jury qui lui a accordé en 1993 le prix Thersites des critiques dramatiques flamands, prouve à la fois sa grande maîtrise ainsi que sa flexibilité créatrice.
A la Blauwe Maandag Compagnie, Decleir a joué le rôle de Trigorine dans La mouette de Tchekhov (saison 1989-90), il a été le ‘régisseur’ dans un projet d'Ingmar Bergman (saison 1991-92), et il fut un impressionnant Antonius, homme tiraillé entre la passion et la raison mais aussi entre la vérité et l'illusion, dans All for Love de John Dryden (en 1993). En 1986, il était par ailleurs déjà sorti pendant quelque temps de sa tournée en solo en jouant dans Wolfsklem (Piège à loups), pièce inspirée de l'épopée animale Ysengrimus (Isengrin) du xiie siècle, sur un texte de Roobjee et une musique de Jean Blaute. A ses côtés y débutait notamment l'actrice Els Dottermans, qui devint par la suite une des figures centrales de la Blauwe Maandag Compagnie. L'intérêt renouvelé de Decleir pour le travail en équipe et pour la ‘jeune violence’ se concrétisa entre-temps dans l'impulsion donnée à un groupe de jeunes diplômés avec lesquels il mit en scène en 1990 Mijn zoetje junior (Mon doux junior), une nouvelle pièce de Roobjee, et en 1991 Le songe d'une nuit d'été de Shakespeare, dans un arrangement de Claus. Cette jeune troupe fonctionne maintenant indépendamment sous le nom 't Gebroed (La racaille).
Jan Decleir n'est pas du style acteur free-lance papillonnant volontiers de-ci de-là. On peut conclure de ce qui précède qu'il aime s'entourer d'artistes avec lesquels il se sent des affinités. C'est un acteur qui trace ses propres repères. Dans son art, l'émotivité importe plus que le dernier cri. C'est un arbre profondément enraciné dans le terroir de la culture flamande, à haute tige et aux branches très larges. L'engagement social dans son oeuvre lui a valu, en 1988, le prix Louis Paul Boon (auteur naturaliste flamand, 1912-1979).
Cette même forte personnalité, nous la retrouvons dans sa carrière cinématographique et télévisuelle. Depuis les années 70, Decleir est, pour ainsi dire, le visage viril du film flamand: garçon de ferme passionné, chevalier tourmenté, soldat déchiré, ouvrier dégradé par le capital, combattant pour la liberté, commissaire de police, pilleur d'épaves, prêtre engagé dans le combat social. A côté de scénarios actuels, il s'agit notamment d'adaptations cinématographiques de romans flamands tels que De loteling (Le conscrit, roman de 1850; 1973) et De leeuw van Vlaanderen (Le lion de Flandre, roman de 1838; 1984) de Hendrik Conscience (1812-1883), Mira (1972), d'après De teleurgang van de Waterhoek (Le déclin du Waterhoek, 1927) de Stijn Streuvels (1871-1969), Rolande met de bles (Rolande à la houppe, roman de 1944; 1973), d'après Herman Teirlinck, Daens (livre publié en 1971; 1992), d'après Louis Paul Boon ou Het sakrament (Le sacrement, 1989) d'après Omtrent Deedee (A propos de Dédé, 1963) de Hugo Claus.
Jan Decleir déclarait, dans une récente interview accordée à l'hebdomadaire flamand Humo, qu'il n'a pas l'impulsion créatrice de continuer jusqu'à ses soixante-dix ans. Il annonçait toutefois encore une grande éruption, le saut ultime par lequel il s'efforcerait d'approcher au mieux ce qu'il veut être réellement. Mais, ajoutait-il, riant sous cape, ‘cela risque à nouveau de tomber dans le trop grandiose et le trop captivant’.
FRED SIX
Critique de théâtre.
Adresse: Roggelaan 68, B-8500 Kortrijk.
Traduit du néerlandais par Willy Devos.