employer pour ses Poésies que la mort le priva du plaisir de parcourir respectueusement cette ‘édition de vrai luxe’ dont il avait rêvé: ‘format vaste, caractères imposants et très beau papier’. A quoi s'ajoutaient encore le frontispice de Félicien Rops - produit d'une attente de quatre ans - et la couverture dessinée par Théo van Rysselberghe. Poésies (1899) resta pendant quatorze ans la seule édition des principaux textes de Mallarmé.
Deman ne fut pas un chasseur de textes: il se contenta d'éditer ceux que lui proposaient ses amis, en particulier Émile Verhaeren. Ils se connaissaient depuis Louvain - ensemble ils avaient rempli les pages de La Semaine des Étudiants - et leur amitié ne se démentit jamais. Il n'est donc pas étonnant qu'un tiers de la production éditoriale fût consacré au poète du Passeur. Mais tout comme Verhaeren jouait pour l'association artistique des xx ‘le rôle d'un véritable rabatteur d'art’ (Jacques Marx), il amena chez Deman pas mal d'écrivains et artistes. Parmi les premiers, le plus illustre et le plus exigeant fut sans doute Stéphane Mallarmé. A l'éditeur bruxellois, il ne confia pas seulement ses propres oeuvres - outre ses Poésies, la traduction des Poèmes de Poe (1888) enrichie d'une luxueuse couverture et d'un portrait dus à Manet et Pages (1891) avec un frontispice de Renoir - mais encore l'édition posthume des Histoires souveraines (1899) de Villiers de l'Isle-Adam. Son exemple contribua beaucoup au rayonnement des Éditons Deman. C'est aussi par l'intermédiaire de Verhaeren que l'éditeur se vit confier la collection de la revue littéraire gantoise Le Réveil. Parmi les sept volumes, deux chefs-d'oeuvre ornés de vignettes de George Minne, les Villages illusoires (1895) de Verhaeren et les Trois petits drames pour marionnettes (1894) de Maeterlinck, dont Deman publia aussi le Théâtre (1901, 1902), illustré cette fois par Auguste Donnay.
Parmi les artistes, il faut citer Odilon Redon, Félicien Rops, Armand Rassenfosse, Georges Lemmen et Théo van Rysselberghe. Avec ses ornements, ce dernier réalisa sans doute le mieux l'idéal que Deman s'était fixé: ‘réaliser un décor purement ornemental, mais assez adéquat pour servir simplement de corollaire au [texte], sans contrarier l'impression que peut créer sa lecture. C'est, pensons-nous, le rôle secondaire auquel, lorsqu'il s'agit d'une oeuvre de haute intellectualité, doit seul prétendre ce qu'on était convenu d'appeler autrefois “l'illustration” du livre.’ Tous les artistes ne réussirent pas à combler l'éditeur exigeant: le peintre Léon Spilliaert à la carrière duquel Deman contribua beaucoup, s'avoua finalement incapable de dessiner une couverture et un cul-de-lampe pour Le Sculpteur de masques (1908) de Fernand Crommelynck.
Dans le sillage d'Henry Kistemaeckers, éditeur attitré du naturalisme belge et français, et de la Veuve Monnom, imprimeur des revues La Jeune Belgique et L'Art Moderne et des catalogues des XX et de La Libre Esthétique, Edmond Deman fut un des premiers à renouveler l'édition belge. A en juger par la marque qu'il fit dessiner par Fernand Khnopff, il en était clairement conscient: les initiales E.D. jouxtent un flambeau qu'un bras vigoureux reprend à une main affaiblie.
Dirk vande Voorde
adrienne et luc fontainas, Edmond Deman éditeur (1857-1918). Art et édition au tournant du siècle, Editions Labor et Archives et musée de la littérature, Bruxelles, 1997.