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[Nummer 1]
‘Antwerpen 93’, vue depuis la rive gauche (Photo Gerrit op de Beeck).
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Anvers,
capitale culturelle de l'Europe 1993
L'année 1993 revêtira une très grande importance pour Anvers, deuxième ville de Belgique après Bruxelles. Après des villes telles qu'Athènes, Florence, Amsterdam, Berlin, Paris, Glasgow, Dublin et Madrid, la métropole sur l'Escaut sera en effet autorisée à arborer le titre honorifique de ‘capitale culturelle de l'Europe’ et s'efforcera de convaincre les villes voisines de sa valeur culturelle.
Anvers, première ville de la région flamande, doit sa réputation principalement à son port, qui se classe parmi les cinq principaux ports du monde. Les étrangers sont naturellement portés à associer le nom d'Anvers avec le port, donc avec de l'industrie, de l'industrie chimique et d'autres choses pas toujours propres dans tous les sens du terme. Rien n'est moins vrai, cependant: Anvers est une belle ville très agréable, riche d'un patrimoine culturel considérable.
C'est en 1985 que Melina Mercouri, à l'époque ministre de la Culture en Grèce, lança son idée de faire chaque année d'une ville de la Communauté européenne le foyer de la culture européenne. Les ministres de la Culture des États membres de la Communauté européenne marquèrent leur accord, le 5 juin de cette année-là, et toujours en cette même année, Athènes fut la première ville à concrétiser cette formule. Depuis, les sept autres villes précitées ont suivi, et après Anvers, ce sera le tour de Lisbonne (1994), Luxembourg (1985) et Copenhague (1996). Chaque ville doit tenir compte de deux objectifs: rendre la culture de la ville ou de la région concernée accessible à un public européen et esquisser une image de l'actualité de la culture européenne.
Une image améliorée dans le contexte européen, qui ne pourra que bénéficier à une ville comme Anvers, telle était sûrement l'une des intentions qui ont dû motiver le bourgmestre Hubert B. Cools (o1934) lorsqu'en 1988 il proposa sa ville en tant que candidate au titre honorifique européen. Mais Cools est aussi un défenseur passionné de la culture citadine: dans l'Europe nouvelle, les frontières nationales s'estompent de plus en plus, et les régions, mais aussi et surtout les villes, revendiquent toujours davantage le rôle principal. La culture se développe depuis toujours à l'intérieur du microcosme qu'est une cité, non quelque part au beau milieu de la campagne. Les villes sont des miroirs de la culture. Qu'Anvers ait la possibilité de se manifester sous cet angle-là en 1993 est un fait positif en soi.
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Moderne
Eric Antonis (o1941), qui a déjà fait ses preuves sur le plan professionnel en matière culturelle, a été désigné comme directeur. Ayant acquis de l'expérience en tant que directeur de quelques centres culturels et compagnies de théâtre, il s'est entouré d'une équipe de jeunes ouvertement modernes. Ils ont opté résolument pour l'expérience artistique contemporaine dans le contexte européen. ‘Nous ne prônons pas un projet de marketing citadin, nous ne sommes ni un syndicat d'initiative ni un bureau de relations publiques. Toutefois, si Anvers 1993 réussit, tous ces effets secondaires positifs se feront automatiquement ressentir. On pourra promouvoir le mieux Anvers lorsque le visiteur pourra se faire une idée de la qualité de la vie culturelle dans ces contrées’, a déclaré Antonis.
Un aperçu du programme montre ce que signifie concrètement Antwerpen 93. Premièrement, cette manifestation dépasse la seule ville d'Anvers: il s'agit aussi de la Flandre, de la Belgique, de l'Europe. Deuxièmement, la priorité est accordée résolument à l'art contemporain. Troisièmement, après 1993, Anvers doit être en mesure de poursuivre sur cette lancée et demeurer
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‘Antwerpen 93’, ‘Rubenscantoor’ (L'atelier de Rubens), P.P. Rubens, ‘Torso van Belvedere’, ‘Rubenshuis’, Anvers.
‘Antwerpen 93’, exposition J. Jordaens, ‘Zo d'ouden zongen, zo pijpen de jongen’ (Les jeunes piaillent comme chantent les vieux), détail, ‘Koninklijk Museum voor Schone Kunsten’, Anvers.
un forum contemporain dans une Europe multiculturelle.
Comme depuis toujours à l'occasion de pareilles grandes manifestations culturelles, le secteur ‘expositions’ occupe le plus de place. Les différentes expositions prévues soit s'orientent vers l'art contemporain vivant dans le monde, soit rendent hommage aux deux ‘âges d'or’ que la ville sur l'Escaut a connus au cours de son histoire turbulente: les années baroques à l'époque de Rubens, au cours de la première moitié du xviie siècle, et les riches années entre 1885 et 1930, lorsqu'Anvers redevint une véritable métropole.
La somptueuse exposition consacrée au peintre Jacob Jordaens, né en 1593, soit il y a exactement quatre siècles, au Musée royal des Beaux-Arts, sera la grande manifestation destinée à accrocher l'attention du grand public. Une petite centaine de tableaux, originaires de tous les grands musées du monde entier, de ce contemporain de Rubens (1577-1640) et de Van Dyck (1599-1641) y seront présentés au public.
La Maison Rubens proposera une exposition spéciale de dessins provenant dudit Rubenscantoor (L'atelier de Rubens), c'est-à-dire du studio où Rubens conservait les originaux de ses projets, son matériel d'étude et sa documentation, pensant cacher ainsi au monde extérieur le secret de son art.
L'exposition Verhaal van een metropool (Histoire d'une métropole) retracera une image de la ville riche qu'était Anvers aux xvie et xviie siècles. Celle intitulée De panoramische droom (Le rêve panoramique) montrera la ville flamboyante des trois expositions universelles qui s'y sont déroulées entre 1885 et 1930. Au cours de ces deux périodes, Anvers était devenue un véritable port mondial et une métropole authentique.
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Des expositions plus petites à caractère historique seront consacrées aux retables anversois des xve et xvie siècles à la cathédrale Notre-Dame restaurée, à la botanique dans les Pays-Bas méridionaux, à une collection unique de masques provenant du bassin du Zaïre (du ‘Congo’ à l'époque où c'était encore une colonie belge), à la culture gastronomique et aux plaisirs de la table dans Europa aan tafel (l'Europe à table), aux peintres d'avant-garde russes de 1900 à 1930, et ainsi de suite.
Le volet des arts plastiques contemporains se répartira sur l'ensemble des musées anversois: le Musée royal des Beaux-Arts, le Musée d'art contemporain et le Musée de sculpture en plein air du Middelheim. Il convient de souligner que ce n'est pas la couleur ‘anversoise’ qui prédominera: le chef de projet ‘art contemporain’ Bart Cassiman (o1961), qui est Gantois, opte manifestement pour une approche européenne, voire mondiale.
Le Musée royal des Beaux-Arts ouvrira ses portes à une vingtaine d'artistes plastiques contemporains d'Europe et d'Amérique, qui témoigneront de leur lien intense avec l'histoire, ses mythes et ses allégories.
Le Musée d'art contemporain servira de décor à trois jeunes concepteurs d'exposition étrangers: le Français Yves Aupetitallot, la Britannique Iwonna Blazwick et l'Italienne Carolyn Christov-Bakargiev. Ils mettront sur pied ensemble une exposition d'oeuvres d'une nouvelle génération d'artistes de leur choix.
Et le Musée de sculpture en plein air du Middelheim se verra insuffler une vie nouvelle. Il a toujours été dans les intentions de faire de ce parc-musée un temple de la sculpture contemporaine, mais on y a à peine investi au cours des vingt dernières années. En 1993, le Middelheim verra enfin sa collection enrichie d'une dizaine d'oeuvres contemporaines au moins, venant de tous les horizons, notamment de Per Kirkeby, Matt Mullican, Isa Genzken, Panamarenko et d'autres, qui y resteront après ‘Anvers 93’.
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Permanent
En ce sens, le projet prévu au Middelheim ne sera pas une exposition au sens strict du terme. A l'instar de la cathédrale restaurée, de la Gare centrale et du théâtre Bourla ou comme les projets de plus en plus concrets pour un nouvel horizon, un nouveau profil de la ville en bordure de l'Escaut, il se rangera parmi les retombées à caractère permanent de la manifestation ‘Anvers 93’.
‘Antwerpen 93’, image de la campagne.
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Les arts de la scène constituent un deuxième volet important d'‘Anvers 93’. Dans ce domaine, le choix s'est porté sur un dialogue entre la nouvelle génération d'artistes de la scène flamande et un certain nombre de valeurs sûres de la scène européenne. ‘Anvers 93’ propose ainsi un premier Festival de l'opéra contemporain, avec des oeuvres musicales et des régies nouvelles notamment d'Eugeniusz Knapik et Jan Fabre, de Walter Hus et Jan Lauwers, de Dirk Dhaese et
‘Antwerpen 93’, architecture, ‘Observatorium Open Stad’ (Observatoire ville ouverte), projet de P. Uyttenhove.
Alex Steyermark. Pour la partie dansée du programme, quatre chorégraphes ont été invités, qui se trouvent actuellement au sommet artistique dans le paysage de la danse: Anne Teresa de Keersmaeker, Philippe Decouflé, William Forsythe et Trisha Brown.
Le théâtre Bourla rouvert servira de décor prestigieux aux premières de sept productions théâtrales s'articulant toutes autour du thème ‘Le questionneur’ de Peter Handke. Ce thème
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occupe par ailleurs une place centrale dans tout ce que le programme propose: on ne formule pas de thèses, on n'exprime pas de slogans, mais on soulève des questions. Toute la campagne publicitaire d'‘Anvers 93’ est ainsi axée sur deux questions, posées en quatre langues: ‘Qu'est-ce qui est beau? Qu'est-ce qui est laid?’, et: ‘L'art peut-il sauver le monde?’.
Le projet ‘L'Arche’, d'après une idée de l'architecte Bob van Reeth (o1943), est lui aussi très prometteur: un ponton long de 77 mètres sera transformé en théâtre flottant et recevra à partir d'avril 1993, en différents endroits du vieux port, des groupes artistiques et culturels originaires de villes artistiques dynamiques du monde entier. Chacune des villes sélectionnées: Gand, Berlin, Saint-Pétersbourg, Barcelone, Ljubljana, Rotterdam, Marseille, Los Angeles, Prague, Budapest, Johannesburg, Montréal, Stockholm et Istanbul, figurera à l'affiche pendant une semaine entière.
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‘Élitiste’
Puis il y a encore un vaste programme musical, où l'on part de ‘la ville en tant que support organique de la musique’: de la cathédrale, avec sa musique de Johannes Ockeghem (vers 1420-1497) et Roland de Lassus (vers 1532-1594) jusqu'à la musique des immigrés et des matelots.
Le programme littéraire d'‘Anvers 93’ est tout aussi original que contesté. Quatre-vingts auteurs belges et étrangers y collaborent. Ensemble, ils rempliront avec circonspection dix ‘cahiers’ consacrés aux sujets les plus divers susceptibles d'intéresser tout être humain qui réfléchit en ces temps incertains: le silence, le provincialisme, le postmodernisme, la restauration, la politique économique et culturelle, la ville. Les auteurs flamands se sont rebellés contre ce projet par trop ‘intellectualiste’ à leur goût et qui ne laisserait guère de place à la vraie littérature.
Dans le domaine de l'architecture et de l'urbanisme, enfin, c'est le thème Observatorium Open Stad (Observatoire ville ouverte) qui est à l'honneur: des expositions, des promenades en ville, des colloques, et cetera, permettront de se pencher sur le phénomène de la ville en général et sur la ville d'Anvers en particulier.
S'agit-il d'un programme élitiste? Partiellement oui, et à juste titre. A notre époque de sponsorisation et de nivellement, il y a belle lurette qu'une manifestation culturelle européenne a encore opté si ouvertement pour l'audace, le niveau et la qualité. Que ces choix soient si clairs et nets est loin d'être évident dans une ville que caractérisait plutôt une sorte de provincialisme bon enfant au cours des dernières décennies.
Anvers aspire résolument à une troisième période de haute conjoncture culturelle et choisit un profil approprié et prononcé. Le programme entier est imprégné de l'idée multiculturelle, matière ô combien sensible en Europe. Les organisateurs ont opté pour une ville ‘ouverte’ multiculturelle, appelée à devenir le coeur d'une des principales régions de l'Europe: la Flandre. C'est aux Anversois qu'il revient maintenant de s'y consacrer corps et âme...
MARC RUYTERS
Journaliste.
Adresse: Drie Eikenstraat 282/4, B-2650 Edegem.
Traduit du néerlandais par Willy Devos.
Pour toute information et documentation: ‘Antwerpen 93’, Grote Markt 29, B-2000 Antwerpen. Tél. (03) 226 93 00 - Fax (03) 226 15 55. |
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