De Stijl 1 1917-1920
(1968)– [tijdschrift] Stijl, De– Auteursrechtelijk beschermdLa peinture d'avant-garde.
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BIJLAGE V VAN ‘DE STIJL’, EERSTE JAARGANG No. 2, GINO SEVERINI, ‘NATURE MORTE (1917),
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précédent: réalisme idéiste, en adoptant l'expression de Remy de Gourmont qui me paraît très exacte.Ga naar voetnoot(1). La hantise de pénétrer, de conquérir avec tous les moyens le sens du réel, de s'identifier avec la vie par toutes les fibres de notre corps est à la base de nos recherches, et des esthétiques de tous les temps. Il faut voir en ces causes d'ordre général les origines de nos constructions géométriques et exactes, de nos applications sur la toile de matières différentes, comme étoffes, paillettes, verres, papiers, et de toutes les tentatives qui, malheureusement, furent plus ou moins mal comprises ou systématisées. Dans des recherches personnelles, j'ai poussé mes expériences jusqu'a combiner des plans mobiles en carton et en papier, auxquels on pouvait imprimer un mouvement de rotation, et de translation. De là à appliquer des moteurs ou autres forces mécaniques il n'y a plus aucun effort de pensée à faire. Mais nous avons tous abandonné ces moyens d'atteindre le réalisme et le mouvement dans le tableau, le rapport entre des ‘quantités’ de couleurs et les directions des lignes, moyens exclusivement picturaux, devant donner seul le sens du réel que nous cherchons. Car si le rôle de l'artiste était de donner une apparence, un simulacre de vie réele, son but serait manqué d'avance. Toute réalité étant parfaite, comme disait Spinoza, je ne vois pas ce que l'artiste pourrait faire de mieux, si son effort tendait vers cette perfection, sinon de renoncer à l'art. Sans compter que sur ce chemin, il serait depuis longtemps surpassé par le constructeur de machines. L'inventeur est aussi un créateur, et l'artiste est avant tout un inventeur, mais jusqu'à présent, je pense que les deux créations, quoique analogues, ne peuvent s'identifier. Il y a cependant analogie entre une machine et une oeuvre d'art. Tous les éléments de matière qui composent un moteur, par exemple, sont ordonnés selon une volonté unique, celle de l'inventeur-constructeur, qui ajoute à la vitalité intégrale de ces différentes matières une autre vie ou action, ou mouvement. Le procédé de construction d'une machine est analogue au procédé de construction d'une oeuvre d'art. Si on considère aussi la machine du point de vue de l'effet qu'elle produit sur les spectateurs, nous découvrons aussi une analogie avec l'oevre d'art. En effet, à moins d'être esclave d'un parti-pris quelconque, on ne peut pas ne pas éprouver une sensation de plaisir, d'admiration, devant une belle machine. L'admiration est en elle-même un plaisir esthétique, et puisque le plaisir esthétique, produit en nous par une machine peut être considéré comme Universel, nous pouvons conclure que l'effet produit sur le spectateur par la machine et celui produit par l'oevre d'art sont analogues. | |
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En continuant jusqu'aux extrêmes limites ces raisonnements, il serait facile de créer une esthétique qui, pour être logique, devrait supprimer le mot art (ne signifiant plus rien) et le remplacer par les mots: créaton scientifique, ou industrie. Cette esthétique donnerait naturellement la même signification à un aéroplane qu'à un tableau; deux réalités que je persiste, malgré leur analogie et mon admiration sans bornes pour les machines, à considérer comme différentes l'une de l'autre. L'esprit d'invention qui préside à la création de l'oeuvre d'art n'est pas le même que celui qui préside à la construction d'une machine. Le premier reconstruit l'Univers pour une fin désintéressée, l'autre en prend des éléments pour atteindre un but déterminé qui est sa raison d'être. La vie ou action que le constructeur donne à la matière ne sera jamais une synthèse de vie indépendante, et la machine ne vivra jamais la vie autonome de l'oeuvre d'art. Les deux inventions ne peuvent pas non plus se compléter ou se fondre. Le genre d'empirisme qui, issu de nos premières recherches réalistes, tend, paraît-il, à cette union des deux esprits d'inventions à une origine seulement intellectuelle, abstraite, et par conséquent, ne peut conduire qu'en dehors de l'art plastique, vers des créations arbitraires qui voudraient être autonomes, et qui ne seront qu'amorphes, anonymes. L'oeuvre d'art plastique ne sera autonome et universelle qu'en gardant ses attaches profondes dans la réalité; elle sera une réalité en elle-même, plus vivante, plus intense et plus vraie que les objets réels qu'elle représente, qu'elle reconstruit, pourvu que les éléments qui la composent n'appartiennent ni à l'arbitraire ou caprice, ni à l'imagination, ni au bon goût décoratif. J'entends par ‘bon goût décoratif’ cette logique qui suggère parfois à des artistes de mettre, par exemple, une ligne courbe près d'une ligne droite, parce que cette ligne droite en a besoin, en prenant ainsi le ‘moyen’ pour le ‘but’. Cette logique est plus près de la modiste que du peintre. Lorsqu'une forme ou une couleur n'ont comme raison d'être qua la forme et la couleur qui leur est voisine, cette forme et cette couleur ne sont ni vraies, ni essentielles, ni plastiques. Elle sont simplement arbitraires et décoratives; elles n'appartiennent pas aux objets, et ne peuvent, par conséquent, les reconstruire. Cette reconstruction de l'Univers est une phénomène bien simple, appartenant au mécanisme de la perception en général, car il est certain que nous recréons les objets chaque fois que notre oeil les regarde pour les connaître. Elle est donc relative à la psychologie de l'artiste, dont la vraie fin, affirme Guyau, est de créer la vie, la réalité; mais, par une ‘sorte d'avortement’, il ne peut pas arriver jusque-là. C'est pourquoi, ne pouvant pas être Dieu, ‘il se fait Dieu à sa manière’, c'est-à-dire, qu'il reconstruit l'Univers en créant une vie à soi, vie représentative qui est le côté essentiel qualitatif, et éternel, de la vie réelle. |
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