Anton van Wilderode (1918-1998), un Virgile flamand
Aussi curieux que cela puisse paraître, le décès, à la veille de ses quatre-vingts ans, du prêtre-poète Anton van Wilderode a provoqué quelque agitation en Flandre. Le journal télévisé ne l'ayant pas annoncé, cette omission a généré une foule de lettres de téléspectateurs et une marée de critiques dans la presse catholique. Une fois de plus, on y présenta l'écrivain comme le symbole d'un art poétique classique, des idéaux du Mouvement flamand et de la conception catholique de la vie. Les vieux débats sur l'intérêt d'une littérature ‘classique’ dans un contexte moderniste et postmoderniste et sur le statut précaire d'une culture ‘catholique’ de notre temps se sont à nouveau déchaînés. La mort de Van Wilderode, c'est du moins ce qu'affirmaient certains, ne sonnait rien de moins que le glas de la littérature catholique en Flandre.
Cette modeste controverse s'explique en fin de compte par le rôle central joué par Anton van Wilderode dans la Flandre d'après-guerre, tant sur le plan littéraire que social. D'un point de vue littéraire, Van Wilderode passait et passe toujours pour l'un des plus éminents représentants de l'esthétique classique. Au cours de sa vie, le poète collectionna les lauriers de presque tous les prix littéraires prestigieux. Pour son recueil de poèmes Dorp zonder ouders (Village sans parents), il obtint en 1980 le prix triennal de l'État, et sept ans plus tard on le lui décerna derechef en couronnement de sa carrière d'écrivain. En 1975, il obtenait un Doctorat honoris causa de la Katholieke Universiteit Leuven, et, en 1980 il se voyait décerner à Hambourg le prix Joost van den Vondel. Enfin sa traduction de Virgile, portée partout aux nues, lui valut le prix Koopal en 1975. Mais l'intérêt d'un large public pour son oeuvre est au moins aussi important que cette estime institutionnelle: ses Verzamelde gedichten (Édition complète de ses poèmes) volent de réédition en réédition, et certaines publications poétiques (surtout des albums de photos illustrés de poèmes) connurent des tirages inouïs de plus de 25 000 exemplaires.
Ce succès tant auprès du public que des critiques appelle toutefois quelques commentaires: on constate qu'Anton van Wilderode est invariablement resté un poète ‘flamand’ typique; en dépit de tentatives répétées de diffuser également son oeuvre aux Pays-Bas, sa poésie est pratiquement inconnue au-dessus des grandes rivières néerlandaises. Ce caractère ‘provincial’ de son oeuvre découle lui aussi de son très net profil catholique et flamand, caractéristiques qui marginalisent presque automatiquement aux Pays-Bas.