Hedwig Speliers:
poète et moine agnostique
Dans Le nom de la rose Umberto Eco nous décrit comment deux frères, dans le scriptorium de leur abbaye, préparent à l'emploi le parchemin ‘comme un reliquaire, étincelant de pierres précieuses, contenu dans ce qui deviendrait la pieuse texture de l'écriture’Ga naar eind(1). On ne saurait imaginer meilleure phrase liminaire à la présentation d'un recueil de poèmes du Flamand Speliers, précédé d'une épigraphe de Raban Maur, abbé de Fulda, d'un court fragment d'une des Lettres d'Hadewijch et d'un tercet de l'Enfer de Dante. Ce triple exergue appelle l'attention du lecteur sur une signification sous-jacente, sur un message plus profond, inexprimable dans la langue commune. Le recueil Villers-la-VilleGa naar eind(2) est un ‘Texte dont la signification va au-delà / Des lettres (...)’Ga naar eind(3). En 100 strophes de sept vers, Speliers explore la scripturalité qui constitue selon lui le coeur de la poésie.
Le thème central du recueil est la victoire sur la mort au moyen de l'écriture. Ce thème n'est pas neuf chez Speliers puisqu'il dominait déjà Horribile dictu (1972), écrit à l'occasion de la mort de son unique frère. Speliers, depuis les années 70, exploite des citations dont il fait un élément constitutif de ses oeuvres poétiques. Dans le colophon de Villers-la-Ville, il signale que le recueil a été réalisé en quatre périodes entre septembre 1984 et février-mars 1987. Pour la première version, il a utilisé des citations empruntées à Le nom de la rose d'Umberto Eco, complétées dans la troisième version par des citations de Bâtisseurs de cathédrales de Georges Duby. Toutefois, il n'échappera certainement pas au lecteur qu'il a également puisé dans l'Apocalypse de saint Jean.
Dans un article sur l'oeuvre de Speliers paru dans Ons ErfdeelGa naar eind(4), J.M. Maes a prouvé que ces emprunts ne sont pas des devinettes pour lecteur-limier intellectualiste, mais qu'ils font partie intégrante du poème. Cela vaut plus nettement encore pour le recueil Villers-la-Ville, qui, comme on peut s'y attendre de la part de Speliers, est une oeuvre rigoureusement structurée. Le fait que les 100 strophes n'aient pas été numérotées souligne encore l'unité architecturale. Villers-la-Ville est une construction verbale dans laquelle on peut pénétrer à partir de chaque strophe, bien qu'elle comporte trois entrées principales.
Les 35 premières strophes se focalisent sur les ruines d'un monastère du Brabant méridional et sur la vie des moines cisterciens qui se déroulait dans ses différentes salles: le choeur, le réfectoire, le calefactorium, les cuisines, le dortoir et le scriptorium. Dans cette première partie, Speliers réfléchit à partir de cette évocation de la vie monacale sur sa propre existence verbale dans le monde d'aujourd'hui. Par opposition à ses recueils précédents, qui proclament avec fatalisme le caractère fondamentalement terrestre de l'existence humaine, ce nouveau recueil reçoit de l'exploration de la scripturalité une dimension extatique. Le poète établit un lien explicite entre le verbe et le Verbe, entre la scripturalité et l'Écriture sainte.
La partie centrale du recueil se compose de 30 strophes qui renvoient à la vision de l'Apocalypse et à ses révélations sur la fin des temps. Nous y rencontrons ce que Speliers appelle l'‘épiphanisation’ dans sa poésie, à savoir la mise en relation de l'infiniment grand avec ce qui est si petit qu'il en devient négligeable.
La transition avec la troisième partie qui tourne tout entière autour de la scripturalité, est constituée par les vers-charnières suivants: Toute créature du monde est un livre / Est un écrit Est un signe (...)Ga naar eind(5).