Histoire
Églises et carrosses: des Français à Utrecht
S'il n'avait tenu qu'à l'abbé de Saint-Pierre (1658-1743), c'est la ville néerlandaise d'Utrecht qui serait le coeur de l'Union européenne. Ce politologue était secrétaire de la délégation française à cette Paix d'Utrecht qui mit un terme aux luttes de compétence entre quasiment toutes les puissances européennes. C'est alors et en ce lieu que l'abbé conçut son ‘Projet de paix internationale’, une sorte de ligue européenne d'États, dûment dotée d'un système de sécurité et d'une obligation d'intervention commune si l'une des parties devenait foyer de troubles. Ces années-là, c'était la République néerlandaise des Sept Provinces Unies qui donnait le ton à la politique européenne.
Je suis tombé sur cette donnée historique dans le charmant opuscule de l'historien Dick Berents intitulé Kerken en Karossen (Églises et carrosses); offrant un survol de la présence française à Utrecht, ce petit ouvrage a été édité à l'occasion du centenaire de l'Alliance française dans cette ville. Après la guerre franco-allemande de 1870, la France ressentit le besoin d'affirmer sa présence culturelle à l'étranger, offre accueillie avec faveur notamment par l'intelligentsia néerlandaise, préoccupée par l'hégémonique poussée uniformisatrice allemande impulsée alors par Bismarck.
Les vicissitudes de la section de l'Alliance française d'Utrecht (professeurs, étudiants, romanistes, pasteurs et membres de l'Église wallonne, etc.) épousent celles de l'histoire française: on note par exemple un déclin au cours de l'Affaire Dreyfus; une grande circonspection au cours de la première guerre mondiale (les Pays-Bas étaient neutres) et un vigoureux essor après l'occupation allemande de 1940-45. C'est après la seconde guerre mondiale que Simone de Beauvoir, Camus, Barrault, Sartre firent, entre autres, acte de présence à Utrecht.
Dick Berents a fait un choix parmi les nombreux souvenirs couchés par écrit entre 800 et 1900 par les Français qui visitèrent la ville, depuis Alcuin de Tours jusqu'au facteur d'orgues Cavaillé-Coll. Si l'on répartit leurs contributions en rubriques, on note qu'au Moyen Age, il s'agissait de sommités du monde ecclésiastique, aux xvie/xviie siècles de hauts fonctionaires, au xviiie d'étudiants qui accomplissaient leur ‘grand tour’ d'Europe et faisaient relâche à Utrecht; au xixe (songez aux chemins de fer!) de touristes français en route pour le nord qui faisaient étape à Utrecht. Leurs souvenirs de la ville variaient en fonction de leur caractère, de la qualité du temps, du succès ou de l'échec de leurs entreprises!
Du point de vue géographique, Utrecht constitue l'épicentre des Pays-Bas actuels; du point de vue historique, le coeur du processus civilisateur consécutif à l'établissement dans la ville en 695 du siège épiscopal de saint Willibrord. La ville était alors encore arrosée par le Rhin dont le cours s'infléchirait plus tard vers le sud pour se jeter dans la mer au niveau de Rotterdam.
Le siège épiscopal d'Utrecht a été occupé par des évêques qui renvoient à la France, notamment David de Bourgogne (1456-1496). Mais il ne fut pas reconnu par les habitants d'Utrecht; c'est sans doute pour cela que le fugitif français Thomas Basin jugeait les gens d'Utrecht qu'il rencontra ‘bêtes et perfides’. ‘Les habitants de la ville entretiennent des querelles politiques invétérées (...) on y voit le père nourrissant contre le fils, le frère contre le frère, la femme contre le mari, une ardente haine partisane.’ Il se peut qu'il ait eu raion, vu que les