La poésie d'Elisabeth Eybers
Le prix P.C. Hooft, prix littéraire le plus important des Pays-Bas, a été attribué en 1991 à Elisabeth Eybers (o1915) pour l'ensemble de son oeuvre poétique paru quelques mois auparavant dans une belle édition sur papier bible. A plus d'un titre cette attribution est remarquable. Elisabeth Eybers, qui réside depuis bientôt trente ans à Amsterdam, obtint la nationalité néerlandaise il y a quelques années: d'origine sud-africaine elle a écrit toute son oeuvre poétique dans sa langue maternelle, l'‘Afrikaans’. Or, formellement la littérature en cette langue n'est pas considérée comme faisant partie de la littérature néerlandaise; quoiqu'issu du néerlandais du xviie siècle, l'Afrikaans s'est constitué en idiome indépendant doté d'une orthographe, d'une grammaire et d'une syntaxe spécifiques, véhiculant beaucoup de vocables propres. C'est donc la première fois que le prix littéraire le plus important échoit à un(e) poéte(esse) sud-africaine, même si celle-ci possède la nationalité hollandaise.
Sans doute cette attribution est-elle pleinement justifiée par l'envergure de l'oeuvre. De surcroît, même si elle exige, certes, un effort particulier (effort également valable, quoique pour d'autres raisons, dans le cas de la littérature plus ancienne écrite par des poètes du Moyen Âge, de la Renaissance, de l'époque des rhétoriqueurs, du xviiie et du xviiie siècles, sans parler de l'effort requis des non-Flamands lorsqu'ils lisent par exemple Guido Gezelle, 1830-1899), la lecture de la poésie en ‘afrikaans’ est parfaitement possible pour des lecteurs néerlandophones. S'il y a des mots inconnus, des formes et des acceptations qui peuvent induire en erreur, la parenté et, partant, l'accessibilité sont évidentes à plus d'un point de vue.
C'est bien ce qu'Elisabeth Eybers nous prouve (et c'est ce qui donne une justification supplémentaire à ce couronnement) à l'aide d'une oeuvre qui non seulement paraît depuis plusieurs années simultanément en Hollande et en Afrique du Sud, mais qui a su se constituer dans l'aire néerlandophone un cercle de lecteurs fidèles et admiratifs: Elisabeth Eybers est lue aux Pays-Bas, elle y est comprise et reconnue comme une poétesse très personnelle d'une dimension inhabituelle et internationale.
La poétesse est née à Klerksdorp au Transvaal. Ses parents étaient des intellectuels: son père était pasteur, sa mère directrice d'une école secondaire pour jeunes filles. A l'âge de seize ans, elle entama des études de lettres à Johannesburg, fut ensuite journaliste et se maria en 1937. Elle eut quatre enfants et divorça en 1961. Depuis lors la poétesse est établie aux Pays-Bas.
Entre 1936, date de parution de son premier recueil Belydenis in die Skemering (Confession au crépuscule) et la publication de ses Versamelde Gedigte (Poésies complètes) en 1990 à l'occasion de son soixante-cinquième anniversaire, ont paru une quinzaine de livres et quelques recueils de poèmes, ouvrages qui ont établi sa réputation non seulement de première poétesse en ‘Afrikaans’ mais de figure littéraire de premier plan. Ainsi, de recueil en recueil, sa notoriété n'a cessé de croître tout au long des années, manifestant une personnalité forte qui ne cessait de s'approfondir. Au fil du temps Elisabeth Eybers a trouvé une expression sobre, pure et poignante de sentiments éprouvés sur un plan très personnel mais qui - caractéristique du grand artiste - sont toujours restés universels. Car c'est bien le paradoxe de l'art authentique qu'il semble presque aller de soi. Aussi en poésie le plus grand dépouillement constitue-t-il la plus grande richesse, la pure simplicité se fait accomplissement total et le silence sans un souffle la musicalité la plus émouvante.