Septentrion. Jaargang 41
(2012)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Échanges‘La capitale culturelle du monde entier’: écrivains et artistes néerlandais à ParisJusqu'au 29 juillet 2012 s'est tenue à l'Institut Néerlandais à Paris une exposition intéressante: ‘Gare du Nord. Photographes néerlandais à Paris entre 1900 et 1968’. Elle réunissait les épreuves d'une cinquantaine de photographes parmi lesquels Ed van der Elsken (1925-1990), Johan van der Keuken (1938-2001) ou encore Emmy Andriesse (1914-1953). Les Parisiens ne manquent sans doute pas de se passionner pour le regard que portent sur leur ville ces étrangers (photographes ou autres artistes). Celui-ci est souvent insolite, voire enrichissant. À travers les yeux d'autrui, on apprend à mieux connaître encore sa propre ville. Aussi regrettera-t-on qu'aucune traduction française du livre de Diederik Stevens, Hoogtij langs de Seine. Nederlandse schrijvers en kunstenaars in Parijs (Âge d'or en bord de Seine. Écrivains et artistes néerlandais à Paris) ne soit envisagée pour l'instant. Hoogtij langs de Seine raconte les heurs et malheurs de bon nombre de Néerlandais dans la capitale française au cours des années 1950 et 1960 du siècle dernier. Avant d'entrer dans le vif du sujet, Stevens décrit comment, à Paris, le point d'ancrage de la vie culturelle et artistique se déplaçait souvent d'un quartier à l'autre. Au début du XXe siècle, Montmartre cessa d'être incontournable, confronté dorénavant à la rude concurrence du quartier Montparnasse. Ce dernier allait devenir le haut lieu incontesté de l'art et de la littérature en Europe. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, Saint-Germain-des-Prés, creuset bouillonnant de l'élite littéraire, philosophique et intellectuelle, reprit le flambeau. Entre-temps, l'attraction culturelle exercée par New York ne cessait de s'amplifier inexorablement mais sans que Paris eût trop à en pâtir. À partir des années 1960, des pionniers artistiques et intellectuels se rencontraient fréquemment au Quartier latin (près de la Sorbonne) et dans le petit quartier autour de la place de la Contrescarpe. Ayant tenu le haut du pavé pendant une centaine d'années, la rive gauche n'a visiblement plus la cote à l'heure actuelle. De nos jours, l'avant-garde française semble avoir jeté son dévolu sur les petites rues huppées autour de la place de la Bastille. ‘Vive la rive droite’, voilà le cri plein d'assurance qu'on y lancera à l'adresse du passant ébahi. Hoogtij langs de Seine se compose grosso modo de deux parties: d'une part, un assez grand nombre de ‘biographies parisiennes’ d'auteurs et d'artistes néerlandais et, de l'autre, la description de toutes sortes de lieux qui d'une manière ou d'une autre ont joué un rôle dans l'histoire de la colonie culturelle néerlandaise établie dans la capitale française. La première biographie est consacrée à l'écrivain Simon Vinkenoog (1928-2009) qui s'installa à Paris en 1949 et qui depuis la Ville lumière ne tarderait pas à lancer Blurb, une petite revue d'avant-garde, ronéotypée, se fixant pour objectif de provoquer et de promouvoir un nouveau style de vie. Ayant connu des fortunes diverses, Vinkenoog réussit à faire son trou à Paris, préparant la voie à un assez grand groupe de Néerlandais qui, dans les années 1950, ne pouvaient résister aux sirènes de la vie parisienne. Il se formait à Paris une ‘bande’ de jeunes titans néerlandais qui allaient donner à la littérature et aux arts plastiques de leur pays (et parfois bien au-delà de ce dernier) une orientation résolument nouvelle. Citons quelques noms: Karel Appel et Corneille, membres du mouvement Cobra, les écrivains Hugo Claus (par commodité, naturalisé Néerlandais par Stevens), Remco Campert et Rudy Kousbroek (à la fois l'atypique et le technicien du groupe: fait assez rare pour l'époque, il possédait déjà son propre tourne-disque). La plupart d'entre eux quitteraient Paris bien avant la fin des années 1950. Une deuxième génération prendrait la relève, comptant notamment dans ses rangs ceux qui étaient alors considérés comme les enfants terribles de la littérature néerlandaise, Jan Wolkers (qui n'effectua qu'un bref séjour à Paris) et Jan Cremer (qui y resta jusqu'en 1970) ou encore l'artiste Jacqueline de Jong qui eut une longue liaison avec Asger Jorn, de beaucoup son aîné. Parmi les Néerlandais encore présents à Paris | |
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Café Le Select, 99, boulevard du Montparnasse: un important point de rencontre pour de nombreux Néerlandais.
en 1968, elle fut une des seules à participer activement à la contestation étudiante. Ce qui rehausse l'intérêt de chaque biographie, ce sont les listes répertoriant soigneusement les différentes adresses parisiennes du Néerlandais en question et les nombreux endroits où il s'est manifesté (que ce soit une seule fois ou à diverses reprises). L'auteur fait preuve de la même méticulosité dans la partie, fort étendue, consacrée aux lieux. Le nombre d'endroits listés et décrits donne le vertige. Ainsi passe-t-il en revue les petits hôtels où maint Néerlandais trouvait refuge, les académies, les ateliers, les galeries, les librairies, les salles de cinéma, les bars et les petits restaurants. Quel que soit le sujet qui vous passe par la tête, Diederik Stevens vous en révélera les tenants et les aboutissants. Même à propos de la rue Saint-Denis. Ce sens aigu du détail constitue en quelque sorte le talon d'Achille de Hoogtij langs de Seine. Surtout dans les biographies, l'accumulation de données relativement peu importantes gêne parfois la lisibilité de sorte que les arbres risquent de cacher la forêt. Une publication de ce genre peut évidemment susciter quelques réserves quant à la période et aux personnalités retenues. Stevens étudie essentiellement le milieu avant-gardiste des années 1950 et 1960. Ce qui peut donner l'impression que, mis à part ce milieu et cette période, la présence néerlandaise à Paris était peu significative. Or, d'autres Néerlandais de renom ont également vécu à Paris (ou s'y trouvent toujours). On peut citer entre autres Willem Frederik Hermans (1921-1995)Ga naar eindnoot1, l'un des écrivains néerlandais les plus prestigieux du XXe siècle, Adriaan van Dis (o 1946)Ga naar eindnoot2 et Willem (o 1941)Ga naar eindnoot3, le dessinateur attitré de Libération. Nous ne résistons pas au plaisir de mentionner aussi le flamboyant et influent Sadi de Gorter (1912-1994)Ga naar eindnoot4, le premier directeur de l'Institut Néerlandais. Diederik Stevens semble avoir une idée plutôt restrictive des disciplines faisant partie des arts plastiques. Les peintres et sculpteurs ont droit à une biographie circonstanciée. Par contre, | |
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certaines catégories d'artistes, entre autres les photographes, sont passées à la trappe. Exemple: Dans Hoogtij langs de Seine, Ed van der Elsken se voit accorder une place moins importante que celle à laquelle on s'attendrait. On s'étonne aussi que Stevens ait choisi de ne consacrer de biographies qu'aux écrivains et artistes encore en vie au moment de la rédaction de son livre (voir la postface). Il faut signaler d'ailleurs qu'au cours de celle-ci quelques protagonistes sont décédés. Encore heureux, si l'on ose dire, qu'ils ne soient pas morts plus tôt puisque, dans ce cas, ils n'auraient pas été présents dans le livre. Mais trêve de critiques. À n'en douter, Hoogtij langs de Seine est un document passionnant. Le livre raconte les aventures d'un groupe d'amis et de connaissances, heureux de pouvoir échapper à l'ambiance morose et bourgeoise de leur pays. Beaucoup d'entre eux étaient à l'orée d'une grande carrière, mais se voyaient provisoirement contraints de se contenter du strict nécessaire. Dormir à même le sol dans une petite chambre non chauffée sans disposer d'eau courante: cela leur arrivait plus d'une fois. Si, d'aventure, ils avaient gagné quelques sous (par exemple, en posant comme modèle dans un atelier), ils pouvaient, pendant quelque temps, se permettre une modeste chambre d'hôtel. Une fois arrivés à bout de ressources, il ne leur restait plus qu'à déguerpir comme un voleur dans la nuit. Diederik Stevens ne dédaigne pas la petite histoire. Il décrit en détail les stratagèmes parfois étranges auxquels certains Néerlandais avaient recours pour élargir leur réseau de connaissances. Il braque sans vergogne les projecteurs sur ceux qui, presque chaque nuit, titubaient ivres morts sur les pavés de Paris, ceux qui de manière éhontée flirtaient avec la petite amie de quelqu'un d'autre. Il nous révèle qui couchait avec qui et dans quel endroit, qui courait les vernissages (avec buffet gratuit à la clé). Il n'empêche qu'en tant que lecteur / voyeur, on ne ressent jamais la moindre gêne puisque, page après page, on est entraîné dans un récit enthousiasmant. Un récit peu reluisant à certains endroits, concédons-le, mais, dans l'ensemble, marqué par une dynamique époustouflante. De plus, comme le déclarait avec admiration Jan Wolkers, tout se déroulait dans ‘la capitale culturelle du monde entier’. Les autres Néerlandais, eux aussi, ne tarissaient pas d'éloges sur la métropole cosmopolite au bord de la Seine. Paris, ville vers laquelle on était en quelque sorte aspiré. Paris, lieu de liberté par excellence, bruissant de vie, ouvert aux esprits jeunes, épris de nouveauté. hans vanacker |
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