Septentrion. Jaargang 25

Musique

L'année des ensembles musicaux, ou ‘la bande des dix-huit’

Les Pays-Bas sont très riches en orchestres. Le curieux de la chose, c'est que d'un côté certains orchestres périclitent, voire disparaissent, et d'un autre côté il en arrive constamment d'autres. En 1980, le pays comptait 21 orchestres symphoniques, en 1996, il n'en reste que quatorze qui par an attirent 1,25 million de visiteurs et reçoivent de l'État un financement global de 85 millions de florins (280 millions de FF / 1,7 milliards de FB).

Et puis il y a l'autre aspect: l'émergence des

[p. 140]

ensembles, non point d'authentiques orchestres symphoniques, mais des regroupements hétéroclites qui accaparent une partie non négligeable du marché musical. Les dix-huit ensembles qui se sont produits pour la première fois en commun en 1995, donneront au cours de la saison 1995-96 - baptisée pour la circonstance ‘Année des ensembles’ - pas moins de 471 concerts, répartis sur 49 villes des Pays-Bas. Certes, ces ensembles ne constituent pas vraiment une menace immédiate pour les orchestres symphoniques traditionnels; le public souhaitera toujours entendre du Beethoven, du Brahms ou du Bruckner. Cependant, ils forment un facteur important (et souvent novateur) de la vie musicale. Ou, pour reprendre les termes de leur propre manifeste: l'ancrage commun à ces ensembles néerlandais, c'est le ressort même qui est à leur origine, c'est-à-dire le besoin impérieux que ressentent musiciens, compositeurs et chefs d'orchestre de prendre eux-mêmes les rênes et de jouer leur propre répertoire au niveau le plus haut possible, selon leurs propres convictions. Cette nouvelle génération de musiciens a donné à la vie musicale des Pays-Bas une nouvelle impulsion et un nouvel élan. Il n'y a pas d'autre endroit au monde où existe sur un nombre si réduit de kilomètres carrés une telle diversité, vitalité et qualité dans le domaine musical.

‘Ce qui nous unit, c'est l'exigence’ déclara récemment un des novateurs de la culture musicale, le chef d'orchestre Reinbert de Leeuw, fondateur du Schönberg Ensemble, ‘et ce

Le ‘Nieuw Sinfonietta Amsterdam’, membre de ‘la bande des dix-huit’ (Photo Marco Borggreve).

qui nous unit encore davantage, c'est la toile inoffensive que tissent ces ensembles à l'intention d'un public réceptif’. La polyvalence règne effectivement au sein de ‘la bande des dix-huit’. Hormis le Schönberg Ensemble déjà cité, il s'agit des ensembles suivants: Amsterdamse Bach Solisten, The Amsterdam Baroque Ensemble & Choir, Asko Ensemble, Combattimento Consort Amsterdam, Doelenensemble, Ebony Band, Ives Ensemble, Maarten Altena Ensemble, Nederlandse Bachvereniging (choeur et orchestre), Nederlands Blazers Ensemble, Nederlands Kamerkoor, Nieuw Ensemble, Nieuw Sinfonietta Amsterdam, Orkest van de Achttiende Eeuw, Orkest de Volharding, Slagwerkgroep Den Haag et Willem Breuker Collectief. Certains d'entre eux ont dû s'escrimer à obtenir des subventions (Nieuw Sinfonietta Amsterdam, Orkest van de Achttiende Eeuw), d'autres réussirent à s'assurer une confortable aide publique (Nederlands Kamerkoor). Bien que bénéficiant de parrainages, plusieurs d'entre

[p. 141]

eux finirent quand même par empocher des subventions gouvernementales. Il ne se passe pas de journée sans qu'un ensemble se produise quelque part. Bien souvent plusieurs représentations ont lieu dans différentes villes en même temps.

Pour le moment il n'est pas encore possible de savoir avec précision si les orchestres symphoniques perdent du terrain. Cependant lors d'un forum tenu dans le cadre de cette ‘Année des ensembles’, certains porte-parole firent remarquer: ‘notre intention n'était nullement de marcher sur les brisées des orchestres symphoniques, mais, il est évident que certaines initiatives émanent bel et bien de chez nous. Ainsi nous avons réussi à instaurer aux Pays-Bas un climat musical beaucoup plus convivial que dans certains pays tels que la France, l'Angleterre et l'Allemagne. Il existe une interaction entre l'ancien et le nouveau, ce qui constitue plutôt un fait unique’. Et ajoutèrentils: ‘Quels ingrédients faut-il réunier pour créer un véritable ensemble? On choisit ses partenaires ainsi que la musique et la manière dont cette musique est rendue. L'alchimie de cet ensemble réside dans cette dynamique qui nous anime’. Le lecteur aura compris que dans ces dix-huit l'ancien et le nouveau sont largement représentés: du baroque authentique (Combattimento Consort, The Amsterdam Baroque Ensemble) à la musique improvisée (Willem Breuker Collectief) et d'avant-garde (Nieuw Ensemble). Le plus beau fleuron de ces ensembles est le Nederlands Kamerkoor dont les interprétations de musique ancienne sous la direction de Paul van Nevel font jeu égal avec les productions de la Nieuwe Weense School dirigée par Reinbert de Leeuw. Le genre ‘Entartete Musik’ est magnifiquement restitué par l'Ebony Band mené par le hautboïste solo du Koninklijk Concertgebouworkest, Werner Herbers, et les compositeurs russes (Chostakovitch, Tchaïkovski) conservent leurs accents russes sous la baguette du chef d'orchestre russe Lev Markiz. Ce qu'ils ont en commun c'est le fait qu'ils éditent des CD surprenants et qu'on ait fait appel à eux dans plusieurs productions lyriques et théâtrales. Ainsi le Combattimento Consort peut se prévaloir d'une magnifique série de représentations de Didon et Énée, opéra de Purcell, dans une mise en scène signée Erik Vos; au mois de novembre on n'a même pas hésité au Koninklijk Theater Carré à Amsterdam à le reprogrammer le même soir en raison de l'énorme enthousiasme manifesté par le public.

Celui qui se donne la peine de trouver les preuves d'un haut degré de professionnalisme chez ces formations très variées des Pays-Bas, ne se sentira pas frustré. Leur rayonnement a franchi les frontières. Elles font de nombreuses tournées à l'étranger: un rythme de dix à vingt manifestations par mois pendant une même saison n'a rien d'exceptionnel.

Signalons au lecteur quelques représentations prévues entre les mois de mars et mai 1996: le 19 mars à Bruxelles, le Nederlands Kamerkoor et l'Orkest van de Achttiende Eeuw exécutent la Passion selon saint Matthieu de Bach. Le 28 mars, le Nieuw Sinfonietta Amsterdam se produit à Gand (oeuvres de Kantcheli, Mozart, Brahms). Le 14 avril, on peut entendre le Willem Breuker Collectief à Anvers, le 13 mai, le Nederlands Blazers Ensemble (avec les prodigieux joueurs d'instruments à vent issus des orchestres symphoniques) se produit à Bruxelles. Toujours à Bruxelles: le 21 mai, c'est au tour du Schönberg Ensemble. Enfin, entre le 25 juin et le 4 juillet, dans plusieurs endroits en Belgique on aura l'occasion de faire la connaissance des Amsterdamse Bach Solisten.

Au cours de l'actuelle saison musicale on présente au public des projets de CD, des documentaires de télévision et des programmes de radio. Impossible donc d'échapper à ‘la bande des dix-huit’!

Jan Rubinstein

(Tr. J. Deleye)