L'église mosane d'Ename
Ename est un bourg paisible situé sur les rives de l'Escaut, à quelques kilomètres d'Audenarde. Sur la place du village, bordée de platanes, on voit encore un pilori, une
L'église St-Laurent d'Ename, xiie siècle.
pompe publique et un haut calvaire. Rien ne laisse supposer que cette commune rurale était en fait prédestinée à devenir une importante agglomération. Mais la fureur guerrière modifia son destin.
L'empire de Charlemagne (742-814) se disloqua à la mort de Louis le Pieux (778-840). Ses trois fils, perpétuellement en zizanie, signèrent en 843 à Verdun un traité par lequel ils se partagèrent l'empire. L'Etat intermédiaire se désagrégeait progressivement et en 925 les royaumes de France et de Germanie se trouvaient face à face, séparés par l'Escaut. Il en résulta une longue série de conflits. Des territoires situés à l'est du fleuve suscitèrent la convoitise du comté de Flandre, qui relevait du roi de France. L'empereur allemand, Otton II, érigea le long du fleuve trois places fortes: Anvers, Valenciennes et Ename. A Ename on construisit un châteaufort puis l'endroit devint rapidement un établissement à caractère commercial avec un marché et un port fluvial. Ename connut une ère de prospérité, comme en témoignèrent les deux églises urbaines d'alors, l'église St-Sauveur et l'église St-Laurent.
En 1033, Baudouin IV (+1035), comte de Flandre, franchit l'Escaut et mit Ename à sac. Le village ne s'est jamais remis de ce malheur. Le comte y fonda une abbaye de bénédictins, décision qui tenait moins à des convictions religieuses qu'à une tactique militaire. Il était persuadé que l'ennemi allemand n'oserait attaquer un centre religieux.
En 1982, l'Instituut voor het Archeologisch Patrimonium (l'Institut du patrimoine archéologique) entreprit à Ename une vaste campagne de fouilles archéologiques. On a l'intention d'y créer un musée extérieur qui montrera, entre autres, les différentes phases de construction et un certain nombre de demeures en bois reconstituées. On ajoutera un musée intérieur où seront exposées les trouvailles mises au jour. Pendant longtemps on a pensé que les deux églises de l'époque impériale étaient à jamais perdues. Mais lors de récents travaux de rénovation de l'église St-Laurent, on dut se rendre à l'évidence qu'il ne s'agissait pas d'une quelconque église de village. En démontant une voûte en berceau, qui était d'adjonction ultérieure, il se dégagea au premier étage de la tour une tribune. Celleci servait de loge d'où le représentant de l'empereur germanique (à Ename il s'agissait du comte de Verdun) pouvait assister à l'office religieux. Ni dans le comté de Flandre, ni dans la vallée de l'Escaut, on ne rencontre ce type de tribune; en revanche, il est plus courant dans les pays mosan, rhénan et mosellan. L'église St-Laurent du xie siècle est ainsi l'unique église de style mosan en Flandre.
Dans la tribune apparaissait également un mur de briques plâtré. Sous l'enduit étaient dissimulées des peintures en détrempe, qui datent de la première moitié du xie siècle, et, qui du même coup seraient les plus anciennes de Belgique. Quelques figures ont déjà été dégagées, telles que des angelots et des fragments d'une crucifixion. Non seulement ces peintures murales sont extrêmement précieuses, mais elles sont aussi très friables. Aussi des travaux de restauration s'avèrent-ils des plus urgents.
Dirk van Assche
(Tr. J. Deleye)