Septentrion. Jaargang 25
(1996)– [tijdschrift] Septentrion[p. 2] | |
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Peter Vos, ‘Vogeldagboek’ (Journal d'oiseaux), plume et pinceau, 1992.
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Magie et maîtrise: à propos du dessinateur
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Peter Vos, ‘Uil’ (Hibou), pinceau, 1981 (Photo Gerard Helt).
Même à ne voir que quelques-uns de ses innombrables dessins d'oiseaux, on se réalise qu'ils ont été faits par un observateur exceptionnellement attentif. Mais il y a plus. Les oiseaux, à l'exception d'un hibou endormi ou d'un héron au guet, ne sont pas au repos. Ils ne prennent pas la pose. Apparemment des moments de concentration intense suffisent à Vos. Il retient l'aspect, les attitudes et les mouvements avec une telle précision, qu'il est en mesure de les rendre en détail après l'observation. D'ailleurs sa mémoire visuelle ne l'aide pas seulement lors de ses études d'après nature, mais aussi lorsqu'il dessine ses trouvailles bizarres, lorsqu'il aide Dieu et Darwin en créant des mutations issues de sa propre imagination. De nouveaux spécimens, résultats du croisement du moineau et de l'avocette, ou du moineau et du dodo - oiseaux pourtant bien différents - naissent par la main de l'artiste. Tout comme les effrayantes harpies mythologiques qui sont l'oeuvre commune de ses connaissances anatomiques et de son don de l'imagination. Il en va souvent ainsi chez Vos. Lorsque ses bouvreuils et ses vanneaux portent des pantalons et des souliers, vous n'avez pas l'impression que cela soit anormal. La nature est illimitée dans son imagination et sert en cela d'exemple créatif à Vos. Il vous donne l'impression que ses variantes et ses créations existent réellement, qu'on ne doit qu'au hasard de ne pas les avoir déjà vues. La présentation de ses inventions les plus fantastiques est si explicite qu'elles semblent toujours crédibles. Peu d'artistes - même parmi les surréalistes - entremêlent, avec autant d'apparente négligence, le réalisme et la magie, la réalité et le merveilleux. | |
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Peter Vos, ‘Nachtwacht’ (La ronde de nuit), pinceau, 1988.
Après ses années de lycée, Vos suivit les cours de l'Académie des Beaux-Arts d'Amsterdam. ‘On était encore obligé d'assister aux cours’ se souvient-il, ‘de 9 à 12, de 1 à 4 et de 7 à 9’. Cela en dit long sur la discipline qui régissait autrefois l'apprentissage des peintres et des dessinateurs. Vos conservera toujours ce côté studieux. En témoignent les milliers de pages qui donnent l'impression que toute une famille de Vos travaille sans relâche. Très tôt son niveau est déjà élevé. Il réalise le tendre Portret van pappa (Portrait de papa) lorsqu'il a vingt ans. Plus tard il compose un livre de pastiches dans lesquels le père paralysé apparaît sous différentes formes, comme pape, clown, ou invalide, ou encore dessiné à la manière des hommes préhistoriques, de Lautrec ou de Picasso, de Steinberg ou d'autres maîtres. Certains sont choqués, mais Vos sait que l'on peut aller loin lorsqu'on aime. Une grande partie de son oeuvre s'inspire d'ailleurs de l'intimité. Nombre de ses dessins sont dédiés à une personne aimée ou à un ami; il a dessiné d'innombrables fois son fils Sander dans des rôles toujours changeants, même celui d'arbre. Il envoie à l'enfant des lettres et des cartes fantastiques venant du cosmos: ‘Cher Sander, je suis tellement loin maintenant. A partir de Pluton il n'y avait plus de navette spatiale, j'ai dû faire du stop et marcher beaucoup. Les timbres-poste sont chers (120 Z5 + pour un entier). Je n'avais que 100 Z5 +, alors l'oedicnème devant le guichet m'en a donné un dont il a enlevé un coin et qu'il a déchiré un petit peu, parce que c'était moi’. | |
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Peter Vos, ‘Portret van pappa’ (Portrait de papa), plume, 1955.
Lorsque son humeur le lui dicte, Vos récite de la poésie dans toutes les langues, son répertoire de chansons populaires ou mélo, de comptines et de chants religieux en latin est sans limites. Il est certain que sa créativité se nourrit du respect qu'il a pour tout ce que les hommes ont inventé et fait. Il n'a jamais caché qu'il considère son éducation catholique comme un atout car le catholicisme est riche en miracles spectaculaires, c'était donc, selon Vos, ce qu'il y avait de mieux. Lorsqu'on étudie son oeuvre de façon approfondie, on se demande comment il a pu concilier en lui l'illustrateur en service et l'artiste libre. Il a toujours été un illustrateur très demandé. Le grand public aux Pays-Bas le connaît comme collaborateur régulier de l'hebdomadaire Vrij Nederland. Il illustra les Sprookjes van de Lage landen (Contes des Plats Pays) ainsi que l'oeuvre de Cortazar, de Renard, Caroll et Lear et celle d'auteurs néerlandais de renom tels que Leo Vroman (o1915) et Annie M.G. Schmidt (1911-1995). Il réalisa des dessins pour d'innombrables livres pour enfants et refuse d'illustrer les oeuvres d'auteurs avec lesquels il n'a pas d'affinités. Entre-temps la question reste de savoir si dans son oeuvre libre, dans ses hiboux, marabouts, grenouilles, cigales et autres créatures, il n'atteint pas une plus grande intensité. Le dessin d'après nature, en dehors de toute préoccupation littéraire, répond sans doute à un besoin profond. Si la devise du zoo d'Amsterdam ‘Artis Natura Magistra’ a jamais été applicable, c'est bien dans ce cas-ci. D'ailleurs bon nombre de dessins furent réalisés dans ce zoo. Mais l'oeuvre libre est beaucoup plus étendue. A mon avis, Vos est le plus émouvant dans ses fantasmagories, ses métamorphoses, arlequinades et mascarades. Elles sont issues d'un esprit pour lequel les classiques, les légendes et tant d'autres richesses culturelles n'ont pas été perdus. Les figures issues de l'abondance de cet esprit sont souvent d'une mélancolie indicible. En tant qu'illustrateur, Vos est généralement léger ou agréablement scabreux; | |
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Peter Vos, ‘Gelag’ (Ripaille), plume et pinceau, 1988.
dans son oeuvre libre apparaissent des personnages désespérés, des buveurs ivres morts, affaissés sur les tristes tables d'endroits sans espoir. Ils n'en ont plus rien à faire de la vie, leurs visages enveloppés de chiffons comme pour cacher leur honte. Dans certains dessins au pinceau tels que Yorick's zorgen buiten (Les soucis de Yorick dehors, 1985) ou Gelag (Ripaille, 1988) la comédie humaine atteint le fond et l'idée s'impose que ces mascarades pourraient exprimer plus de données autobiographiques que l'on ne soupçonnait à première vue. Il arrive que l'on parle sur un ton condescendant de l'oeuvre de Peter Vos. On l'admire mais que doit-on en faire dans une époque d'expressionnisme abstrait, d'art photographique assisté par ordinateur, d'installations qui ouvrent de nouvelles perspectives? Un dessinateur de formation classique n'est-il pas une ombre perdue dans ce paysage? Et, en plus, un homme qui a renoncé à devenir peintre. Les quelques tableaux qu'il a faits sont introuvables. On n'entend que très rarement la voix de Peter Vos dans le débat sur ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas dans l'art contemporain, sur les tâches et les responsabilités de l'artiste moderne. Il n'en a certainement pas le temps. Tout au plus quelque remarque isolée. Qu'on bricole beaucoup ces derniers temps ou quelque chose de ce genre. Une affirmation comme celle-ci ne doit pas étonner de la part d'un artiste qui maîtrise son art à ce point. | |
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Un rédacteur en chef néerlandais suggérait récemment d'installer une salle Peter Vos au Musée d'État d'Amsterdam, où son oeuvre serait exposée en permanence. Ce ne sera probablement pas pour ce siècle, mais on peut espérer qu'il y aura d'autres siècles. Il n'est pas impensable que, dans l'avenir, les responsables de la politique culturelle s'apercevront un jour qu'il n'est pas si idiot d'accorder une salle à ce merle blanc du xxe siècle.
ED LEEFLANG Poète. Adresse: Biesboschstraat 52/II, NL-1078 MX Amsterdam.
Traduit du néerlandais par Flory Corbex-Buvens. |