première et de sa deuxième patrie, avec le courage d'un Sisyphe, tenant bon jusqu'à ce qu'il obtienne des résultats.
Voir exclusivement en Seuphor le défenseur de l'art abstrait serait toutefois commettre une injustice à son égard. Sa vie richement remplie comporte bon nombre d'autres facettes, et on ne peut faire abstraction de ses talents d'auteur de romans, d'essais, de pièces de théâtre, de poésie et d'aphorismes, ni de philosophe et d'artiste plastique. Tous ces aspects sont l'expression d'un esprit alerte, qui, au cours des années, s'est développé pour se constituer en personnalité universelle.
Michel Seuphor est le pseudonyme de Fernand-Louis Berckelaers, né à Anvers, où il suit les humanités gréco-latines chez les pères jésuites, en français, comme c'était la coutume à l'époque. Fin 1917, début 1918, il collabora à une feuille estudiantine clandestine et prit pour pseudonyme Seuphor, anagramme d'Orpheus. ‘Ce nom, peu à peu, s'imposa et, finalement, resta. Ce jour-là (de l'adoption du pseudonyme), j'étais entré dans une autre âme. Fernand Berckelaers est pour moi, aujourd'hui (1976) un cousin éloigné. Je le vois rarement. Je l'accepte, bien entendu, mais il a des manières et des habitudes qui ne sont pas les miennes. Et je sens bien que lui-même n'est pas du tout à l'aise avec moi’. Par réaction à son éducation francophone et au milieu bourgeois dont il était issu, il devint un ardent sympathisant du Mouvement flamand, qui prônait l'égalité des Flamands dans une Belgique à prédominance francophone. Cofondateur et collaborateur de plusieurs publications militantes, il ne se tenait pas à l'écart non plus lors de manifestations et d'activités flamandes. De cette époque datent également ses premiers poèmes. Jeune homme très actif, il est un lecteur vorace de littérature et de philosophie et, poussé par une curiosité jamais en défaut, s'intéresse à tout ce qui est novateur.
Il est cofondateur de la revue Het Overzicht (Le Panorama), dont seize livraisons firent non seulement oeuvre de pionnier pour ce qui est de l'introduction des formes artistiques nouvelles en Flandre, mais qui contribua également à une évolution radicale de Seuphor lui-même. ‘(...) elles portent l'empreinte très nette de ma progressive transformation: j'y suis entré flamingant convaincu et batailleur, j'en sortais, quatre ans plus tard, non pas fransquillon, certes, mais déjà presque Français’. Si, initialement, Seuphor, en tant que rédacteur, s'exprimait encore dans une forme littéraire ou philosophique, sa position se modifia manifestement en 1921, après qu'il eut assisté à une conférence donnée à Anvers par le peintre et architecte néerlandais Theo van Doesburg (1883-1931), qui lui fit découvrir l'art abstrait, et plus particulièrement l'oeuvre du peintre néerlandais Piet Mondriaan (1872-1944). Sa rencontre avec le peintre anversois Jozef Peeters (1895-1960, l'un des premiers artistes abstraits en Flandre) fut également très importante. Peeters devint codirecteur de Het Overzicht, et c'est avec lui qu'il commença à se rendre à Paris, à Berlin, où il fit la connaissance des principaux avant-gardistes des arts plastiques de l'époque. La revue acquiert une dimension internationale de plus en plus prononcée, avec des contributions et des reproductions d'oeuvres des grands rénovateurs de l'art.
Mais en 1925, la revue cesse soudain de paraître. Seuphor se distanciait de plus en plus du climat provincial étriqué de son pays natal et s'installa à Paris pour vivre dans une ville et un pays dont l'universalité l'attirait. Il noue de nouveaux contacts et écrit de la poésie. Puis il part pour l'Italie, où il se lie avec les futuristes. C'est là que lui vient aussi l'inspiration pour sa pièce