Septentrion. Jaargang 41
(2012)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Eugeen Van Mieghem, De buildrager (Débardeur), vers 1905, Stedelijk Prentenkabinet, Anvers © Museum Plantin - Moretus, Anvers.
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ActualitésArts plastiquesLa vie des gens ordinaires: Eugeen Van MieghemEugeen Van Mieghem (1875-1930), le dessinateur infatigable des petites gens vivant ou travaillant dans le port d'Anvers, sort peu à peu du purgatoire. Au cours des quinze dernières années, des expositions lui ont été consacrées tant en Belgique qu'à l'étranger. C'est le cas actuellement au musée de Flandre de CasselGa naar eindnoot1. Par ailleurs, lors de certaines ventes aux enchères et dans le commerce des oeuvres d'art, ses tableaux se négocient à des prix étonnamment élevés. En 1980, cinquante ans après sa mort, Van Mieghem était totalement relégué aux oubliettes. À la même époque, l'Anversois Erwin JoosEugeen Van Mieghem, Havenarbeiders meren een schip (Travailleurs portuaires amarrant un bateau), vers 1912, Stedelijk Prentenkabinet, Anvers © Museum Plantin - Moretus, Anvers.
découvrit, par hasard, une oeuvre de l'artiste et tomba du coup sous le charme de son style très personnel. Deux ans plus tard, Joos créa la fondation Van Mieghem et, dans la foulée, se mit en quête de données biographiques, découvrit et collectionna des oeuvres, organisa des expositions. En mars 1993, le musée Eugeen Van Mieghem ouvrit ses portes à Anvers. Au cours des années suivantes, les oeuvres de l'artiste furent exposées à New York, Paris, Hambourg et Berlin. Un événement majeur fut sans doute la rétrospective consacrée, début 2000, au peintre, dessinateur et graphiste français Théophile-Alexandre Steinlen au musée Picasso de Barcelone où des toiles de Van Mieghem voisinaient avec des oeuvres de Picasso, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Degas et Munch. L'oeuvre de Van Mieghem est étroitement liée à la ville d'Anvers et à son port, tout en ayant une | |
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Eugeen Van Mieghem, De vluchtelingen (Les Réfugiés), 1914, Eugeen Van Mieghem Museum, Anvers.
dimension universelle. L'artiste était un observateur inlassable qui fixait ses impressions dans des esquisses fugaces. C'est surtout avec ses dessins et ses pastels que Van Mieghem occupe une place quasi unique dans la transition entre l'impressionnisme et le modernisme. Dans son style puissant et dynamique, éloigné de tout académisme mais doté d'une bonne dose d'engagement social et humain, Van Mieghem enregistrait ce qui se passait autour de lui. Son oeuvre s'apparente en quelque sorte au travail journalistique, comme s'il était l'envoyé spécial d'un journal, chargé de décrire la vie quotidienne des dockers, ouvrières, prostituées, désoeuvrés et autres migrants dans le port. Les parents de Van Mieghem possédaient un café dans l'Eilandje (l'Îlot), un quartier portuaire né à la fin du XIXe siècle et situé au beau milieu de docks qui venaient d'être creusés au nord du centre-ville. C'est à cet endroit qu'il vit le jour. Van Mieghem grandit dans le port où allait naître son art, robuste, rude et sans compromissions, en tout semblable au peuple qu'il mettait en scène: des dessins à la craie noire, vigoureusement hachurés. Van Mieghem n'affectionnait guère la ligne pure. À la différence d'artistes tels que Constantin Meunier, il n'idéalise pas les ouvriers. Il était anarchiste et révolutionnaire sans toutefois verser dans un misérabilisme sans issue. Ce qui retient son attention, ce sont les gens ordinaires, persévérants, durs à la tâche et qui s'échinent à gagner chichement leur vie: les dockers qui, la nuit, chargent et déchargent les navires, les ouvriers amarrant les bateaux, mais aussi les prostituées, les hommes au bistrot, les enfants traînant dans la rue, les bals dans les cafés chantants et les bourgeois plus fortunés qui se promènent sur les quais, se font remarquer au théâtre ou se divertissent dans les brasseries situées dans le quartier chic nouvellement construit près de la gare centrale. Le café tenu par les parents de Van Mieghem se trouvait tout près du quai occupé par les navires de la compagnie maritime Red Star Line. Aussi l'artiste peignait-il les migrants juifs qui, au début du XXe siècle, avaient pris la fuite pour échapper aux pogroms en Europe de l'Est et qui, à Anvers s'embarquaient massivement à destination de l'Amérique. Peu d'artistes, si tant est qu'il y en ait eu, ont représenté cet exode comme a réussi à le faire Van Mieghem. De même, ses tableaux mettant en scène des réfugiés au cours de la Première Guerre mondiale, des cantines, des soupes populaires et des prisonniers de guerre sont tout aussi impressionnants. Les talents de dessinateur de Van Mieghem éclatèrent rapidement au grand jour. Vers 1892, il entra en contact avec l'oeuvre de Van Gogh et | |
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de Toulouse-Lautrec à l'académie d'Anvers. Jean-Louis Forain et Steinlen allaient également l'influencer. Toutefois, quatre ans plus tard, Van Mieghem dut quitter l'académie anversoise, dix ans après que Vincent van Gogh eut subi le même sort à la suite de disputes l'opposant au même professeur, Eugène Siberdt. En 1901, Van Mieghem obtint un franc succès au Salon bruxellois de la Libre Esthétique qui exposa huit pastels et dessins de sa main à côté d'oeuvres de Monet, Cézanne et Vuillard. Un an plus tard, il épousa Augustine Pautre, originaire de la bonne bourgeoisie de Bruxelles. L'année 1904 s'annonçait sous les meilleurs auspices: le Pall Mall Magazine, édité à Londres, lui consacra un long article élogieux sous le titre: An Artist of the People. Malheureusement, la même année, l'on diagnostiqua chez sa jeune épouse la tuberculose. Van Mieghem dessina sa femme moribonde dans une série de portraits déchirants, annonçant sans fard la fin inéluctable. Augustine mourut en 1905, à peine âgée de 24 ans. Quelque chose se brisa chez Van Mieghem. Il n'exposerait plus jusqu'en 1910. Sa première exposition individuelle, organisée en 1912 au Cercle royal artistique d'Anvers, suscita enfin l'intérêt à l'étranger, ce qui allait lui permettre de participer à des expositions collectives, notamment à Cologne et à La Haye. Mais la Première Guerre mondiale mit un terme à cette évolution favorable. Au lendemain du conflit, en 1918, il exposa ses oeuvres, réalisées au cours de la guerre, à Anvers et à La Haye. Certains critiques d'art le comparaient à Steinlen et à Kollwitz. En 1920, Van Mieghem fut nommé professeur à l'académie d'Anvers. Jusqu'à sa mort en 1930, il participa presque chaque année à tous les salons importants de Belgique. Mais après la Seconde Guerre mondiale, son oeuvre tomba dans l'oubli. À présent, elle refait surface. Heureusement. eric rinckhout |
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