Septentrion. Jaargang 41
(2012)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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LittératurePlus jamais et pour toujours: Rutger Kopland (1934-2012)Tout véritable univers littéraire se définit à la fois par une unité de ton inéchangeable et une évolution qui laisse deviner les diverses étapes parcourues par son auteur. Lecteurs et lectrices ont besoin de certitudes, doublées - si possible - d'agréables surprises. L'oeuvre poétique de Rutger Kopland, décédé le 11 juillet 2012, nous touche par le fait d'être, selon la belle formule de Paul Verlaine, ‘chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre’. On voit, au fil des années, glisser la thématique de Kopland presque imperceptiblement de l'anecdote vers la réflexion, tandis qu'une voix légèrement mélancolique murmure invariablement dans le for intérieur de ses poèmes. Et jusqu'à la fin de sa vie, il est resté remarquablement lisible, ce qui lui a valu un grand public et de nombreuses hautes distinctions littéraires en néerlandophonie, dont, en 1988, le prix P.C. Hooft. Il faut dire que Kopland était une personnalité charismatique qui savait admirablement lire sesRutger Kopland (1934-2012) en octobre 2000.
poèmes, et ce, sans jamais s'adonner à des coups de théâtre pathétiques. Tout en possédant le don rare d'envoûter n'importe quel auditoire, il était tout simplement lui-même, voire le plus souvent très modeste. Je l'avais entendu pour la première fois au cours d'une soirée de poésie à l'automne de 1976 et j'avais tout de suite été conquis, tant par sa lecture calme et vigoureuse que par la beauté énigmatique de son cycle D, que j'ai traduit en français peu de temps après. C'est ainsi que je suis devenu son traducteur et son ami. Et grâce au poète Jean Grosjean, membre du comité de lecture des éditions Gallimard, le cycle D fut publié dans la Nouvelle Revue française de novembre 1978. Pour en revenir aux diverses étapes de son évolution, Kopland se trouvait, lors de notre première rencontre, dans ce que j'appellerais sa deuxième période, celle où il avait commencé à écrire un lyrisme plus dense et plus évanescent qu'à ses débuts. En effet, si ses premiers poèmes portent encore l'empreinte d'un néoromantisme sinon subtilement ironique, du moins anecdotique, on observera désormais des structures de pensée davantage approfondies. Voici un exemple devenu emblématique:
Allonge-toi maintenant mon amour dans le jardin,
les endroits vides dans les hautes herbes, voilà
ce que j'ai toujours voulu, être un endroit
vide pour quelqu'un, pour resterGa naar eindnoot1.
Pendant sa troisième période, Kopland évoluera progressivement de son lyrisme dense vers une poésie philosophique, tentant de percer les mystères indicibles du monde, réfléchissant en outre sur ses propres mécanismes langagiers. Il se déclare proche alors d'autres chantres de la pensée et du langage, comme les poètes néerlandais Gerrit Kouwenaar (o 1923)Ga naar eindnoot2 et Henk Bernlef (1937-2012)Ga naar eindnoot3, et le poète portugais Fernando Pessoa. Revient également sa subtile ironie originelle, tout comme l'épique semble de nouveau l'emporter sur le lyrique:
Aujourd'hui j'allais écrire une lettre,
une lettre pour me comprendre et je l'ai fait,
ou autrement dit, je ne l'ai pas fait
et écrivais et regardais ma mainGa naar eindnoot4
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Longtemps avant le grave accident de voiture qui lui arriva en décembre 2005 et dont il ne s'est jamais tout à fait remis, Kopland avait pendant sa quatrième et dernière période commencé à explorer les zones frontalières entre la vie et la mort, entre un monde avec nous et un monde sans nous. Notamment, la vision d'un monde entrevu après notre passage sur terre le fascinait au plus haut point. Voir les choses ainsi, dans une perspective d'éternité qui nous dépasse, faisait partie de ce qu'il avait un jour désigné comme son moteur poétique. Cette singulière exploration de lieux déshumanisés lui procurait un sentiment de bonheur qui enclenchait le processus créatif nécessaire à l'écriture de ses poèmes. Les six dernières années de sa vie furent lourdes et douloureuses. Après son accident, il souffrait de troubles de mémoire et de problèmes cardiaques qui le menaient souvent au bord du désespoir. Pour autant, ses souffrances ne l'empêchèrent pas d'ajouter encore quelques très beaux poèmes à son oeuvre, car il refusait de jeter l'éponge, jusqu'à ce triste jour de l'été passé où il lui fallut tout de même se rendre à l'évidence. Comme il va nous manquer, ce poète tellement silencieux et si précis, dans notre époque toujours plus rapide et tapageuse... Resteront toutefois ses poèmes à travers lesquels s'entendra indéfiniment son chant profondément humain. Ce n'est pas le temps qui passe mais toi et moi, lisait-on sur son cercueil, le matin de ses obsèques. paul gellings |
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