Septentrion. Jaargang 38
(2009)– [tijdschrift] Septentrion[p. 79] | |
LittératureÀ la recherche de la lumière méridionale: la réalité sans masque selon Cees NooteboomDepuis la publication de Rituels1 en 1985, l'auteur néerlandais Cees Nooteboom (o 1933) a vu paraître dix-huit de ses livres en traduction française. Pluie rouge est donc le dix-neuvième et il confirme largement à quel point l'oeuvre de Cees Nooteboom occupe des sommets inégalés dans le paysage littéraire de langue néerlandaise. Que son nom réapparaisse constamment aux côtés de celui de Harry Mulisch (o 1927)2 dans le petit cercle de favoris pour le prix Nobel de littérature, n'est donc certes pas le fruit du hasard. Mais pour s'initier à l'oeuvre romanesque de Cees Nooteboom, mieux vaut commencer par Rituels ou par son premier roman, Philippe et les autres3 (1955). Renvoyant explicitement aux débuts du jeune romancier Nooteboom et à son amourette avec une Française qui fut sa muse de l'époque, Pluie rouge est destiné aux lecteurs friands du genre autobiographique et du journal de voyage. ‘Il faut cultiver son jardin, Voltaire le savait bien et, de son temps aussi, on recevait déjà les nouvelles du monde’ (p. 54): dans Pluie rouge, Nooteboom évoque tout d'abord littéralement son jardin sur l'île espagnole de Minorque, par intermittence le nombril du monde quand il s'y trouve. C'est là qu'il va retrouver des forces en vue de son oeuvre et de nouvelles aventures de par le monde. Il dispose en effet depuis plus de quarante ans sur cette île nettement moins exploitée que sa soeur jumelle Majorque, d'une maison d'hiver qui l'accueille quand sa ville d'Amsterdam lui apparaît par trop inhospitalière. Pluie rouge rend également hommage à la population autochtone qui lui prête assistance au cours de sa villégiature frugale, même s'il est rare qu'elle accomplisse ce qu'il attend d'elle. Concrètement, il retrouve à chaque fois son jardin à l'abandon lorsqu'il entreprend au mois de novembre le long périple en voiture. Il s'empare alors sans tarder du racloir et Pluie rouge évoque combien il renoue ainsi le contact avec la nature mythique telle qu'elle se manifeste de façon si exemplaire dans son jardin sur cette île espagnole. De l'agave à la bougainvillée, Nooteboom consacre des pages délicieuses à une phénoménologie du jardin d'Éden tel qu'il aurait pu exister. Sa description de l'agave qui fleurit une seule fois tous les vingt-cinq ans pour mourir ensuite, constitue le sommet de sa botanique littéraire. Mais cette préoccupation perpétuelle de la nature![]() Cees Nooteboom (o 1933, au milieu), entouré de Hugo Claus (1929-2008, à droite) et Remco Campert (o 1929, à gauche), mai 2004, photo Kl. Koppe.
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d'avant l'être humain se révèle encore dans la référence à son premier cahier d'école retrouvé, datant des années 40 du siècle dernier, entre les pages duquel il avait mis plein de fleurs à sécher. Évoquant avec un clin d'oeil ironique ce souvenir d'enfance, il salue en passant les futurs traducteurs qui risquent, selon l'auteur, d'avoir bien du mal à traduire tous ces noms de plantes exotiques: ‘C'est au cours de ces heureuses promenades que j'ai dû cueillir les fleurs qui me fixent ici et maintenant, près de soixante ans plus tard, de leur oeil mort: les momies de l'aubépine, de l'ortie blanche, de la vigne noire, du merisier à grappes, de la grande éclaire, de la véronique - petit casse-tête pour les traducteurs’ (p. 162). Mais les noms de plantes, de gens et d'endroits sont pour Nooteboom, à l'instar de Marcel Proust, des portes d'accès à la vie éternelle. Ils ouvrent la voie vers l'énergie mystique qui sourd au fond de la réalité et c'est précisément cette source souterraine que Nooteboom cherche à exploiter par le biais de ses fragments de souvenirs et de ses narrations de voyage. N'est-il pas toujours et partout en quête de la réalité sans masque? Même la moindre petite plante ou l'animal qui ne paie pas de mine, tel un chat quelconque ou une poule gambadant en plein air, parviennent à entraîner notre auteur sur cette voie. Ou encore une préparation artisanale quasiment perdue comme la fraisure d'agneau. Il semblerait que notre auteur, également cordon-bleu à ses heures, se soit procuré un jour un livre de cuisine d'Henri-Paul Pellaprat qui mentionne la recette de ce régal. En quête des ingrédients sur un marché local dans son île espagnole de Minorque, il s'est fait refiler une autre partie de l'agneau. Sans s'en rendre compte, il s'est démené en cuisine pour récolter ensuite moultes louanges de la part de ses voisins pour un mets que les Espagnols appellent fretzes. En lieu et place des abats de l'agneau, Nooteboom avait accommodé à la façon de Pellaprat la langue et l'oesophage de l'animal. Mais qui se soucie d'un pareil glissement des intentions premières? Seul le résultat compte. C'est ainsi qu'il en va de la mémoire, écrit Nooteboom. Elle construit un passé qui ne coïncide jamais parfaitement avec la vie telle qu'elle s'est déroulée jadis. Mais si cette descente dans l'espace et le temps tant soit peu altérée engendre de l'enthousiasme, l'entreprise ne peut être que très réussie. Nooteboom compare sa mission littéraire avec Le Mas Théotime de Henri Bosco, roman qui l'a jadis amené à devenir lui-même écrivain. Tout comme ce livre lui a fait connaître ‘l'antichambre du paradis’, Nooteboom aussi parvient à baigner le lecteur de Pluie rouge dans ‘la lumière méridionale’ d'un éternel présent paradisiaque. frank hellemans |