La France exportatrice d'art surréaliste
Né en France vers 1920, le surréalisme y fut d'abord un mouvement littéraire, animé et dirigé par André Breton. Aux Pays-Bas, ce furent des peintres qui, une dizaine d'années plus tard, découvrirent les premiers cette synthèse de rêve et de réalité. Il fallut attendre encore une décennie pour que le courant y mobilisât, enfin, les poètes.
Le périple à travers le monde entrepris, comme une sorte de dernier tour d'honneur, par les surréalistes à la veille de la seconde guerre mondiale, allait permettre à un certain nombre de poètes néerlandais de découvrir, indépendamment les uns des autres, un courant artistique qui dans la suite ne manquerait pas de les influencer profondément. En 1938 se tint à Amsterdam, à la galerie Robert, une exposition surréaliste, dernière d'une série d'expositions organisées à travers le monde. Pour autant qu'on puisse s'en assurer a posteriori, cette exposition, objet de critiques virulentes dans la presse, fut probablement visitée par les écrivains Cees Buddingh (1918-1985) et W.F. Hermans (o1921) et, sans aucun doute, par Jan Elburg (o1919),Chris J. van Geel (1917-1974), Gerrit Kouwenaar (o1923), L. Th. Lehmann (o1920), E. van Moerkerken (o1916) et Gertrude Pape. Seul exposant néerlandais: Kristians Tonny (1907-1977; pseudonyme de Tonny Kristians), fils du galeriste, résidant à l'étranger depuis de nombreuses années.
Tous les écrivains mentionnés ci-dessus jouérent un rôle non négligeable comme promoteurs de l'irrationnel au sein des lettres néerlandaises. Elburg et Kouwenaar le firent en tant qu'‘Experimentelen’ (artistes expérimentaux) et, plus tard, comme membres du mouvement Cobra. Les autres s'exprimèrent dans De Schone Zakdoek (Le mouchoir propre), la fameuse revue tirant à un seul exemplaire (1941-1944). Créer une revue résolument surréaliste, voilà l'objectif que s'étaient fixé les rédacteurs Theo van Baaren (o1912) et Gertrude Pape. On y trouvait, conformément aux principes surréalistes, des cadavres exquis, des collages, des décalcomanies et des objets. Libéré de la contrainte reprographique, on pouvait se payer le luxe de sortir, même en temps de guerre, une revue agrémentée d'une débauche de couleurs, de poèmes arborescents liserés de fil à coudre et contenant à l'occasion de menus morceaux de film. Les couvertures rappelaient le Merz-Kunst (l'art commercial, Merz étant la seconde syllabe de Kommerz) promu par Kurt Schwitters. Au total, trente-six numéros virent le jour, répartis sur vingt-trois livraisons.
Avant même 1938, Gertrude Pape avait découvert le nouveau mouvement français, grâce aux reproductions parues dans la revue belge Variétés qui, en 1929, avait consacré un numéro spécial (hors série) au surréalisme. De plus, elle avait vu le film surréaliste Un chien andalou réalisé par Luis Bunuel et Salvador Dali. Tout comme les peintres Willem van Leusden (1886-1974), Henk Poesiat, J.H. Moesman (o1909), Louis Wijmans et Pyke Koch (o1901), Pape avait pu feuilleter Variétés à Utrecht, dans la petite galerie d'art Nord tenue par Willem Wagenaar (1907). Quelquesuns parmi eux avaient également été séduits par le numéro spécial que la revue belge Sélection (ancêtre de Variétés) avait consacré au peintre italien De Chirico.
Le mouvement surréaliste aux Pays-Bas ne réussit à aucun moment à prendre. son envol parce que, à la différence de ce qui se passa en France, on n'y vit jamais surgir un chef de file capable de former un groupe, à grand renfort de manifestes et de pamphlets. Au contraire, l'écrivain E. du Perron, auréolé d'un prestige considérable auprès des jeunes, avait définitivement converti sa sympathie pour les surréalistes français en aversion, n'hésitant pas à traiter ceux-ci de ‘bande de malotrus’.