Septentrion. Jaargang 38
(2009)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd‘Le chapeau chinois’: contes musicaux hoffmanniens de Theun de VriesLa diffusion des classiques de la littérature néerlandaise en version française demeure assez fragmentaire, malgré les efforts louables du Fonds pour la production et la traduction de la littérature néerlandaiseGa naar eindnoot1 et les intentions avouées de son actuel directeur, Henk Pröpper, de promouvoir la découverte d'oeuvres majeures telles qu'Eline Vere, le roman du dandy naturaliste Louis Couperus (1862-1923). On ne peut dès lors que saluer le choix judicieux des éditions Martagon qui, à l'initiative du traducteur Christian Marcipont, publient pour la première fois en françaisGa naar eindnoot2 un livre de Theun de Vries (1907-2005)Ga naar eindnoot3. Auteur jadis populaire et respecté aux Pays-Bas - en 1962, le prestigieux prix P.C. Hooft lui fut décerné pour l'ensemble de son oeuvre -, De Vries est considéré comme un représentant éminent d'une conception traditionnelle du roman. Le Chapeau chinois,Theun de Vries (1907-2005), photo H. Roest.
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en néerlandais De schellenboom, du nom d'un instrument de percussion étendard, présent à la tête de certaines fanfares, est un recueil relativement récent, que l'écrivain d'origine frisonne fit paraître en 1996, à l'âge canonique de 89 ans. L'ouvrage regroupe quelques récits brefs et deux longues nouvelles, dont l'activité musicale des protagonistes et un cadre mi-historique, mi-fictif sont les principaux traits communs. Recueil certes peu connu et auteur négligé de nos jours ne sont heureusement pas synonymes de moindre intérêt: ce livre propose une introduction convaincante à l'univers romanesque de Theun de Vries, qui mérite sans doute plus de passer à la postérité que ne le laisseraient supposer certains de ses romans à thèse. À maints égards, cet écrivain dont l'exceptionnelle longévité n'a d'égale qu'une production très abondante, constitue un cas à part dans le paysage littéraire néerlandais: communiste sincère pendant des décennies, avant de prendre petit à petit ses distances vis-à-vis du modèle soviétique, jusqu'à traduire en néerlandais Soljenitsyne dans les années 1960, Theun de Vries est aussi resté une figure de romancier relativement isolée car il se sentit peu concerné par la modernité littéraire et se tint résolument à l'écart des modes. On a pu voir en lui l'un des derniers représentants du cloisonnement idéologique qui prévalait dans la société néerlandaise, de l'entre-deux-guerres jusqu'aux années 1950. Cela ne l'empêcha nullement d'élaborer une oeuvre personnelle et diversifiée, s'essayant à la plupart des genres (poésie, essai, journalisme, critique littéraire, théâtre, dont des pièces radiophoniques), avec une prédilection pour le roman et la nouvelle. Dans ce domaine, sa production pléthorique ne peut être comparée qu'à celle de son ami Simon Vestdijk (1898-1971), avec qui il entretint une correspondance qui a été publiée en néerlandais, ainsi qu'un volume d'interviews. De Vries partage avec Vestdijk la passion du roman historique, qu'il décline sous plusieurs formules: cycles (notamment La Dynastie des Wiarda, consacré à sa Frise natale), biographies romancées et récits ayant plus ou moins recours à la fiction (sur Rembrandt, Van Gogh, Molière, Spinoza, Marx) et bien entendu romans engagés, traitant de figures héroïques (Hannie Schaft dans La Fille aux cheveux roux, porté à l'écran en 1981) ou de hauts faits de la Résistance néerlandaise (la grève de février 1941, dans la trilogie Februari), de mîme que d'événements révolutionnaires du passé (la révolte des gueux contre l'Espagne au XVIe siècle, la révolution de 1848, la Commune de Paris). Une partie de l'oeuvre en prose de Theun de Vries appartient cependant à une autre veine, plus introspective, que l'on pourrait qualifier de ‘roman d'artiste’, le plus souvent dans un contexte historique. Outre des épisodes de la vie de créateurs ou de penseurs illustres comme on l'a signalé ci-dessus, on situera dans ce domaine des récits centrés sur la relation entre une figure marquante de l'histoire culturelle et son disciple, qui est souvent un personnage fictif et le narrateur de l'intrigue. C'est le cas dans le principal roman musical de l'auteur, Het motet voor de kardinaal (Le Motet pour le cardinal, 1960), dans lequel le lecteur découvre l'entourage du polyphoniste franco-flamand Josquin des Prés (vers 1440-1521). Les tribulations d'une carrière mouvementée et hasardeuse y sont prétexte à l'évocation de scènes hautes en couleur, qui permettent à l'auteur d'exercer avec verve son talent de conteur épique et de styliste riche en nuances. On retrouve ces caractéristiques dans les récits qui composent Le Chapeau chinois. Dans les histoires brèves, l'auteur se concentre sur une anecdote à propos d'un grand compositeur ou d'un interprète légendaire. Les quatre premiers parmi ces récits sont situés dans un passé plus ou moins lointain: les époques de Lully, Vivaldi, Rossini et de la basse Chaliapine; l'intrigue fait la part belle au mystère, élucidé ou non, et le romancier se sert habilement de l'atmosphère particulière de quelques grandes villes européennes (Londres, Venise, Saint-Pétersbourg) pour agrémenter son propos. Les deux derniers textes courts laissent entrevoir l'écrivain engagé: dans La Bataille de Waterloo (titre d'une pièce de musique imaginaire), il est question du sentiment de culpabilité des Néerlandais par rapport à la déportation des Juifs, et La Sonate de la longue promenade contient un passage acerbe sur la ‘révolution culturelle’ dans la Chine maoïste, | |
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qui aboutit à l'anéantissement de toute forme de civilisation. Le recueil prend véritablement de la consistance avec les deux longues nouvelles, qui appartiennent chacune au versant ténébreux du romantisme, pastiché avec malice. Dans Le Bonheur aveugle, De Vries campe un personnage de propre à rien, musicien raté et âme en peine, habité d'un sentiment d'infériorité. Sa carrière, qui se déroule dans la Vienne de Mozart, est contrariée par une rivale plus habile, selon un scénario quasi diabolique, qui le fait tomber de Charybde en Scylla: ses vélléités de revanche échouent lamentablement. On ne peut s'empêcher de songer, dans ce contexte musical, à certains récits fameux des romantiques allemands (le Schlemihl de Chamisso ou le Bon à rien d'Eichendorff), et en particulier aux contes nocturnes d'E.T.A. Hoffmann, en raison de la peur du néant et de l'obsession d'un(e) concurrent(e) supérieur(e) - ou d'un double maléfique, qui hantent le personnage principal. Dans ce récit à la première personne, la soumission du narrateur à sa funeste destinée pourrait n'être que la dramatisation de son psychisme perturbé. L'auteur choisit une orientation plus policière que fantastique pour développer un thème analogue dans la plus élaborée des nouvelles du recueil, Les Trente-cinq Noms. Ici, le héros musicien est promis en apparence à une brillante carrière, mais il sera rattrapé par son passé de meurtrier. Les aventures de ce personnage hors du commun - il fut affublé à sa naissance des trente-cinq prénoms des musiciens d'une fanfare - tournent à la parodie du récit picaresque ou du romanfeuilleton rocambolesque, tant les aléas de la vie d'artiste prennent dans ce cas une allure de cauchemar aux multiples rebondissements. Le style ironique de l'auteur, parfaitement rendu par la traduction riche et raffinée de Christian Marcipont, participe pour beaucoup au charme burlesque de cette invraisemblable histoire de revers de fortune. L'ensemble de ces textes semble traduire l'angoisse de la perte d'identité chez les artistes représentés, à l'inverse des tentatives d'émancipation du musicien confronté à l'injustice sociale et à la tyrannie du pouvoir politique dans le roman Le Motet pour le cardinal. Theun de Vries considérait la musique comme un baume pour l'âme blessée. Dans Le Chapeau chinois, ce conteur subtil prend un malin plaisir à jouer des dissonances d'intrigues particulièrement romanesques, exprimant peut-être par ce biais ses propres inquiétudes quant au devenir de l'artiste dans la société. dorian cumps |
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