Nous nous souvenons la Grande Guerre 1914-2014
Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. (Paul Valéry, 1919)
Lorsque l'héritier du trône d'Autriche et son épouse furent abattus le 28 juin 1914 à Sarajevo, un mécanisme fatal se mit en marche, qui fit entrer les grandes puissances européennes dans une guerre que personne ne semblait avoir voulue mais qui fut pourtant accueillie dans l'euphorie par toutes les capitales. Dans cette liesse on voyait la guerre comme un acte de salubrité pour le monde, ainsi que Marinetti l'avait écrit dans son Manifeste du futurisme publié en 1909. Vers la fin de 1914, le conflit s'embourba cependant dans une guerre de tranchées qui allait durer quatre années et qui fut une Materialschlacht (bataille de matériel) sans précédent. De Nieuport sur la mer du Nord jusqu'à la Suisse, et de l'Italie du Nord-Est à Gallipoli en Turquie. Pour les Belges, le petit fleuve de l'Yser se transforma en champ de bataille emblématique, pour les Français ce fut Verdun, pour les Britanniques Ypres et la Somme, pour les Canadiens Vimy, pour les Italiens Caporetto et pour les Australiens et les Néo-Zélandais Gallipoli.
Il n'existe plus de vétérans de cette guerre et les derniers témoins oculaires, enfants à l'époque des combats, disparaissent les uns après les autres. Cela signifie que cette guerre va, à court terme, se voir attribuer une autre place dans l'imagerie et dans l'histoire. Toujours est-il qu'au cours des quatre années à venir, on va la commémorer de manière retentissante, surtout en Flandre, en Belgique, en France, en Grande-Bretagne et dans les pays du Commonwealth. À un degré moindre dans les pays du camp vaincu, l'Allemagne et l'Autriche.
Au cours de cette année, nous allons exposer quelques facettes moins évidentes de la Grande Guerre: quel fut le sort des nombreux réfugiés qui se retrouvèrent en France à l'automne de 1914? Quel rôle jouèrent le roi-chevalier Albert Ier et son épouse la reine Élisabeth dans la construction du mythe de ‘la Belgique sanglante et martyre’ et de la Gallant Little Belgium? Que nous racontent les cimetières militaires allemands de Flandre-Occidentale et du nord de la France? Que nous apprend le château Huis Doorn - résidence d'exil de l'empereur d'Allemagne qui, en novembre 1918, demanda et obtint l'asile aux Pays-Bas -, l'un des rares lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale dans ce pays à avoir été épargné par la guerre?
Et puis il y a aussi la littérature: Blaise Cendrars écrivit en 1918 J'ai tué, témoignage sur la guerre qui lui avait coûté un bras, et l'écrivain flamand Stefan Brijs, en 2011, Post voor mevrouw Bromley (Du courrier pour Mme Bromley). Dans les prochains numéros, vous pouvez compter sur d'autres auteurs, flamands, néerlandais et français. Manifestement ils reviennent, coup sur coup, à la Grande Guerre, comme des chiens à un os pour, à chaque fois, aller le ronger ailleurs.
Luc Devoldere
Rédacteur en chef.