ont pas eu de successeurs. L'école jésuite de mathématiques s'est éteinte avec ses deux ténors, Saint-Vincent et Tacquet. L'Université de Louvain a bien abandonné progressivement le cursus aristotélicien pour adopter une physique d'inspiration cartésienneGa naar eind73. et un laboratoire est équipé en 1669 d'instruments de mathématiques et d'hydraulique.Ga naar eind74. Il s'agit cependant d'enseignement, non de recherche. De plus, toute déclaration tapageuse de ralliement à Descartes ou Galilée se voit aussitôt condamnée. C'est semble-t-il pour avoir proclamé trop haut son attachement à la nouvelle science que le professeur Martin Van Velden se verra condamné par les autorités académiques.Ga naar eind75. C'est dans le cadre de son procès qu'il a fait appel, en 1691, moins à l'autorité scientifique de Christiaan Huygens qu'aux relations diplomatiques de son frère Constantijn.Ga naar eind76. Liège ne dispose d'aucune institution d'enseignement supérieur à l'exception du collège des jésuites anglais qui s'illustrera, avec le père Linus et ses disciples, par la défense des principes de la physique aristotélicienne contre le vide de Boyle et la théorie des couleurs de Newton.Ga naar eind77. Dans la Belgique de cette époque, il n'existait aucune de ces institutions nouvelles, Académie, Société, Observatoire, Jardin des plantes, qui prirent ailleurs le relais des vieilles universités pour faire progresser la science expérimentale. En conclusion, si le jeune Huygens s'est presque naturellement porté vers ses proches voi- | |
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sins dans les premières années de sa carrière, on comprend qu'il se soit progressivement éloigné d'eux au fur et à mesure que sa réputation s'est accrue et lui a permis de prétendre à des relations plus stimulantes avec des personnalités de premier plan de la communauté scientifique européenne, à plus forte raison quand il a bénéficié de cette situation privilégiée qu'il occupa en 1666 à l'Académie des Sciences de Paris. |
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