De Stijl 1 1917-1920
(1968)– [tijdschrift] Stijl, De– Auteursrechtelijk beschermdLa peinture d'avant garde. (Fin)
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Cette hypothèse est absurde au point de vue artistique: car elle impliquerait un arrêt de notre propre mouvement. Or, un artiste, au moment de la création, ne cesse ni de regarder ni de penser, son activité est au contraire poussée au maximum. Sans compter que, à cause même de son unité, tout être vivant est un continu. Il est vrai que, selon Remy de Gourmont, le mouvement, tout en étant continu, ne peut être perçu que discontinu, c'est-à-dire que nous ne pouvons pas le concevoir indécomposable, échappant à la possibilité d'une mesure. Nous le percevons donc dans ses états successifs qui sont les phénomènes. Si le rôle de l'artiste était de représenter l'image accidentelle de ces phénomènes, nous aurions une oeuvre discontinue, non universelle et relative. Mais le rôle de notre art moderne est de chercher et fixer la direction, la finalité, l'étendue du phénomène, en le reliant à tout l'univers, c'est-à-dire à tous les phénomènes dont il n'est pas réellement séparé, et qui appartiennent au domaine de notre connaissance en dehors de toute notion de temps et d'espace. Ce qui nous rapproche de l'idée platonicienne. Le mouvement redevient ainsi ce qu'il est en réalité, une continuité, une synthèse de matière et d'énergie. Car notre art ne veut pas représenter une fiction de la réalité, mais veut exprimer cette réalité telle qu'elle est. Cette réalité esthétique est indéfinissable et infinie, elle n'appartient intégralement ni à la réalité de vision ni à celle de la connaissance, mais participe des deux; elle est pour ainsi dire la vie même, ou la matière pensée dans son action et chaque artiste est le centre de cette action. La discontinuité apparente de nos tableaux est donc, surtout, le résultat de l'inéducation optique de celui qui le regarde et de la mauvaise habitude qu'il a de vouloir y trouver un seul point de vue prospectique. Cependant une raison d'ordre constructif et esthétique nous oblige à séparer effectivement des éléments d'un même objet; ce qui, tout en donnant une apparence de discontinuité, ne veut pas dire de le représenter discontinu. Car nous tâchons d'atteindre le plus possible de pureté qualitative; et sï nous plaçons parfois la couleur, p. ex., en dehors de sa ‘forme locale’, c'est uniquement pour en garder la sensation dans toute sa force. Si nous placions cette même couleur dans sa forme locale, qui peut, comme dans l'exemple du ‘bleu’ de Matisse, être trop petite, nous tomberions dans une expression fausse par défaut ou par surcroîtGa naar voetnoot(l). | |
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Cette séparation est, comme tout dans notre esthétique, d'une extrême logique; car, comme j'ai dit plus haut, nous ne voulons pas représenter l'accidentel, le momentané, mais l'essentiel, l'éternel, et, pour cette raison, lorsque un objet se présente à notre esprit, ce sont, avant tout, ses qualités essentielles que nous voyons, c'est-à-dire les différentes perspectives qui constituent sa forme totale, ou sa couleur. Au sujet de celle-ci le fait de la voir à part, de la projeter, pour ainsi dire, en dehors de sa forme, ne lui ôte pas son importance; au contraire, elle devient ainsi une dimension. C'est souvent le cas de Matisse et des recherches personnelles de Zarraga, dont la construction va de la couleur à la forme, et non de la forme à la couleur. Ce qui concorde avec ce que disait Cézanne: ‘Il faut peindre d'abord et dessiner ensuite’Ga naar voetnoot(l). Et quant aux autres ‘qualités quantitatives’, poids, transparences, etc., si on les exprimait dans une forme locale de l'objet, elles perdraient toute leur vitalité et leur valeur universelle, et prendraient la valeur descriptive de simples échantillons de matière. J'ai trouvé la confirmation scientifique de cette vérité intuitive dans le ‘Rapporteur esthétique’ de M. Charles Henry: ‘La sensation visuelle se décompose en trois fonctions: sensation lumineuse, sensation de couleur, sensation de forme’. Ces trois fonctions constituent trois directions différentes de notre faculté de perception. M. Charles Henry, qui synthétise tout mouvement d'un être vivant par des ‘cycles’, représente: ‘la sensation Lumière sur le 1er tiers du cycle, à gauche en haut; la sensation de Couleur, à gauche et à droite en bas (lumineuse à gauche, pigmentaire à droite); la sensation de Forme à droite en haut’. Et voilà le résultat de cette expérience: ‘la perception de lumière et la perception des formes sont considérablement modifiées par l'exercice ou le repos de l'appareil visuel, tandis que la perception de couleur en est indépendante. ‘Ce qui donnerait raison à la construction par la couleur, élément fixe. Je crois qu'il est dans la tradition de toute la peinture de tenir compte de la qualité moléculaire, matérielle, de la réalité, et de s'en servir comme des éléments de contraste. Cela ne nuit pas à l'unité de l'oeuvre d'art et en augmente le mouvement. Car, en conclusion, tout l'art plastique, depuis le premier peintre jusqu'à nous, n'est que le rapport entre une surface et une autre, entre deux ou plusieurs grandeurs, entre une quantité de matière et une autre, et l'étincelle de vie que les peintres ont toujours cherchée n'est réalisable que par une Unité architecturale formée par des contrastes.
Les idées que j'ai exposées dans le courant de cet article sont le résultat de nos conversations et de nos expériences; elles sont approuvées et partagées par tous les peintres qu'on appelle ‘d'avant-garde’ et dont le but est de faire de la peinture, tout court. Car l'époque des réactions en ‘isme’ est finie, et, des oeuvres, une sorte d'esthétique collective se dégage graduellement, résultat des efforts combinés de plusieurs artistes. Cela n'implique pas nécessairement la reńonciation à la personnalité, car, comme nous en avons l'exemple dans la tradition de l'art plastique que nous continuons, l'originalité a pu avoir des bases esthétiques collectives. | |
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Mais on confond souvent aujourd'hui l'originalité avec la singularité; et on a l'illusion qu'une originalité plus ou moins apparente puisse constituer à elle seule la valeur d'une oeuvre d'art. J'entends faire une brève allusion à cette tendance ultra-individualiste, qui, singulièrement en retard, sergit aujourd'hui sur les ruines de nos réactions violentes d'il y a 7 ou 8 ans. Cette tendance semble prendre comme point de départ ce qui constitue justement le mauvais côté de ces réactions; oubliant que les limites de l'art sont gardées par l'absurde, et que le désordre et l'arbitraire n'ont jamaïs abouti à la construction d'une oeuvre d'art. A cette tendance ultra-individualiste s'oppose, paraît-il, une autre tendance tout à fait impersonnelle, créée par un dilettante notoire de la peinture. Celui-ci voudrait supprimer totalement l'individualité chez l'artiste, ou la renfermer dans un cercle fermé de systèmes inamovibles. Les ultra-individualistes, comme les impersonnels, aboutissent également au dilettantisme et non pas à l'art. L'insaisissable vérité étant, en général, entre les deux extrêmes, je pense que l'esthétique collective et anti-individualiste à laquelle je viens de faire allusion prépare une époque d'art réalisant enfin l'universalité et le Stijle. Naturellement nous sommes loin d'établir des conclusions définitives comme Maurice Denis, car, comme dit justement Juan Gris, nous sommes tous assez jeunes pour apporter dans nos oeuvres la même évolution de notre esprit... Cependant, une large interprétation de cette esthétique, qui est, comme j'ai tâché de le démontrer, l'esthétique de toute la peinture, constitue le seul chemin qui puisse conduire l'artiste moderne loin du trompe-l'oeil, de l'archaïsme, de l'imagerie ou du dilettantisme. |
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