‘où il existe un refuge, un abri, sans opinions, où l'absence offre au regard sa poésie difficile à saisir’. A Bruxelles, par contre, il éprouve ‘la perte de solidarité, d'identité, de morale au sens net, bourgeois, d'action efficace, de talent d'organisation et de conscience de soi critique - presque rien de cette synoptique, qui permet de peser les opinions au gramme près, mais au lieu de cela une sorte de dilatation de la personnalité qui ne peut vous gagner que dans les villes mondiales.’ Et il conclut: ‘C'est à la lisière de l'emploi indifférent de la langue et de l'espace que se cache tout l'intérêt et aussi tout le charme putassier de Bruxelles - un peu comme si la langue s'adaptait à l'architecture chaotique; à moins que celle-ci n'y ait été la première et que les gens n'y aient appris à parler de travers tout comme ils construisent?’
Il traite indirectement de Venise en s'en prenant vivement au Contre Venise (Gallimard, 1995) de Régis Debray. La répulsion de Debray pour Venise et son plaidoyer pour Naples (qui offrirait encore la vie ‘authentique’ contrairement à la ‘décadente’ Venise), il les démasque comme un snobisme déguisé en antisnobisme. La violence de l'attaque donne à penser qu'Hertmans combat également son Debray intérieur.
A Marseille (‘rien que l'immédiateté, la légèreté, la bigarrure et la frivolité’) qui n'a pas réussi comme Trieste à sublimer son commerce portuaire en culture bourgeoise, il observe le maghrébin émancipé moyen: ‘Il est au plein sens du terme tombé dans une faille de l'histoire et cela se traduit par un érotisme fulgurant, désespéré, qui tient précisément sa violence des
Edward Hopper, ‘La ville’, 1927, collection ‘University of Arizona Museum of Art’.
miasmes et de l'obscurité de ses fondements, faits de longues traditions d'amour interrompues, de déracinement et de nostalgie, épicés de sensations nouvelles, de défonces, d'attitudes et de petites manières nouvelles, argent rapide et sexe rapide.’
Aussi voit-il, dans la désolation des banlieues de Marseille, mijoter une nouvelle citadinité qui n'est plus ni citadine ni rurale, mais seulement indéterminée, brutale et indifférente.
Il est impossible de résumer cet ouvrage, tout comme il est impossible de résumer les villes. Ne confondez pas la ville avec les mots qui la décrivent, prévenait Italo Calvino. Hertmans refuse de jouer les villes les unes contre les autres comme le fait Debray. ‘La culture européenne se dissémine dans des villes, qui prises chacune à part dénoncent la définition univoque du mot culture. La culture actuelle se nourrit de la négation d'une culture immuable.’ La ville est une jungle mais aussi l'univers de l'infini possible, un lieu d'anonymat salvateur et déprimant, d'attraction érotique vécue impunément (on n'est pas loin de Walter Benjamin).
Tout cela fait bien l'affaire d'Hertmans. Son oeuvre est du reste un minage incessant du