combativité naïvement optimiste assez coutumière dans les milieux gauchistes vers 1970: Robberechts voulait doter les lecteurs d'un ‘pouvoir de lecture sur tous les textes dont ils sont bombardés quotidiennement’; il considérait volontiers la lecture de son texte total comme une préparation mentale à une praxis révolutionnaire: ‘Et ainsi le texte total serait peut-être utilisable pour ceux qui seraient appelés à développer la culture nouvelle qui correspondrait à un ordre social juste: comme un inventaire de ce qu'une culture ancienne avait à leur offrir dans le cadre d'un média déterminé, à titre de préparation à l'expropriation effective’.
Le désir de supprimer l'arbitraire, qu'il considérait comme éminemment caractéristique du récit, jouait certes aussi un rôle dans le projet de Robberechts. Le genre lui répugnait: le récit, et par extension le roman, est à ses yeux trop spectaculaire, trop axé sur l'intrigue, et donc sur la fin, de sorte que tout ce qui ne cadre pas avec celle-ci est éliminé. Dans son texte total, il entend combattre cet arbitraire du narrateur en essayant de prêter attention à tout ce qui se soustrait au regard, d'être attentif à tout ce qui précisément est dépourvu de récit. De plus, il souhaite voir considérablement élargi l'éventail de types de textes, notamment en prenant aussi en considération des textes non littéraires surtout. Et, évidemment, chaque mot devait être réfléchi et justifié au niveau des transformations rhétoriques. Pour faire cela avec la plus grande efficacité possible, il voulait, à l'occasion, faire appel à l'ordinateur, par exemple pour établir les fréquences des mots.
Jugeant trop arbitraire la concentration sur quelques personnages, Robberechts augmentait leur nombre:
TT compte vingt-six protagonistes, dont les initiales couvrent tout l'alphabet, d'Adolphine Auwaert à ‘Zebedeus de Zitter’ (Zébédée Le S(Z)édentaire), alter ego de l'écrivain. Dès les premières pages, nous sommes par ailleurs amplement informés du scandale du
Watergate, du coup d'État contre Allende, de l'emprisonnement du Vietnamien Le Thi Do, d'un scandale de la Régie des télégraphes et des téléphones en Belgique, des machinations de la multinationale ITT, mais l'auteur accorde aussi une place à des récits kitsch, aux conditions météorologiques, à des matches de football, à des épreuves colombophiles et au marché des valeurs. Au début, cela donne l'impression d'un fouillis inextricable, mais la partie II de
TT peu à peu parvenait à me captiver et à me convaincre. Lentement mais sûrement des liens ténus se tissent entre tous les personnages du récit, tous parents, familiers ou covillageois les uns des autres. Il naît des parallèles et des contrastes. Le pur hasard calculé du texte total se voit petit à petit sapé de l'intérieur. En quelques centaines de pages, Robberechts dévoile ici un monde sur lequel la plupart des romans ne nous donnent en effet jamais rien à lire: le monde intérieur de gens tout à fait modestes, souvent pauvres et dépendants, parfois à peine lettrés, leurs angoisses, leurs rêves
éveillés misérables, leurs opinions et désillusions désolantes qui ne font jamais l'objet de la moindre étude de marché et parviennent rarement à s'imposer dans la tête d'autrui, bref, tout ce qui fermente et ronge sous le rire de circonstance ou le regard absent.
TT prend ainsi, par intermittences, d'une manière tâtonnante et palpable comme seule la grande littérature est à même de faire, l'allure d'une image pénétrante et révélatrice d'une époque.
Dans la partie III suit enfin l'aveu: ‘Je ne rejette plus la fiction’. Les meilleurs fragments