obnubilation et tromperie, misère et angoisse, et enfin lassitude de tout et désespoir’. Cette sombre vision de l'avenir du monde déteint de plus en plus sur les oeuvres de Yourcenar. Aussi se détourne-t-elle désormais des villes, comme étant les traces putrides d'une activité humaine dénaturante. En revanche, elle glorifie plus que jamais les rares coins sur notre planète où se trouve sauvegardée la nature d'avant l'homme. En somme, elle se détourne de l'Histoire de l'homme pour se vouer à la géologie, histoire de la terre sinon du cosmos. N'a-t-elle pas avoué à Matthieu Galey (in Les Yeux ouverts) son désir de revoir en mémoire, à l'instant de sa mort, non la Ville éternelle, ni Athènes, ni Paris, mais ‘les jacinthes du Mont-Noir ou les violettes du Connectitut au printemps...’ (pp.331-332)?
Toutefois, cette vue cavalière et désabusée de la civilisation n'a pas empêché Yourcenar de juger selon d'autres critères les villes qui ont joué un rôle particulier dans sa vie personnelle! L'article d'A.Maindron,
Viles villes, le souligne justement. Il observe que la géographie du coeur chez Yourcenar obéit à deux principes. ‘1
o Dans
Le Labyrinthe du monde, la vile ville est exclusivement franco-française.’ Les villes types sont ici Béthune et Lille: villes de la mesquinerie provinciale, incarnée aux yeux de l'auteur dans sa grand-mère Noémi, ‘détestée entre toutes les femmes’. ‘2
o Une fois “Bailleul / passée / au rang de ces estimables trous de province, chers de tout temps au roman français”, tant que dure son caractère flamand, elle n'est jamais présentée comme vile et garde sa place /.../ parmi les “bonnes villes”’. Aussi longtemps donc que Bailleul ‘participait à la forte vie des petites villes
Marguerite Yourcenar (1903-1987) (Photo Pieter Boersma).
de la Flandre espagnole’ (
Archives du Nord), elle signifiait, comme toute ville flamande, ‘beauté, ordre, et calme’ (
ibid., p. 115). Selon A. Maindron, ce manichéisme brutal trouverait sa source dans la haine féroce que Marguerite a toujours vouée à sa grand-mère lilloise.
Cette constatation étonnante nous amène à un autre livre, celui que Pascale Doré vient de publier, Yourcenar ou le féminin insoutenable. La lecture de cet ouvrage suppose une bonne familiarité avec les méthodes de l'analyse psychanalytique de type lacanien. Au départ se trouve l'étonnement de la critique devant le déni maternel chez Yourcenar. Entendons par là le sentiment de culpabilité de Marguerite devant la mort de sa mère, sentiment insupportable qui la conduit au refus de la mère. Ce refus, on le lit un peu partout dans des déclarations du type: ‘je n'ai jamais souffert de ne pas avoir connu ma mère’. On se rappellera que la mère de Marguerite, Fernande de Cartier de Marchienne, est morte d'une fièvre puerpérale en donnant la vie à sa fille. L'analyste souligne à juste titre que ce déni maternel ne peut empêcher que la mort de la mère soit présente dans les trois volumes de son autobiographie et ce chaque fois à des endroits stratégiques! P. Doré nous livre une analyse convaincante de l'ouverture de Souvenirs pieux où