Margriet de Moor (o1941) (Photo Ronald Hoeben).
Le passé reste inaccessible. Seules l'invention et la narration d'histoires offrent une certaine prise. La vérité n'existe pas. Seules existent des perspectives, des angles de vue, des points de vue changeants sur une réalité rebelle.
On opte pour une femme dont on s'aperçoit qu'au fond on ne la connaît pas. Que faire quand elle disparaît pour deux ans sans laisser le moindre mot et qu'à son retour elle considère par trop votre compréhension comme allant de soi? C'est ce qui arrive à Robert dans Eerst grijs dan wit dan blauw (1991) (Gris d'abord puis blanc puis bleu, Robert Laffont, Paris, 1993). Son épouse Magda est partie deux ans durant à la recherche de ses racines. Maintenant qu'elle est revenue, en paix avec elle-même, dans un village hollandais du bord de mer, elle n'éprouve pas le besoin d'en parler. Mais son silence ne fait qu'exacerber la jalousie de son mari. Le silence de Magda rend Robert si fou de jalousie qu'il finit par l'assassiner.
De Moor fait raconter l'histoire par les quatre protagonistes. Erik, un ami de Robert et de Magda, marié à Nellie et père d'un autiste de vingt ans, Gaby, ouvre le livre.
Puis vient le point de vue de Robert, le meurtrier, directeur d'usine qui a tout et pourtant rien en main; celui de sa femme et victime Magda qui est la seule à pouvoir communiquer avec Gaby parce qu'elle a découvert sa fascination pour les étoiles; et celui de Nellie qui tente de sauver ce qui peut encore l'être: son enfant autiste qui se débat, elle l'embrasse avec beaucoup de force, parce que le thérapeute le lui prescrit. Tout à la fin du roman nous entendons un instant la voix de Gaby, l'autiste, qui commémore Magda à sa manière propre, apparemment dénuée d'émotion.
Dans De virtuoos (1993) (Le virtuose, Robert Laffont, Paris, 1995), De Moor nous raconte les amours passionnées entre une jeune comtesse de la frivole Naples de la première moitié du xviiie siècle et un castrat-chanteur. Une saison d'opéra durant, amour et musique se mêlent. Dans la plus grande partie du roman, la comtesse Carlotta est la narratrice, mais ici aussi une autre approche permet dans un intermezzo un autre regard sur la réalité. Un narrateur omniscient nous y brosse la vie de Faustina, servante de Carlotta. Le récit de cette dernière nous permet un regard oblique sur la vie de Carlotta après le grand amour. Car, bien sûr, l'amour du castrat pour la musique surpasse celui qu'il éprouvait pour Carlotta.
Dans Hertog van Egypte (1996), dont la traduction a paru aux Éditions du Seuil, De Moor décrit l'amour entre une Néerlandaise attachée à sa maison et à sa propriété et un gitan qui a l'Europe pour patrie. Chaque été, fidèle à l'appel du sang, il part vagabonder à travers l'Europe jusqu'à ce que l'automne le ramène à la ferme de Twente. Sa femme l'accueille en silence; elle a accepté ses escapades parce que, contrairement à ce qui se passait avec Magda, il la comble de récits de ses errances et de sa race.
Ce roman radicalise les perspectives narratives. Le moi du narrateur est presque présent