Septentrion. Jaargang 43
(2014)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 82]
| |
Qui est le Claus français? Un beau projet comparatiste et interdisciplinaireLe 24 septembre 2013, la Fondation Louvain accordait son prix scientifique de la Compagnie du bois sauvage à un projet de recherche sur Hugo Claus (1929-2008), conçu par Stéphanie Vanasten (chargée de cours de littérature néerlandaise à l'Université catholique de Louvain-la-Neuve), en collaboration avec sa collègue gantoise Désirée Schyns. Le projet s'intitule ‘Hugo Claus en français. Approche pluridisciplinaire des traductions et de leur impact sur l'image et la réception d'un transfert culturel à succès’. Tout un programme! Un petit mot sur les initiatrices du projet tout d'abord. Auteur d'un nombre important de contributions sur Claus et responsable scientifique du récent cahier de la revue Études germaniques consacré pour une large part à ClausGa naar eindnoot1, Stéphanie Vanasten se profile de plus en plus comme une des spécialistes de cet auteur dans le monde scientifique francophone, dans le sillage d'illustres prédécesseurs tels Jean WeisgerberGa naar eindnoot2 et Jacques De Decker. Désirée Schyns, qui partageHugo Claus (1929-2008), photo D. Samyn.
avec sa collègue cet ‘entre-deux’ linguistique et culturel, est actuellement maître de conférences et chercheuse en traductologie à l'université de Gand. Conjointement donc, elles ont élaboré un vaste programme de recherche portant sur les traductions françaises du ‘Prince des lettres flamandes’, dont l'oeuvre est bien connue dans les milieux culturels français, surtout depuis la parution en 1985 du Chagrin des Belges, l'excellente traduction de Het Verdriet van België, réalisée par Alain van CrugtenGa naar eindnoot3. L'ambition des deux chercheuses est d'éclairer la genèse, la diffusion et la réception de l'oeuvre clausienne dans le champ francophone. Quel Claus l'oeuvre traduite a-t-elle livré à la postérité? Quelle lecture en a été réalisée? Quel rôle les traducteurs, leur poétique et leurs réseaux ont-ils joué? Quels autres paramètres ont influé sur l'image d'un Claus francophone? Voilà quelques questions auxquelles elles se proposent de trouver une réponse. Le projet est original en ce qu'il se situe à l'intersection de deux communautés linguistiques et culturelles. Partant du constat que l'oeuvre de Claus a, dès le départ, rencontré un accueil favorable en francophonie et que cet auteur fait | |
[pagina 83]
| |
dès lors figure de ‘prisme’ dans les échanges littéraires et culturels entre la francophonie et le champ néerlandophone, il s'agit d'analyser ce phénomène dans toutes ses implications. Cette étude de cas, si elle présente en soi un intérêt indéniable, s'inscrit toutefois dans une perspective scientifique plus englobante. La démarche est tant contextuelle que textuelle. Elle suppose un travail rigoureux et patient sur le texte (afin d'examiner par exemple ce qu'il advient de régionalismes, belgicismes, gallicismes ou archaïsmes dans la traduction) mais ouvre également sur tout un contexte culturel lié au phénomène de la traduction (production institutionnelle, sociobiographie des traducteurs, réception des textes traduits par la critique et le public). L'étude est interdisciplinaire, elle se situe au croisement des études de traduction et des études comparées. Elle s'inscrit dans un contexte de recherche international sur la dynamique des échanges culturels et la circulation de la littérature de langue néerlandaise en traduction. Compte tenu de l'ampleur de l'oeuvre littéraire de Claus (près de 300 publications) et du nombre important de textes traduits en français (une cinquantaine de titres), les auteurs du projet ont estimé nécessaire de limiter le corpus aux textes de théâtre traduits. C'est en effet par la scène que Claus, le plus grand dramaturge de langue néerlandaise après 1945, a séduit de prime abord le public francophone, et, à en juger par le nombre de représentations et de retraductions, cet engouement semble persister en Belgique francophone. Ce théâtre - on le sait - regorge d'intertextualité: Claus traduit, réécrit, adapte de nombreuses pièces de l'antiquité classique, se laisse influencer par le théâtre américain et français. Excellent exemple donc d'interpénétration littéraire et culturelle. Lorsque, de surcroît, il est traduit en français, on peut prétendre à raison que le texte est résolument travaillé par plusieurs communautés de langues et de cultures. Ajoutons-y la verve langagière de Claus, l'hybridité de son langage, son hétérolinguisme: ce savant et souvent truculent métissage offre au lecteur / spectateur un regard tout à fait singulier sur une société et sur un peuple. Corpus passionnant s'il en est pour une étude de type comparatiste! Mais il s'agira de mettre à nu tous les fils de ce complexe tissage intertextuel, interlinguistique et interculturel, de distinguer plus particulièrement ceux qui sont à l'oeuvre dans l'acte de traduction et les glissements de sens que cette transposition implique, et, plus globalement, de tenter d'expliquer le pourquoi et le comment de ce ‘transfert culturel à succès’, en prenant en compte les conditions de production de ces traductions, leur réception et leur incidence sur la posture d'auteur de Hugo Claus. Bon vent, Mesdames les Professeurs! sonja vanderlinden |