Dans Het circus van de slechte smaak (Le cirque du mauvais goût, 1986) se décèlent, à travers le bagou avec lequel il poursuit son grand nettoyage de la littérature, les piliers sur lesquels il entend reconstruire après sa rage destructrice. Gerard Walschap (1898-1989), l'un des principaux auteurs flamands du xxe siècle, est intouchable aux yeux de Lanoye en raison de son style inégalé. Et chez le poète et critique néerlandais Hans Warren (o1921), auquel il a consacré son mémoire de licence, Lanoye apprécie une dimension qui, selon lui, fait défaut chez beaucoup d'autres auteurs: ‘un doux désespoir légèrement cynique’. Derrière cet iconoclaste semble se dissimuler une nature sensible, une détresse existentielle. Dans la sélection de textes anciens et nouveaux Vroeger was ik beter (J'étais mieux jadis, 1989), il explique comment le ‘mauvais goût’ - par lequel il entend: une écriture à rebours, irrégulière - constitue l'unique réponse possible à la banalité omniprésente de la vie. ‘La seule chose que l'on puisse faire est de chanter une élégie sur l'inéluctabilité de la banalité, qualifier cette élégie d'art et espérer qu'elle apporte quelque consolation. Et continuer à attendre la mort.’ Pareil ton élégiaque, inspiré par une aspiration que l'amour imparfait ne parvient pas à satisfaire non plus, prédomine dans le recueil de poèmes plus mûr Hanestaart (Queue de coq, 1990). Avec cette combinaison paradoxale de brutalité anarchiste et de désespoir cynique, Lanoye se fait
l'interprète d'une conception contemporaine de la vie.
Le théâtre et la prose créatrice de Lanoye peuvent être qualifiés d'hyperréalistes: il tend au public un miroir de la réalité où la banalité est fortement soulignée, ce qui aboutit quelquefois à un surréalisme ostensible. Il écrit en outre sur la Flandre, et surtout sur ses gens du peuple, avec une certaine distance qui, balançant entre moquerie, nostalgie et sympathie, fait songer par-ci par-là à Hugo Claus (o1929). Il n'empêche que s'y exprime aussi la sensibilité. Le récit qui donne son titre au recueil Een slagerszoon met een brilletje (Un fils de boucher avec des lunettes, 1985) fait grande impression parce que Lanoye y aborde de manière convaincante, et se dépouillant du spectacle littéraire qu'il a l'habitude de montrer ailleurs, la mort de son frère dans un accident. La prose de quelques récits populaires s'avère encore stylistiquement tributaire de Gerard Walschap: il est manifestement encore à la recherche de sa propre voie. Après ce livre, Lanoye se rend compte que pour fonder son succès et affirmer son artisticité, il doit faire ses preuves.
Le roman Alles moet weg (Liquidation totale, 1988) constitue jusqu'à présent la meilleure synthèse de sa conception du monde et de ses capacités artistiques. Lanoye avait déjà déclaré dans des textes antérieurs que dans une société complètement commercialisée par la voie des médias, la littérature ne doit pas se comporter comme l'innocence menacée. Il s'est par ailleurs toujours présenté lui-même, sans la moindre gêne, comme un ‘vendeur’. Plutôt que de s'opposer, en tant qu'artiste, à l'aspect commercial, il intègre celui-ci dans ses textes. Ainsi, Alles moet weg, où le protagoniste, un vendeur raté, parcourt la Flandre dans une fourgonnette, constitue une grande métaphore ironique de l'euphorie mercantile inéluctable par laquelle tout le monde semble se laisser emballer. Lanoye infirme l'image de la prospérité matérielle, laquelle dissimule la pauvreté spirituelle et la misère émotionnelle. La cupidité, mais aussi toute l'agitation autour des valeurs creuses de la civilisation auxquelles les gens, êtres simples aux yeux de Lanoye, accrochent leur existence, anesthésient la