Septentrion. Jaargang 27

Cinéma

‘Licht’ de Stijn Coninx: une éducation sentimentale au Grand Nord

Dans l'histoire du cinéma flamand, l'année 1997 et la première moitié de 1998 ne seront certainement pas qualifiées d'exceptionnelles. Manneken Pis (1995), premier film de Frank van Passel, reste à ce jour inégalé, comblé entre-temps de nombreux prix internationaux. Le jeune cinéaste confirma son talent avec la brillante série télévisée Terug naar Oosterdonk (Retour à Oosterdonk). Pour ce qui concerne 1997, seuls Gaston's War (La guerre de Gaston) de Robbe de Hert (^o1942) et Hombres complicados (Des hommes compliqués) du talentueux Dominique

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Deruddere (^o1957) méritent d'être mentionnés. Après sa production européenne Suite 16 (1994), ce dernier ne fit plus parler de lui. N'ayant pu collecter les fonds nécessaires au financement de divers projets, las d'attendre plus longtemps, il réalisa avec le concours de quelques ‘amis’ Hombres complicados, film à ‘très petit budget’ dont Marc Didden (le réalisateur de Brussels by night, 1983) et lui-même avaient signé le scénario. Ce fut le premier long métrage que Deruddere, secondé par des acteurs aussi chevronnés que Josse de Pauw, Hilde van Mieghem et Dirk Roothooft, put réaliser en toute liberté. Résultat: une satire à la fois sombre et cinglante de la société contemporaine, inspirée du style de la bande dessinée, mais qui ne séduisit qu'un public somme toute assez restreint.

En dépit de Daens (1995), fresque épique unanimement acclamée et nominée à un Oscar, malgré ses films à succès antérieurs, les comédies Hector (1987) et Koko Flanel (1990), Stijn Coninx (^o1957) éprouva autant de difficultés que Deruddere à poursuivre sa carrière de cinéaste. Il dut se contenter de commandes telles que la réalisation de la bande-son pour la version flamande de la production Disney Le Bossu de Notre-Dame ou encore, la mise en scène de l'opéra Sacco et Vanzetti. Quant à ses projets Tijl Uilenspiegel et Damien of Molokaï, aucune avancée significative n'a été réalisée à ce jour.

En attendant des jours meilleurs, le cinéaste quelque peu déçu choisit de s'atteler à l'adaptation à l'écran du roman autobiographique Waar blijft het licht? (Où reste la lumière?, 1993)

L'acteur allemand Joachim Kroll interprétant le rôle du trappeur Lars.

de la Néerlandaise Heleen van der Laan, une coproduction réunissant la Belgique, les Pays-Bas, la Norvège et l'Allemagne. La phase préparatoire de la production posa, elle aussi, problème, la Commission flamande du cinéma ayant émis des réserves sur les coûts élevés, occasionnés par le tournage des extérieurs en Norvège. Finalement, il apparut que le réalisateur avait raison: les paysages de neige et de glace du Grand Nord, filmés en cinémascope, se révèlent encore plus importants pour son film le plus récent que ne l'étaient les sites polonais (avec, entre autres, les métiers à tisser obsolètes) pour Daens.

N'était l'authenticité de son scénario, Licht (Lumière, 1998) passerait aux yeux des spectateurs pour une histoire d'amour invraisemblable. Il se trouve, en effet, que le récit porté à l'écran fut réellement vécu par Heleen van der Laan, au moment des faits étudiante, âgée de 19 ans. Dans le film, Ellen (qu'interprète, excellemment dirigée, Francesca Vanthielen, présentatrice à la télévision flamande), à la recherche d'un petit boulot, s'enrôle sur un bateau qui explore le Grand Nord. Délaissant son ami, elle part pour l'île du Spitzberg où elle séjournera pendant six mois chez l'un des cinq trappeurs qui y mènent une existence primitive et solitaire. Lars

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(l'acteur allemand Joachim Kroll), le trappeur chez qui Ellen emménage, est un illustre inconnu qui ne répond nullement à ses attentes. Il est à cent lieues d'incarner le ‘héros du Grand Nord sauvage’ tel qu'elle se l'est imaginé. Lars est un petit bonhomme maladroit et taciturne. Les conditions de vie pénibles et le comportement du trappeur n'ont guère de quoi séduire la jeune fille. Il n'empêche qu'elle s'adapte, tant bien que mal. Toutefois, lorsqu'au terme de la longue nuit polaire, le soleil fait sa première réapparition, Ellen commence à éprouver une certaine compréhension, voire admiration pour l'homme qui dans des conditions quasi inhumaines réussit à tenir le coup. Dès lors, Lars est saisi sous un autre ‘éclairage’. Elle finit par se donner au trappeur amoureux et entre les deux naît une relation apparemment passionnelle.

Mais de là à passer le reste de ses jours sur les terres inhospitalières du Grand Nord, il y a un pas qu'Ellen n'est pas prête à franchir. La scène des adieux, déchirante, est particulièrement pénible pour Lars: Ellen, tout aussi impitoyable qu'opportuniste, met brutalement un terme aux illusions qu'il a caressées.

Sur le plan technique, le quatrième long métrage de Coninx illustre sa parfaite maîtrise du métier de cinéaste. Le scénario écrit par le Néerlandais Jean van de Velde ne risque à aucun moment d'ennuyer le spectateur: les scènes intimistes tournées à l'intérieur de la cabane isolée, alternent avec des paysages pittoresques et des scènes d'action où l'on assiste à la chasse aux phoques et aux renards. Coninx fut brillamment servi par la photographie prodigieuse signée Theo Bierkens lequel, engagé comme caméraman par Orlow Seunke pour son film Pervola (1985), avait ainsi eu l'occasion de se faire la main dans le Grand Nord. En outre, le cinéaste put faire appel au talent et à l'expérience de deux Flamands: Fred Brossé pour la musique et Ludo Troch pour le montage, tandis que le Norvégien Karl Juliusson, qui réalisa aussi les décors de Breaking the Waves, se chargea de la direction artistique.

En dépit de ce savoir-faire impressionant, Licht ne se hisse évidemment pas au niveau de Daens. C'est surtout sur le plan du contenu que Coninx déçoit quelque peu. Sa vision selon laquelle ‘l'on peut tomber amoureux de l'autre pour autant qu'on veuille bien le mettre en lumière’ se révèle un tantinet naïve dans un film axé sur les caprices d'une jeune citadine férue d'aventures. Il s'ensuit que les tensions, présentes dès le départ entre les deux protagonistes, ne conduisent pas vraiment au drame. Ce qui domine dans le film, c'est l'agacement que provoquent chez une citadine gâtée toutes sortes de détails insignifiants dus à l'isolement et au manque de confort élémentaire. Heureusement, le cinéaste réussit, par le biais de l'humour, à relativiser les contrastes entre les deux personnages. Ce goût du comique qui habite Coninx s'était déjà manifesté dans tous ses films antérieurs, y compris dans Daens, pourtant profondément tragique.

Ces quelques réserves portant sur le fond n'y feront rien: le spectateur qui suit docilement le récit et se laisse éblouir par la photographie somptueuse trouvera Licht un très beau film, ce que confirme d'ailleurs son taux de diffusion plus qu'honorable dans les salles flamandes. Il s'agit là d'un encouragement que ne manquera pas d'apprécier un cinéaste passionné qui, en compagnie de son équipe, eut à affronter des conditions météorologiques particulièrement éprouvantes.

Toujours dans l'attente de projets d'envergure, Stijn Coninx prépare actuellement un film inspiré du roman à clés politique Mont Ducal dû au Flamand Hugo de Ridder, ancien journaliste politique. Le film dressera le portrait d'un homme politique idéaliste, acculé à contre-coeur à toutes sortes de compromissions.

Wim de Poorter

(Tr. U. Dewaele)